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Pourquoi les confidences d’Emmanuel Macron montrent qu’il n’a toujours pas véritablement compris la nature de la crise des Gilets jaunes
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Déconnecté

Lors de ses confidences aux journalistes, Emmanuel Macron a annoncé qu'il avait entamé une conversion personnelle et que sa compréhension du pays était en quelque sorte enrichie par le fait que ses 18 premiers mois de mandats l'aient scarifié. Mais la rupture entre le président et les Gilets jaunes est plus béante que jamais.

Les Arvernes

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Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Atlantico : Lors de ses confidences aux journalistes, Emmanuel Macron a annoncé qu'il avait entamé une conversion personnelle et que sa compréhension du pays était en quelque sorte enrichie par le fait que ses 18 premiers mois de mandats l'aient scarifié. Sans remettre en cause la sincérité du chef de l'Etat, cette conversion peut-elle produire des résultats différents ?  

Jean-Sébastien Ferjou : Emmanuel Macron change de méthode, c'est incontestable. Il a compris que la magie de son verbe qui lui avait servi à établir très rapidement une relation directe avec les Français ne pouvait suffire pour réussir à gouverner le pays. Le président a besoin des corps intermédiaires, que sont les élus locaux, les parlementaires ou les syndicats et il l'affiche; il a également besoin des relais d'opinion et -parfois- de pédagogie que sont les journalistes et il en accepte l'idée, fut-ce à contre-coeur tant ses vaticinations sur les errances des chaînes d'info ou la paresse ou la mauvaise foi menant à la diffusion de Fake news montrent que ses confidences sont vécues sur le mode du mal nécessaire. Peu importe, ni les médias, ni lui n'en mourront. 

Sur le fond en revanche, la conversion annoncée paraît plus superficielle. Emmanuel Macron veut certes parler aux corps intermédiaires mais comme le confirme le flou qu'il continue à entretenir sur la traduction en actes politiques des résultats du Grand Débat, il semble penser qu'exprimée par le truchement de corps intermédiaires, la magie de son verbe suffira. Quitte à recourir à un référendum mais cantonné à des questions institutionnelles et, en l'état, certainement pas appliqué à des questions plus liées à l'orientation des politiques à mettre en oeuvre pendant la suite de son quinquennat. En creux se dessine la configuration dans laquelle il se projette : retourner la salle, qu'elle soit réelle et remplie de maires ou virtuelle et constituée de son socle électoral, grâce à ses connaissances encyclopédiques sur une multitude de sujets comme ses talents d'orateur incontestables. D'une certaine manière, sa grande habileté cumulée à la médiocrité de ses opposants -qui ne le poussent pas à devenir meilleur- pourrait se révéler un piège. A sortir de la crise par l'habileté plus que par une réponse politique de fond co-construite avec des corps intermédiaires, le Président prend le risque de reculer pour mieux sauter. Que son image personnelle s'améliore ne changera rien aux facteurs d'insatisfaction qui heurtent les Français dans leur quotidien ou en fin de mois. 

Plus inquiétant, le Président semble toujours imprégné d'une logique très conflictuelle du "eux contre nous". Cette configuration n'est pas dangereuse dans le cadre d'un conflit circonscrit, c'est-à-dire lorsqu'un gouvernement s'oppose par exemple à la CGT, à des cheminots ou des jeunes réclamant le retrait du CPE, parce qu'alors le "eux contre nous" est limité à un seul objet. L'un des deux camps l'emporte et le "eux contre nous" se dissipe. Au début de la crise des Gilets jaunes, le mouvement était plus ou moins circonscrit à la question de la transition écologique. Mais très vite, il est devenu autre chose. Dès lors, jouer le "eux contre nous" est devenu dangereux alors qu'entre 40 et 60% des Français, à des degrés différents ont exprimé du soutien, de la sympathie ou de la compréhension pour les Gilets jaunes et que dans le même temps la revendication n'est plus circonscrite mais systémique – car avec les Gilets jaunes, il s'agit bien d'une contestation du système tel qu'il fonctionne et plus d'un simple mouvement social. A ignorer cet aspect, Emmanuel Macron s'inscrit à son corps défendant dans une logique de guerre civile ou de révolution. Quand le "eux" devient plus ou moins la moitié des Français qui doutent du système et que le "nous" ne représente pas beaucoup plus qu'un Français sur 5, on n'est plus dans un conflit social précis, circonstanciel.

Et Emmanuel Macron ne cesse d'alimenter ce risque-là. Quand on lit dans Le Monde de ce vendredi le portrait d'Ismaël Emelien qui montre qu'au mois de décembre la garde rapprochée du Président a eu l'idée de faire visiter l'Arc de Triomphe aux Français, de les faire défiler à l'intérieur du bâtiment pendant une semaine afin de leur montrer les dégâts commis par les Gilets jaunes comme s'il s'agissait d'une sorte de chapelle ardente, on se dit que l'Elysée s'inscrit dans une espèce de rupture absolue, irrémédiable avec les Gilets jaunes.

Le président et ses ministres sont dans leur rôle de garants de l'ordre public lorsqu'ils rejettent catégoriquement la partie insurrectionnelle des Gilets jaunes – ceux qui ont défoncé la porte du ministère de Benjamin Griveaux, frappé des policiers ou multiplié la casse. Mais lorsqu'ils s'inscrivent dans une rupture totale avec des Gilets jaunes qui se trouvent être peu ou prou Monsieur et Madame Tout le Monde, c'est un vrai danger.

La distinction faite par Emmanuel Macron dans ses confidences aux journalistes entre les Gilets jaunes des ronds-points et ceux des manifestations du samedi est totalement artificielle. Il y a une continuité entre les gens qui continuent à manifester et ceux qui sont sur les ronds-points. Il aurait été plus compréhensible de faire la distinction entre les 60% de Français dont le coeur a balancé et les Gilets jaunes casseurs. Quant à la posture qui consiste à soutenir que lui-même serait Gilet jaune parce qu'il comprend parfaitement la revendication sur la réduction du nombre de parlementaires ou sur le fait que le travail paye, c'est encore malgré tout une forme de provocation.

Il semble qu'Emmanuel Macron même s'il dit avoir compris que sa position créait une asymétrie entre lui et les Français ne puisse pas s'empêcher d'accentuer la rupture même lorsqu'il s'emploie à la réparer. Quand il dit hier "Jojo en gilets jaunes sur les chaînes d'info, on le met au même niveau qu'un ministre ou qu'un député", il a raison de souligner le problème de la représentativité dans une démocratie représentative. Pour le coup, il est normal de considérer non pas que la parole d'un député vaut plus mais qu'elle représente plus que celle d'un gilet jaune lambda. Sauf que la manière dont il le dit, encore une fois, mélange deux choses : la représentativité donc, et c'est son rôle en tant que garant des institutions, et le fait de traiter une partie des Français comme des sous-citoyens qui n'auraient vocation qu'à être des mineurs politiques. Et cette rupture l'inscrit soit dans la guerre civile soit dans une logique de démocratie censitaire.

On entend aussi derrière cette distinction binaire les autres distinctions faites plus tôt dans son quinquennat – "les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien" par exemple – qui n'ont pas eu pour résultat de susciter l'apaisement…

Jean-Sébastien Ferjou : Sans avoir à sonder le cœur et les reins du Président de la République, toutes les paroles d'apaisement qu'il a eu vis-à-vis des Gilets jaunes ont toujours plus relevé de l'habileté et de la posture que de la vraie compréhension. Par exemple la figure récurrente dans ses propos de la mère de famille isolée qui a des problèmes de fin de mois. Mais il n'y a pas que des mères de familles isolées qui ont des problèmes de fin de mois, mais aussi des mères de familles isolées qui ont manifesté sur les ronds-points et des mères de familles isolées qui ont pu s'associer à des actions violentes et bien d'autres gens qui ne sont pas des mères de familles isolées qui ont manifester sans jamais s'associer à des actions violentes. Quasi systématiquement, il finit par contredire les paroles d'apaisement qu'il a pu avoir vis-à-vis des gilets jaunes. 

Et sur le fond, il sous-estime le côté pompier pyromane qu'il y a à vider les mots de l'opposition de leur sens. Inégalités, reprendre le contrôle, migrants, il s'empare de thématiques en prétendant en être le représentant alors que le fond de la politique qu'il mène ne correspond pas à ce qu'il en décrit. Pour le débat public et la démocratie, c'est problématique. 

Dans les mêmes confidences données aux journalistes, Emmanuel Macron a énuméré les points sur lesquels il considérait avoir évolué : la nécessité d'une forme de déconcentration, le rôle clé des "corps intermédiaires", la transformation de "l'Etat profond", la restauration de "l'autorité" du politique, la volonté de "reprise de contrôle", ou encore  la possibilité d'un "référendum" qui ne soit pas balayé "comme celui de 2005". Faut-il y voir une vraie autocritique et une annonce de réels changements ?

Les Arvernes :  On peut certes reconnaître à Emmanuel Macron d’essayer de faire amende honorable face à la crise des gilets jaunes. Au fond, il ne faut pas toujours douter de sa sincérité, même si le politicien, la fonction le veut, n’est jamais très loin du responsable d’Etat.

Ceci étant dit, il nous semble encore dans le faux.

D’abord, il n’est pas nécessaire de proposer une politique plus girondine pour la France. L’ambition girondine telle qu’elle s’est matérialisée depuis 1982 par la grande loi de décentralisation a été très mal mise en œuvre, et au lieu de permettre à la France d’avoir des territoires dynamiques, on a assisté à la reconstitution de potentats locaux, parfois très corrompus, il faut le dire, ainsi que par le développement de la fonction publique territoriale au-delà de toute raison. Sans parler de la catastrophique réforme de la carte territoriale de François Hollande.

Ensuite, si Emmanuel Macron a eu la bonne intuition – revenir à une lecture plus gaullienne des Institutions – par sa volonté de tout centraliser, croyant dur comme fer qu’on peut diriger la France enfermé à l’Elysée avec quelques conseillers, il est parvenu à l’effet inverse. L’Histoire retiendra qu’il a fragilisé la 5em république comme personne, lui qui voulait justement restaurer son fonctionnement. Et tout cela, alors même, contrairement à ce qui est répété, que son auto centrisme ne s’est nullement traduit par des réformes majeures de la France ! La réalité est que la France n’a que très marginalement été réformée depuis mai 2017.

Sur la question de « l’Etat profond », il faut ne pas connaître le fonctionnement de l’Etat pour penser que c’est la Haute administration décide. C’est l’inverse. La Haute administration, depuis que le pouvoir politique s’est considérablement affaibli, soit compense les erreurs du politique, soit dans l’absence complète de directive politique qui ne sait pas ce qu’il veut, suit des procédures et des habitudes. Emmanuel Macron échoue d’autant moins parce que la Haute administration ne veut pas le suivre, que cette dernière est d’ailleurs très largement macroniste puisque les chasses aux sorcières ont eu lieu au début du quinquennat de François Hollande. C’est pour cela qu’il n’a pas changé grand monde : Emmanuel Macron gouverne avec des gens qu’il connaissait déjà avant d’être président. Les équipes n’ont pas changé.

Cependant, le "débat permanent", nouveau mot d'ordre du Président, ressemble à une application pratique du "en même temps". De plus Emmanuel Macron affirme qu'il ne veut pas changer de politique mais de "méthode". S'il veut changer les choses, n'est-il pas cependant problématique qu'il insiste systématiquement sur cette méthode ? 

Les Arvernes : Il ne faut pas se tromper sur la question de la démocratie. Ce qui désespère fondamentalement les Français ce n’est pas, en soit, les Institutions. Ce qui les exaspère, à juste titre, c’est la médiocrité des résultats. La question pour eux n’est pas de savoir comment on va arriver à des résultats, mais d’y arriver. Les gens ne sentent pas humiliés et méprisés parce que le Président a des pouvoirs extravagants dans notre démocratie, mais parce que tout cela ne débouche sur rien ou pas grand-chose. Jean-François Revel parlait à ce sujet d’« absolutisme inefficace ».

Pour faire une analogie : c’est un peu comme le déficit démocratique européen. On se poserait infiniment moins la question de savoir si l’Europe est démocratique ou pas si elle avait des résultats à la hauteur de ses ambitions. Le problème n’est pas la participation des citoyens mais la capacité par ceux qui exercent le pouvoir de bien l’exercer au profit des citoyens et que ceux-ci s’en rendent compte. 

Si Emmanuel Macron croit vraiment à la démocratie directe, qu’il mette fin à ce vrai-faux grand débat qui est une mascarade et qu’il relise la Constitution : l’article 11 lui permettrait de soumettre ses réformes à la procédure du référendum. Tirerait-il cependant la conclusion logique d’un échec ? On ne peut pas être Emmanuel Macron et se prétendre De Gaulle en même temps…

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