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Les coulisses de l’exercice du pouvoir du Général de Gaulle sous la plume de Louis Terrenoire
©AFP

Bonnes feuilles

Les éditions Eurocibles viennent de publier « De Gaulle en conseil des ministres, Journal et notes de Louis Terrenoire, porte-parole du gouvernement ». Les écrits sont présentés par Hélène Boivin. Cet ouvrage retrace les confidences livrées par de Gaulle à Louis Terrenoire. Extrait 2/2.

Louis Terrenoire

Louis Terrenoire

Louis Terrenoire est né le 10 novembre 1908 à Lyon (Rhône), il est responsable de syndicats chrétiens (1928), rédacteur en chef de La Voix sociale, puis du Nouveau Journal de Lyon (1930-1931), et rejoint, en 1932, L’Aube (périodique démocrate-chrétien).

Résistant dès 1940, il devient secrétaire du Conseil national de la résistance (CNR) en 1943. Arrêté par la Gestapo, en décembre 1943 puis en mars 1944, il est déporté à Dachau. Député MRP de l’Orne aux deux Assemblées constituantes, puis à l’Assemblée nationale (1946), il adhère au RPF et devient vice-président du Mouvement républicain populaire indépendant, après son exclusion du MRP hostile à la double appartenance.

Secrétaire général du RPF (51-54), il échoue à la députation sous la IVe République, mais retrouve son siège à partir de 1958. Président du groupe UNR de l’Assemblée nationale (1959-1960), il est ministre de l’Information (1960-1961) puis ministre délégué chargé des relations avec le Parlement (1961-1962).

Secrétaire général de l’UNR (mai-décembre 1962), il est co-directeur de l’hebdomadaire UNR-UDT Notre République (1963-1964).

Il renonce en 1973 à son siège de député et meurt le 8 janvier 1992.

 

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Hélène Boivin

Hélène Boivin

Hélène Boivin est historienne et sociologue, agrégée d’histoire, diplômée de l’Ecole normale supérieure de Cachan, doctorante à l’Université de Paris-Sorbonne.

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Eric Roussel

Eric Roussel

Éric Roussel est un écrivain et un journaliste. Docteur en droit, spécialisé dans l'histoire politique, il a été critique littéraire au quotidien Le Monde de 1979 à 1984. Depuis cette date il collabore au Figaro littéraire. Il est l’auteur d’une biographie de Georges Pompidou (1984). Il s'est également intéressé à Jean Monnet (1995), dans un livre qui a remporté le grand prix de l'essai de l'Académie française, le prix Guizot et le prix européen de l'histoire. Sa biographie de Charles de Gaulle (2002) est basée sur de nombreuses archives inédites.

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Les notes prises par Louis Terrenoire en conseil des ministres livrent de précieuses indications sur le fonctionnement du conseil des ministres et le déroulement des séances. Celles-ci se tiennent au premier étage du palais de l’Elysée dans un salon séparé du bureau du général de Gaulle par celui des aides de camp. Elles débutent rituellement, à 10 heures, par un tour de table du général de Gaulle qui serre la main de chacun des ministres, puis le conseil suit l’ordre du jour arrêté par le Général. En général, on évoque d’abord les projets de loi ou décret, les affaires urgentes et on passe ensuite à l’examen de la situation internationale, aux problèmes économiques avant de finir par les questions diverses, nominations et promotions.

Alors qu’après la lecture des travaux de Jean Gicquel l’on pouvait s’attendre à voir un général de Gaulle dominant les séances et les échanges, celui-ci apparaît finalement en relatif retrait. Il laisse les ministres s’exprimer et n’intervient qu’à la fin des échanges. Ses prises de parole se limitent le plus souvent aux questions de politique internationale, de défense et à l’affaire algérienne, conformément à la répartition des domaines d’action entre le Premier ministre et le président de la République voulue par le général de Gaulle. Il se livre alors parfois, à ce que Louis Terrenoire appelle des « amphis » et expose ses positions sur les dossiers majeurs (Algérie, Europe, relations avec les Etats-Unis et l’URSS, ONU). Mais de Gaulle laisse les ministres s’exprimer tout à fait librement même lorsque les points de vue ne convergent pas. Par exemple, Raymond Triboulet n’approuve pas la direction prise par la politique algérienne, notamment à propos du Sahara, et ne manque pas de le rappeler à de nombreuses reprises. Les discussions peuvent être même parfois vives. Louis Terrenoire mentionne un « gros accrochage sur l’amnistie » lors du conseil des ministres du 19 mars 1962. On semble donc bien loin de l’image d’un Président régnant en souverain sur son conseil réduit au silence et à l’exécution. A deux reprises, le général de Gaulle demande même aux ministres et secrétaires d’Etat de donner leur avis sur la politique algérienne ; une première fois au lendemain des « barricades » et une seconde fois lors de la présentation des conclusions des négociations secrètes menées avec le FLN. « Chacun est appelé à se prononcer dans l’ordre du tour de table ». En définitive, le déroulement des conseils des ministres, tel qu’il ressort des notes de Louis Terrenoire, corrobore la description qu’en donne le Général dans ses Mémoires d’espoir : « En dehors de situations dramatiques exigeant soudain de l’État une attitude qui soit tranchée (…), mon action consiste avant tout à tracer des orientations, fixer des buts, donner des directives, à l’organisme de prévision, de préparation, d’exécution, que constitue le Gouvernement. Cela a lieu normalement en Conseil. Une fois par semaine, rarement plus souvent, toujours sous ma présidence, est réuni le Conseil des ministres. Tous y assistent ainsi que les secrétaires d’État, car il n’y a qu’une politique de Gouvernement et, pour ceux qui l’assument, la solidarité ne se divise pas. En face de moi est Michel Debré. A ma droite, j’ai et j’aurai toujours André Malraux. La présence à mes côtés de cet ami génial, fervent des hautes destinées, me donne l’impression que, par là, je suis couvert du terre-à-terre. L’idée que se fait de moi cet incomparable témoin contribue à m’affermir. Je sais que, dans le débat, quand le sujet est grave, son fulgurant jugement m’aidera à dissiper les ombres. La séance se déroule selon l’ordre du jour que j’ai fixé et notifié à l’avance en suivant, d’ordinaire, ce que m’a demandé le Premier ministre et ce que m’ont présenté conjointement le Secrétaire général de la Présidence Geoffroy de Courcel et le Secrétaire général du Gouvernement Roger Belin. Ces deux hauts-fonctionnaires, au centre et au courant de tout, sont spectateurs muets de la réunion et enregistrent les décisions. (…) Chacun peut demander la parole, elle lui est toujours donnée. Dans les cas importants, j’invite tous les membres à faire connaître leur avis. (…) En fin de compte, j’indique quelle est ma manière de voir et je formule la conclusion ».

Louis Terrenoire nous livre également, non sans un certain plaisir, sa perception des personnalités du gouvernement. Il souligne ainsi la longueur et le peu d’intérêt des interventions de Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères, qui « parle, parle, parle, sans nous apprendre quoi que ce soit que nous ne sachions déjà ». Raymond Triboulet « intervient comme toujours sur [l’Algérie], en étant à côté de la plaque » ou encore « Triboulet, têtu comme pas un, remet ça ? ». A propos de Jean Foyer, Louis Terrenoire ne peut s’empêcher de préciser : « Lorsqu’il parle, ce maître d’école devenu ministre se balance sur sa chaise comme un gamin qui ânonne une leçon ». Le ministre de l’Information fait aussi apparaître ses relations difficiles avec Michel Debré qui se montre peu disponible, froid et autoritaire. Evoquant un rendez-vous obtenu avec difficulté, Louis Terrenoire précise : « J’ai réussi à être reçu par le Premier ministre, mais avec quinze minutes de retard sur l’heure prévue. Du coup, il s’est mis à trépigner d’impatience après dix minutes d’entretien. Il s’est borné d’ailleurs à m’écouter. Je ne sais si Debré agit de même avec les autres ministres, mais il préfère donner des directives par écrit, plutôt qu’au cours d’entretiens. Et quelles directives le plus souvent ! Des mots dictés à la hâte à partir d’une information partielle, voire tendancieuse. Des mots brefs, impératifs, ce qui me fait dire que si l’excellent Michel conduit le char de l’Etat, il le fait trop souvent à la façon d’un charretier, en faisant claquer son fouet ». Le Premier ministre « pique » des « colères, excessives et inattendues, à propos de choses qui n’en valent pas la peine ». Mais Louis Terrenoire décrit surtout un Michel Debré déchiré à propos de la question algérienne, partagé entre son désir de maintenir la présence française et la politique de retrait progressif mise en place par le général de Gaulle. Le fidèle gaulliste peine d’ailleurs à comprendre son maintien à la tête du gouvernement. « Lorsqu’on n’a plus la foi, peut-on être curé de la paroisse ? ».

Extrait de "De Gaulle en conseil des ministres, Journal et notes de Louis Terrenoire, porte-parole du gouvernement", écrits présentés par Hélène Boivin, publié aux éditions Eurocibles.  

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