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Déniaisé vitesse Grand V : comment Emmanuel Macron et LREM ont enfin compris qu’ils devaient sortir de l’âge de l’innocence jupitérienne
©EMMANUEL FOUDROT / POOL / AFP

Sous la pression des Gilets jaunes

Emmanuel Macron s'est invité "à la dernière minute" dans un débat-citoyen avec des "gilets jaunes" ce jeudi 24 janvier près de Valence. Dans une longue séance de questions-réponses, le président de la République a balayé un grand nombre des préoccupations des quelques 250 personnes présentes.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Plus que les deux premiers débats qui se faisaient en présence de maires, la participation jeudi soir d'Emmanuel Macron à un débat de simples citoyens semble montrer un virage dans la campagne que mène le Président. Sous la pression, le Président et son parti semblent avoir appris de leurs erreurs de communication et abandonné notamment une forme de hauteur jupitérienne ou de naïveté. Comment s'opère ce virage ?


Edouard Husson : Permettez-moi d’être très sceptique. Oui, le Président essaie de varier dans la forme. Il choisit un format avec des citoyens qui ne sont pas des élus. Il ne s’était pas fait annoncer. Mais en quoi les contenus ont-ils changé? Nous avons eu droit à la défense des 80 km/h; à un discours dilatoire sur la suppression de l’ISF; à l’annonce de la suppression complète de la taxe d’habitation; à l’obsession habituelle de l’équilibre budgétaire. Et puis regardez comment Macron a répondu sur la question du référendum: « Un référendum, c’est parfois la porte ouverte au mensonge! ». Et quel exemple prend-il? Le Brexit, accusant les hommes politiques qui lui étaient favorables d’avoir menti au peuple britannique. La preuve? Le Brexit n’est toujours pas fini deux ans plus tard! Comme si Emmanuel Macron ne faisait pas partie du groupe qui, dans l’Union Européenne, fait tout pour retarder, sinon empêcher la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne. 
Vous me pardonnerez mais je suis très vieux jeu: je crois naïvement que l’homme d’Etat a la responsabilité d’expliquer à tous les citoyens, qui n’ont pas le temps, dans leur vie quotidienne, de prendre connaissance du détail des affaires de l’Etat, ce qu’il en est réellement de l’état du pays et de la marche du monde. Ma référence, c’est le Général de Gaulle et ses conférences de presse à propos desquelles un paysan de l’Orne, qui votait habituellement pour les socialistes, m’avait dit, à la fin des années 1990: « Tu vois, avec le grand Charles, au moins on comprenait ce qui se passait dans le monde. J’arrêtais mon tracteur pour aller l’écouter à la radio. Et j’avais l’impression de devenir plus intelligent ». 
Eh bien! Je ne pense pas, franchement, que les auditeurs d’Emmanuel Macron, ce soir, soient ressortis éclairés. Et je suis impressionné par la charge de violence de beaucoup des réponses du Président. Qu’il réponde à un spectateur qui l’interpelle sur son passé de banquier, c’est une chose; mais qu’il insinue qu’il est attaqué sur son passé professionnel parce que la banque dans laquelle il a travaillé « ne s’appelle pas Dupont », c’est-à-dire que son interlocuteur serait un antisémite inavoué - puisque Macron a travaillé chez Rothschild - cela relève du procès d’intention et de l’insinuation pure et simple.  Un président ne devrait pas dire cela. 
Et puis on aimerait que le Président mît la même charge émotionnelle dans les négociations avec les partenaires européens qui ne veulent pas de la mutulisation des dettes dans la zone euro !  

Dans le même temps, des Gilets jaunes ont décidé ce même jeudi de jouer la carte politique et présentent une liste. L'opportunité n'est-elle pas trop belle pour le Président, qui peut désormais se targuer d'avoir ramené le bon sens dans le débat politique?


Les premiers sondages voient le Rassemblement National baisser avec la présence d’une liste des Gilets Jaunes. Emmanuel Macron en profitera apparemment. Attendons de voir, cependant, car la tentation sera forte, pour le Président et son parti, de ridiculiser une prétendue naïveté ou incompétence des Gilets Jaunes sur la question de la construction européenne. Disons que l’apparition d’une liste des Gilets Jaunes contribue à première vue à disperser un peu plus les forces d’opposition. Cependant la construction d’un grand parti d’opposition ne se décrète pas. Le plus frappant, sans aucun doute, dans la situation actuelle, c’est que le Rassemblement National ne soit pas sûr, quelle que soit la configuration, d’arriver en tête. En fait, le jeu politique est bloqué, faute d’alternance véritable en perspective. Laurent Wauquiez n’en finit pas d’enterrer LR; et le PS est un fantôme. Dans ce paysage figé, Emmanuel Macron, jusqu’à maintenant aussi incapable de changer que les autres, joue simplement la carte de l’organisation de rencontres qui puissent faire dire qu’il est un homme de débat. Mais regardez comme nous avons toujours affaire à la même séquence: le président tâche de se maîtriser (inauguration au Louvre; stature figée lors de son allocution du 10 décembre 2018; organisation du Grand débat); mais le naturel revient vite (omniprésence dans les médias dès l’automne 2017, contre toutes les promesses faites pendant sa campagne; discours des voeux 2019 dénonçant la « foule haineuse », forte charge d’agressivité envers de nombreux interlocuteurs durant la séquence impromptue du débat national). Tout se passe comme si Emmanuel Macron vivait les institutions comme une contrainte, par laquelle il faut repasser de temps en temps, avant de lâcher la bride à un naturel apparemment irrépressible, qui relève de l’individualisme le plus banal mais au fond inapproprié à la fonction exercée. 
Je vais donc, là encore, contredire  l’une de vos formules: Emmanuel Macron ne ramène pas le bon sens dans le débat, avec tout ce qu’il implique de concret. il ne sort pas des catégories a priori de la raison qu’il applique en permanence au réel. 

Sur le fond, la donne politique en sort-elle pour autant changée ? Si le pouvoir retourne la situation, ne risque-t-il pas sur le plus long terme de créer de nouvelles déceptions, ou des frustrations  ?


Au risque de répondre à chaque fois de manière paradoxale, la combativité du Président  fait bien bouger les lignes. Emmanuel Macron va profiter à plein de ce qu’il est protégé par les institutions de la Vè République. Il reste au centre du jeu politique. Et il fait bien de ne pas s’enfermer à l’Elysée comme dans un camp retranché. Bien entendu, depuis la terrible confrontation du Puy-en-Velay, tout est fait pour éviter au Président les confrontations improvisées. Le public auquel il a fait face hier soir était au fond assez conciliant. Dans tous les cas, Emmanuel Macron se trouve dans une situation où il ne doit ni reproduire les rassemblements convenus de sa campagne ni se lancer dans les lassants monologues de ses interventions depuis 2017. Surtout, petit à petit, on va voir dans quelle mesure il est capable de développer une empathie avec les 50 à 60% de la population pour lesquels son discours n’est pas adapté: une France provinciale, périphérique, considérée comme non prioritaire dans le contexte de l’UE et de la mondialisation. Pour l’instant, cela ne semble pas être la cas mais attendons de voir. Emmanuel Macron a devant lui une occasion: mettre les intérêts du peuple français au coeur de toutes ses décisions politiques. N’est-ce pas évident, me direz-vous, quand on est président de la République française? Apparemment non, puisque François Mitterrand a fait le choix inverse en 1983: il a abandonné les catégories populaires qui l’avaient élu pour se glisser dans le confort douillet de la fréquentation permanente des classes supérieures européennes. Et tous les successeurs lui ont emboîté le pas, quels que fussent les discours - sur « la fracture sociale » (Chirac), « travailler plus pour gagner plus » (Sarkozy) ou « la dictature de la finance » (Hollande). Emmanuel Macron, lui, n’a pas fait semblant de défendre le peuple durant sa campagne électorale. Il a mis en oeuvre une politique qui est celle de la France adaptée à la mondialisation. Sera-t-il capable de découvrir le peuple? Depuis le début de la crise des Gilets Jaunes, il y a beaucoup de raison d’être sceptique: ordres d’une grande brutalité à la police, refus de même citer les Gilets Jaunes, maintien du cap politique après des concessions limitées. Cependant, s’il s’obstine à ignorer les souffrances du peuple français, le Président sera de plus en plus fragilisé; c’est pourquoi la séquence actuelle est une épreuve de vérité: soit nous assistons à une profonde transformation d’Emmanuel Macron; soit nous nous enfonçons plus dans une crise politique à l’issue incertaine pour l’hôte de L’Elysée. 

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