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Jacques Chirac, ce soudard amateur de bières et de belles femmes qui s'est avéré être un excellent chef des armées
©PATRICK KOVARIK / AFP

Bonnes feuilles

Le général Henri Bentégeat vient de publier "Chefs d'Etat en guerre" aux éditions Perrin. Dans cet ouvrage il aborde la question du pouvoir face à la guerre à travers la métamorphose suprême du chef d'Etat en chef des armées de 1850 à nos jours. Extrait 2/2.

Henri Bentégeat

Henri Bentégeat

Le général d'armée Henri Bentégeat a été chef d'état-major particulier du président Jacques Chirac de 1999 à 2002, puis chef d'état-major des armées jusqu'en 2006.

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« C’est son tour ! », avait dit François Mitterrand. Ce 17 mai 1995, l’ambiance est joyeuse et détendue dans la salle des fêtes de l’Elysée. La passation des pouvoirs entre le vieux monarque épuisé par la maladie et son toujours fringant successeur se fera en douceur, dans une étonnante complicité. Comme d’habitude, les adjoints du chef de l’état-major particulier sont parqués dans le coin le plus éloigné. Je proteste inutilement auprès de l’agent du protocole qui ne fait qu’appliquer la règle : « Vous verrez, avec Chirac tout va changer. Les militaires retrouveront leur place. » Dans les armées, on se réjouit ouvertement. Le nouveau président n’a jamais caché son intérêt pour la chose militaire. Lieutenant décoré au feu, colonel de réserve diplômé d’état-major, il est surtout un patriote intransigeant et l’héritier affiché du gaullisme. Beaucoup d’officiers croient se reconnaître dans ce chef audacieux tourné vers l’action, ce bon vivant jovial au langage cru.

 De fait, l’expérience, le caractère et les goûts de Chirac le prédisposent à l’exercice de la fonction de chef des armées. Pourtant, les plus hauts responsables militaires pressentent, pour leur part, que l’homme qui enjambe quatre à quatre les marches du perron de l’Elysée n’est plus le lieutenant du Djebel, mais un politique de haut vol, rompu à toutes les manœuvres, plus expérimenté que Mitterrand lui-même en 1981. Deux fois Premier ministre, maire de Paris dix-huit ans, il connaît personnellement tous les grands de ce monde. Le temps et les échecs ont apaisé l’ardeur et l’impatience de celui qu’on surnommait  le « bulldozer » de Pompidou. Les commentateurs qui le décrivent comme un soudard, amateur de bière, de charcuterie et de jolies femmes n’ont pas percé la cuirasse de cette personnalité complexe et secrète. Philippe Bas, qui passa dix ans auprès de lui, le décrit comme un homme « à la fois sensible et retenu, jamais hautain ou méprisant, attentif aux autres et discret sur lui-même, sachant écouter, souple, patient, prudent, ouvert au compromis, mais déterminé, volontaire, rapide, doté d’une exceptionnelle autorité naturelle ». Ceux qui le moquent de préférer la musique militaire aux Variations Goldberg ignorent son intimité avec les arts asiatiques ou africains, son engouement pour les coutumes arabes ou juives… Je l’ai entendu, un soir d’avril 1999, déclamer, dans un restaurant de Washington où il avait convié ses collaborateurs, des poèmes entiers, de concert avec le chef du protocole.

Le président Chirac revendique, on l’a dit, l’héritage gaulliste. Nul n’ignore pourtant sa sensibilité sociale et humaniste. A 18 ans, il a signé l’appel de Stockholm qui exigeait l’« interdiction absolue de l’arme atomique » et il a vendu L’Humanité, sans aller toutefois jusqu’à adhérer au parti communiste. Pendant son service militaire, il a soutenu la cause de l’Algérie française, alors défendue par Guy Mollet et la SFIO. C’est seulement en 1960, stagiaire de l’ENA à Rocher-Noir, près d’Alger, qu’il s’est rallié à la politique du Général, après l’épisode des barricades. Son entrée en gaullisme n’est effective qu’en 1963 quand il rejoint le cabinet du Premier ministre, Georges Pompidou, son vrai tuteur en politique. De l’homme du 18  juin, il retient surtout le « culte de la grandeur de la France » que lui martèlent Pierre Juillet et Marie-France Garaud. Pourtant, convaincu que le gaullisme n’est pas une politique – nécessairement contingente – mais un but et une détermination, ce patriote s’est fait « européen, non de passion, mais de raison », comme il l’écrit dans ses Mémoires. Au fond, il se sent proche de François Mitterrand qu’il a souvent croisé depuis 1994. Une même sensibilité radicale, l’amour de la France et de son indépendance, mais aussi le courage, la culture et une haute idée de la fonction présidentielle les unissent. Il s’en distingue néanmoins sur quelques points essentiels, affaire de goûts et de tempérament : le refus, d’abord, d’être prisonnier du passé. Ignorant la nostalgie, indifférent à sa trace personnelle dans l’Histoire, il vit dans le présent et pour l’avenir ; l’audace, ensuite. S’il ne dédaigne pas la ruse ou le compromis, il porte le fer aussi loin que les circonstances le permettent; l’intérêt pour les questions militaires, enfin, qui lui donne un puissant levier pour engager la force à bon escient.

Extrait de "Chefs d'Etat en guerre" du général Henri Bentégeat, publié aux éditions Perrin.

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