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Inégalités  : la France est allée au maximum de ce que la redistribution fiscale permettait. Voilà ce qui pourrait être fait désormais
©JOEL SAGET / AFP

Passer à la vitesse supérieure

Le modèle social français redistribue des revenus de manière importante et, sans redistribution, plus d’un Français sur cinq vivrait sous le seuil de pauvreté. Mais la redistribution a peut-être atteint ses limites de correction.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Au regard du graphique ci-dessous, émanant des travaux de Thomas Piketty, ne pourrait-on pas considérer que le seuil de redistribution a été atteint et que l’essentiel serait de trouver le moyen de corriger les inégalités de revenus primaires ?

Michel Ruimy : Que nous enseigne cette courbe ? Que le modèle social français redistribue des revenus de manière importante et que, sans redistribution, plus d’un Français sur cinq vivrait sous le seuil de pauvreté mais aussi nous interpelle en nous signifiant que, peut-être, la redistribution a atteint ses limites de correction.

En 2014, environ 14% des Français vivaient sous le seuil de pauvreté, fixé à 60% du revenu médian. Selon le ministère des Solidarités et de la Santé, ils auraient été près de 22% si les transferts sociaux et fiscaux n’avaient pas existé. Le système redistributif permet ainsi de réduire de près de huit points le taux de pauvreté en France. Dans l’immense majorité des cas, les prestations sociales réduisent, à elles seules, l’intensité de la pauvreté mais ne sont pourtant pas d’un montant suffisant pour faire passer au-dessus du seuil de pauvreté, les personnes qui disposent de ressources modestes (salariés au Smic à temps partiel, familles monoparentales…). Ainsi, depuis près de quarante ans, mieux vaut toujours hériter que travailler… pour celles et ceux qui le peuvent !

Dès lors, une autre manière de réduire ces inégalités ne résiderait-elle pas, notamment, dans la correction des revenus primaires ? En effet, il ne faut pas croire que l’on puisse résorber ces inégalités seulement par la fiscalité. Lorsque les différences de revenu deviennent trop importantes, la fiscalité ne peut plus y remédier sinon cela nécessiterait de créer des taux de prélèvement de l’ordre de 75 - 80% qui seraient confiscatoires et insupportables. Il faut donc combattre le creusement des inégalités à la racine et le seul moyen d’éviter de laisser dériver les inégalités salariales, c’est de miser sur l’éducation qui déboucherait sur un emploi qualifié, bien rémunéré. Car les différences de qualification se trouvent désormais démultipliées par les nouvelles technologies (Internet, outils informatiques...). La seule façon d’y remédier est d’investir massivement afin de pousser la plus grande partie d’une génération vers les qualifications les plus hautes. Il faut faire en sorte que chacun soit en capacité d’accéder à des opportunités, y compris à celle de gagner de l’argent.

Par ailleurs, une des caractéristiques de nos sociétés est la polarisation du marché du travail entre des emplois très qualifiés, très bien rémunérés et des tâches « bas de gamme ». En France, si le Smic est un instrument qui tempère ces écarts dans la distribution des revenus, ce n’est pas tout. Il faut aussi prendre en compte les discriminations car souvent ce sont les mêmes personnes qui les subissent. Augmenter par exemple les retraites des femmes, de 30% inférieures à celles des hommes en France, revient à corriger deux types d’inégalités dont les femmes sont victimes.

Enfin, il convient également de s’interroger sur ce qui fonde le système de valeurs qui guide nos sociétés. Les compromis égalitaires mis en place dans un pays, au sein de son système éducatif ou de son marché du travail, sont en lien avec les valeurs égalitaires portées par ses citoyens. Dans les pays nordiques, l’intervention de l’État dès le début de la vie et de manière continue repose sur les attentes de la population envers les services publics. Inversement, l’éloge du « self-made-man » américain a engendré des compromis plus inégalitaires.

De manière générale, les valeurs qui mettent en avant la responsabilité individuelle dans la réussite ou l’échec constituent un obstacle important à la correction des inégalités. Il n’existe aucune fatalité, aucun déterminisme historique à l’inégalité.

Ne peut-on pas voir également ici le résultat d’une forme de capitalisme dévoyé sur la période concernée par le graphique (1990-2015) illustré par des grands groupes dont les revenus sont « privatisés » alors que les pertes peuvent parfois être assumées par la collectivité des contribuables, enlevant ainsi toute notion de risque pourtant inhérente au capitalisme ?

Souvent en période de crise, comme celle de 2008, avec les interventions publiques,les critiques sur le thème de l’opposition entre socialisation des pertes (injections de capitaux par la puissance publique sous diverses formes dans le système financier pour éviter les crises de liquidité ou les faillites bancaires)et privatisation des profits (les profits vont dans la « poche » des propriétaires du capital)reviennent dans le débat public : la puissance publique paierait les pertes liées à la crise alors que les profits accumulés en période d’expansion iraient uniquement dans les poches des acteurs privés, ce qui serait injuste voire scandaleux.

Alors qu’il aurait pu investir ailleurs, l’Etat vient au secours d’entreprises à large surface financière alors qu’il ne fait pas grand-chose pour des personnes les plus démunies, accroissant encore plus le sentiment d’injustice et d’inégalité sociales dans la population.

Raison supplémentaire pour que l’aide de l’Etat s’accompagne d’une socialisation / nationalisation des entreprises, qui évitent efficacement que le contribuable ne soit spolié lors des opérations de sauvetage. L’occasion serait bonne aussi d’imposer l’interdiction de certaines pratiques jugées intolérables : « parachutes dorés » (indemnité généreuse versée à un dirigeant d’entreprise lors de son départ), rémunération des traders en liaison avec des prises de risques excessives et / ou inconsidérées, interdiction des opérations financières purement spéculatives….

En fait, il ne faut pas tout mélanger. Il faut rappeler succinctement que ce type d’interventions qui ont été réalisées lors de la crise des subprimes, a été rendu nécessaire par le caractère de bien collectif de la monnaie et du système financier.En outre, l’idée que les profits restent dans les entreprises est l’essence même du capitalisme, système très imparfait, mais qu’on ne sait pas remplacer pour le moment : le profit est l’incitation qui mène à l’entreprise, à l’innovation, au progrès économique.Mais, comme toujours, il y a des déviances.

De plus, des initiatives ont été, déjà et dans une certaine mesure, engagées afin d’encadrer ces usages : les bonus des traders sont encadrés, l’activité des banques ont été plus sévèrement réglementées… Mais, tout ceci ne présage pas de nouvelles pratiques que nous découvrirons à l’occasion lors de la prochaine crise…

Par quels moyens cette correction des inégalités des revenus primaires pourrait-elle se mettre en place ?

Pour cela, il convient de rendre la société plus juste. Ceci passe par des mesures concrètes en faveur de l’égalité des chances et des hiérarchies moins pesantes.Il existe deux approches. La première est pragmatique. La montée du chômage fragilise les moins qualifiés et rouvre le débat sur les inégalités : il « suffirait » de réduire le chômage pour que tout rentre dans l’ordre. La seconde, plus idéologique, accuse la faille de notre modèle occidental de capitalisme régulé et prône un changement radical de système.

Rendre une société plus juste passe aussi par l’accès de chacun à tous les possibles, l’abolition de tous les privilèges (argent, école…).

Tout d’abord, mieux vaut prévenir que guérir. Il convient d’agir, en particulier dans le système scolaire, en donnant des chances à chacun. Les moyens consacrés aux enfants en difficulté ne sont pas à la hauteur. Le gouvernement veut les « concentrer » sur les publics les plus en difficulté tout en soulignant que l’échec scolaire concerne un public très large ! Il faudrait investir dès l’école maternelle. Par ailleurs, au lieu d’introduire de plus en plus de matières de plus en plus tôt (comme l’anglais) au profit des bons élèves, il serait préférable d’allonger les cursus conformément à l’allongement de la vie et se concentrer sur les savoirs de base. Pourquoi, par exemple, ne pas apprendre à lire à 7 ans comme c’est le cas dans les pays scandinaves au lieu de 5 ou 6 ans ? La proposition paraît incongruemais la maîtrise de la lecture nécessite la connaissance d’un certain nombre de mots, et que plus on apprend tôt, plus les enfants de milieux défavorisés ont de chances de se trouver en échec faute de posséder un vocabulaire suffisant.

Ensuite, les inégalités de revenus reflètent notamment le pouvoir de négociation des salariés au sein de l’entreprise. Le chômage de masse et la précarité ont fait basculer le rapport de force en faveur de l’employeur au détriment des salariés les plus fragiles et les moins qualifiés. Sans attendre le retour du plein-emploi, il est pourtant possible de mieux respecter le droit du Travail. L’émergence de nouveaux droits, associés à la personne plutôt qu’à son emploi, permettrait-elle de redonner des pouvoirs aux salariés malgré la précarisation des emplois ?comme la nouvelle législation relative à la formation qui s’est améliorée mais demeure encore insuffisante pour les moins qualifiés.

Par ailleurs, il serait bien venu de mieux distribuer, à tous les niveaux d’abord, en supprimant au maximum les dispositifs de « niches fiscales » qui constituent de véritables privilèges pour certains contribuables sans oublier la mesure la plus coûteuse pour l’Etat, le mécanisme du quotient familial, qui n’existe qu’en France et qui consiste à alléger l’impôt des familles en proportion croissante de leur niveau de revenu (avec un plafond tout de même) ! Enfin, la TVA, qui constitue la plus importante des ressources fiscales de l’Etat, pourrait jouer un rôle davantage redistributif, par une modulation des taux en fonction des biens.

Après, il serait pertinent de permettre à chacun d’avoir accès aux services publics existants et aussi se donner les moyens de répondre à des besoins collectifs nouveaux. Tout le monde dénonce, par exemple, l’insuffisance des capacités d’accueil en crèche, qui permettraient aux femmes de mieux conjuguer vie professionnelle et vie familiale, compte tenu de l’inégal partage des tâches domestiques. Mais les politiques publiques n’ont jamais été à la hauteur. Il en est de même dans le domaine du logement social, dont le parc ne progresse guère en dépit des annonces du gouvernement.En diminuant les impôts, la France choisit d’accroître le pouvoir d’achat des catégories aisées, plutôt que d’améliorer la qualité de ses services collectifs, tant au niveau national qu’au niveau local. Or, les services collectifs, de l’éducation à la santé, en passant par les transports, le logement et la culture, sont des facteurs de réduction structurelle des inégalités et porteurs de mobilité sociale. 

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