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Discours du Caire : quel bilan pour la politique arabo-musulmane de Barack Obama ?
©ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / POOL / AFP

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Dix années après le retentissant discours du Caire de Barack Obama, s'adressant au monde arabo-musulman, Mike Pompeo s'apprête à formuler un tel discours, attendu comme une réponse à ce qui avait annoncé en 2009.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico : Quel bilan peut-on dresser du discours de Barack Obama en 2009, quelle a été son influence et comment la politique menée s'est-elle démarquée de celle de son prédécesseur, George W. Bush ?

Roland Lombardi : Les détracteurs de l’ancien président américain ont déploré qu’en matière de politique étrangère, Barack Obama s’était, durant ses deux mandats, contenté de réagir timidement aux évènements, au lieu d’adopter une stratégie beaucoup plus proactive. C’est cette relative « passivité » et ses retenues qui lui sont aujourd’hui reprochées. Certains évoquent même un bilan pitoyable vu que l’Amérique sous l’administration Obama paraît avoir reculé sur tous les fronts. Pour ma part, même si j’ai souvent critiqué le président américain, tout compte fait, je dirais que son bilan fut finalement plus mitigé et moins négatif qu’on pourrait le croire. D’abord, car l’ancien locataire de la Maison Blanche a, au final, respecté tant bien que mal la plupart de ses promesses électorales de 2007, comme le retrait stratégique du Moyen-Orient (grâce à l’indépendance énergétique américaine). Notamment, en mettant fin aux opérations en Irak et en Afghanistan mais tout en poursuivant la lutte contre le terrorisme, le rééquilibrage de la présence militaire et l’investissement stratégique américain en Europe et au Moyen-Orient au profit de l’Asie-Pacifique (« pivot vers l’Asie ») et enfin, la fin des antagonismes avec les « adversaires » et les « ennemis » du passé (« reset »).

En effet, en 2015, Obama avait conclu d’importants accords commerciaux en Asie et négocié notamment un grand traité de libre-échange, le Partenariat transpacifique (TPP), avec Brunei, le Japon, le Vietnam, la Malaisie, Singapour, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Chili, le Pérou, le Mexique et le Canada (la Chine étant exclue bien sûr). Or, dès son arrivée au pouvoir, en janvier 2017, Donald Trump désengagea, par décret, les Etats-Unis de cet accord.

Par ailleurs, l’ancien président américain avait également normalisé les relations avec Cuba (2014) et surtout, on s’en souvient tous, signé, en juillet 2015, l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Mais là encore, Trump en est sorti au printemps dernier.

Seul bémol dans la politique des « reset », c’est qu’avec la Russie, ça n’a pas du tout abouti…

Enfin, l’autre déception concerna le Moyen-Orient. Notamment la paix promise, lors du célèbre et très beau discours du Caire de juin 2009, au Proche-Orient et notamment entre Israéliens et Palestiniens. En effet, comme l’élection du premier président noir à la Maison Blanche, le discours du Caire, au ton très irénique, suscita un immense espoir. Malheureusement, comme on le sait, ces belles paroles se sont fracassées sur le mûr des réalités compliquées de la région, des Printemps arabes et du chaos généralisé qui s’en suivit. De fait donc, le statut quo dans le dossier israélo-palestinien durant huit années, voire la « brouille » entre le président américain et le Premier ministre israélien, fut patent. Et hormis, l’accord sur le nucléaire iranien évoqué plus haut ainsi que sa prise de distance avec les Saoud, Obama ne rencontra que des difficultés.

Certes, l’élimination au Pakistan du chef d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden, en mai 2011, fut l’un des succès du président américain. Par ailleurs, l’administration Obama intensifia sa lutte contre le terrorisme en privilégiant le renseignement, les forces spéciales et les drones (51 frappes par des drones sous Bush et plus de 500 sous Obama). Mais en Irak et en Afghanistan, il s’est avéré que le retrait militaire de la région avait peut-être été prématuré. Et effectivement, Obama a très vite été obligé de renforcer les troupes américaines en Irak (principalement des forces spéciales) et surtout, de relancer des frappes aériennes contre Daesh en Syrie et en Irak à partir de septembre 2014. Son « lâchage » de Moubarak en Egypte puis son soutien aux Frères musulmans se révélèrent désastreux.

De plus, beaucoup ont reproché encore à Obama, l’absence de réaction lorsque la ligne rouge des armes chimiques a été franchie en août 2013. Mais peut-on réellement le blâmer ? A l’opposé de l’inconséquent président français de l’époque, qui lui était alors prêt à en découdre (et qui fut encore pitoyablement humilié par la suite), peut-être que le locataire de la Maison Blanche, devant aussi le désistement des Britanniques, a préféré, à une intervention aux conséquences incontrôlables, une négociation avec les Russes et ce pour une issue beaucoup plus raisonnable. Ce sursaut de réalisme salvateur du président américain était peut-être aussi dû au souvenir des désastreux épisodes irakien mais également libyen (où il avait été entraîné à contre cœur par Camerone et Sarkozy) et aux premiers rapports alarmistes du Pentagone faisant état de l’inéluctable échec de leur soutien aux rebelles syriens (dont la majorité s’est révélée être de fieffés jihadistes !).

Certes, les intelligentsias occidentales ont alors beaucoup critiqué la « passivité » et la politique, trop modérée à leur goût, d’Obama en Syrie (comme en Ukraine). C’est vrai que nos belles âmes va-t-en-guerre sont toujours très courageuses…mais avec le sang des autres ! Le prix Nobel de la paix de 2009 a, quant à lui, choisi la prudence et, lucide, ne voulait vraiment pas être un nouveau fauteur de guerre. Plus qu’ailleurs, en politique internationale, mieux vaut souvent ne rien faire que faire n’importe quoi !

L’Histoire nous révèlera peut-être que le président Obama, avait alors résisté tant bien que mal, durant ses deux mandats, à de nombreuses pressions et influences néfastes. Pressions des différents lobbies (notamment anti-russes, pro-saoudiens…), de certains stratèges et responsables de la CIA, encore bloqués sur les vieux logiciels de la Guerre Froide et « de la carte islamiste », et enfin, des néocons, des dangereux idéologues de son parti et de son administration. Ainsi, même s’il a beaucoup déçu certains en louvoyant, temporisant et en faisant le moins de vagues possibles, en définitive, Obama nous a peut-être évité le pire dans la région.

Comment articuler, du cycle néoconservateur à Donald Trump, la politique américaine au Moyen-Orient, et comment juger des résultats obtenus par chacun des présidents ? Dans quelle mesure peut-on voir une filiation plus importante entre Barack Obama et Donald Trump qu'entre George W. Bush et son successeur ?

Très rapidement, il faut rappeler que depuis la fin du mandat de Bush père en 1993, les administrations successives américaines, et notamment le Secrétariat d’Etat, n’ont été dirigés que par des néo conservateurs (de 2001 à 2009 avec Bush fils) ou des démocrates (de 1993 à 2001 avec Bill Clinton et de 2009 à 2017 avec Barack Obama). Soit près d’un quart de siècle d’une politique étrangère quasi continue et qui était grosso modo basée sur les mêmes logiciels idéologiques. Ainsi, durant des décennies, la politique américaine dans la région était centrée sur le monopole des approvisionnements stratégiques du Moyen-Orient (pétrole et gaz). Cet impérialisme américain se basait alors sur les concepts bien connus des néo conservateurs et de certains idéologues de Washington (qui par ailleurs n’avaient qu’une connaissance très limitée des réalités, des particularités et des spécificités sociologiques et ethniques d’un monde arabo-musulman trop souvent fantasmé et idéalisé) : les utopiques regime change et nation bulding ainsi qu’une certaine « bienveillance » à l’égard de l’islam politique. Beaucoup de « savants » et « conseillers » de la côte Est américaine, comme à Paris d’ailleurs, ont alors cru naïvement que les démocraties pouvaient naître d’un claquement de doigts au Proche-Orient et, plus grave, qu’on pouvait dès lors, pour faire tomber les méchantes dictatures, miser sur des islamistes prétendument « modérés » ! On a vu le résultat en Irak, en Afghanistan et également en Libye !

C’est la raison pour laquelle la politique américaine jusqu’ici au Moyen-Orient fut très impopulaire dans le monde arabe mais également dans la grande majorité de l’opinion américaine. Et comme vous le dites dans votre question, l’actuel et sulfureux président américain se révèle en effet beaucoup plus proche d’Obama qu’il n’y paraît. Reste à savoir si Trump, le businessman impatient et mégalomane (mais qui veut être tout de même réélu et qui surtout veut marquer l’histoire) réussira là où Obama, le politicien, pur produit de l’establishment américain, a échoué, comme nous l’avons vu et pour les raisons évoquées plus haut.

Quels ont été les effets de ce changement de doctrine sur les différents acteurs de la région ?

Paradoxalement, même si, comme je l’ai dit précédemment, la présence américaine est impopulaire dans le monde arabe et au Proche-Orient, le nouvel anti-interventionnisme et le « désengagement » américain (somme toute très relatif – cf. les dernières déclarations contradictoires de l’administration Trump et comme je l’annonçais dans vos colonnes dernièrement1) inquiètent les différents acteurs de la région. D’où la grande tournée au Moyen-Orient ces jours-ci, du Secrétaire d’Etat, Mike Pompeo. Après la Jordanie, ce dernier vient de faire une visite surprise en Irak (où il a rencontré des responsables kurdes) puis il se rendra en Egypte (où il devrait faire un discours très symbolique), à Bahreïn, à Abou Dhabi, au Qatar, en Arabie saoudite, à Oman et au Koweït. Assurément, le chef de la diplomatie américaine joue en quelque sorte les « good cop » (Trump étant bien sûr le « bad cop »). Fin politique et habile diplomate, Pompeo vient tout simplement dans la région afin de calmer et rassurer les alliés des Etats-Unis en expliquant la nouvelle stratégie américaine. Mais au final, sauf incident grave, la volonté de Trump (qui, ne l’oublions pas, méprise cette région et considère l’interventionnisme de Washington trop coûteux et électoralement, très peu bénéfique...) finira à terme par se concrétiser. Un « désengagement » américain (encore une fois très relatif et très progressif) accompagné d’un « Yalta régional » avec la Russie, semblent alors inéluctables.

1https://www.atlantico.fr/decryptage/3561958/syrie--le-retrait-americain-laisse-la-patate-chaude-aux-russes-et-aux-francais--lombardi?fbclid=IwAR3IXShbGlFfbiy8pK-4tOeivyAiG18xq8lvj9d2cVULIIgVWF19CMDMbGM

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