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 Pourquoi les figures autoritaires accompagnent souvent les moments où le peuple demande à reprendre le pouvoir
©Thibaud MORITZ / AFP

A bon entendeur, salut !

Philippe Bornet a publié "Demain la dictature" aux éditions "Presses de la Délivrance". Dans cet ouvrage, il aborde la question de la dictature. Le mouvement des Gilets jaunes et la mobilisation des citoyens sont-ils les signes d'une volonté d'un retour à un pouvoir politique autoritaire ?

Philippe Bornet

Philippe Bornet

Philippe Bornet, ancien journaliste, écrivain et essayiste est historien du futur.

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Atlantico : Dans votre livre "Demain la dictature" paru aux éditions "Presses de la Délivrance", vous pointez d'emblée une enquête IFOP de novembre 2018 qui concluait que 41% des Français sont d'accord pour confier le pays "à un pouvoir politique autoritaire, quitte à alléger les mécanismes de contrôle démocratique". Cette appétence apparente pour une certaine forme de dictature est-elle pour autant une nouveauté si l'on se replonge dans l'Histoire ?

Philippe Bornet : La manière dont vous formulez votre question montre que vous éprouvez vous-même un doute sur la validité de ce sondage qui est pourtant confirmé par le baromètre politique du Cevipof. Année après année, environ la moitié des sondés prend une position identique. 42% veulent « un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections ». Ce chiffre était de 51% en 2015.

De la même manière que les femmes sont souvent misogynes, le peuple français est assez peu démocrate. « La France, elle est  poignarde », s’exclamait un partisan du général Boulanger ! Elle aime les hommes à poigne.

Le dictateur, magistrat légal bénéficiant d’une large assise populaire, surgit périodiquement dans notre Histoire, à chaque fin de République pour siffler la fin de la récréation : Napoléon et Louis-Napoléon Bonaparte, Pétain, De Gaulle. Le dictateur est une invention de la république romaine qui y a recouru des dizaines de fois et la légitimité de ce magistrat d’exception est universellement reconnue tant par des théoriciens comme Cicéron qui lui promet même le paradis, que par Rousseau dans son Contrat social. Les Lumières ont le culte du « despote éclairé » tandis que Donoso Cortès et Carl Schmitt travaillent à valider par leur travaux sa validité politique. Pour Cortès (1809-1853), la dictature est « un gouvernement légitime, un gouvernement aussi bon et aussi avantageux qu’aucun autre, un gouvernement rationnel qui peut se défendre dans la théorie comme dans la pratique ».

Comment expliquer selon vous cette appétence  (volonté de reprise en main de son destin dans une société où l'on peut avoir l'impression d'avoir perdu la main quant à notre avenir)? Quel est le plus grand changement notable par rapport à l'Empire ou même, sous la Ve République, De Gaulle ?

La multitude n’a qu’une appétence, s’ordonner elle-même à l’Un et devenir ainsi un peuple, le plus grand corps de la Nation. C’est un paradoxe formulé par Thomas Hobbes : Rex est populus. Le Roi c’est le peuple. Le peuple ne peut s’exprimer que quand il a une tête pour parler. Quand Louis XVI a été guillotiné, le peuple est retombé en poussière et n’a plus eu pour s’exprimer que des représentants à mandat délibératif et non impératif. « Participation illusoire et toute métaphysique » ironisa le général Bonaparte après avoir pris connaissance des théories de Sieyès.

Pour cette raison, la multitude des gilets jaunes s’assemblent sur les ronds-points. Ils sont poussés par la sensation confuse mais prégnante d’un malaise politique et recherchent, sans peut-être en avoir une notion claire, un homme providentiel. « Ce génie tutélaire, disait encore Napoléon, une Nation nombreuse le renferme toujours en son sein… Mais que ce sauveur, impatiemment attendu, donne tout à coup un signe d’existence, l’instinct national le devin et l’appelle, les obstacles s’aplanissent devant lui et tout un peuple, volant sur son passage, semble dire : Le voilà » !

Le seul changement notable entre les dictateurs antiques et contemporains est l’apparition, le 6 juillet 83 av. J.-C., du dictateur souverain avec le proconsul Sylla qui, contrairement à ses prédécesseurs, disposait d’un mandat qui n’était pas limité dans le temps ni l’espace pour réformer l’Etat. Phénomène disruptif au sens propre du terme. En électricité, est disruptif le jaillissement soudain d’une étincelle dans un circuit qui change la nature de l’isolant. Ici, la foudre politique tombe et modifie la nature du régime qui passe de démocratie à monarchie. De Sylla à nos jours, le concept de dictature est marqué par une étonnante stabilité au cours des siècles : le dictateur est un général prestigieux -donc vainqueur, dont l’âge et l’origine inspirent confiance à une oligarchie en perdition, qui se fait attribuer légalement tous les pouvoirs, par menace ou séduction, rétablit l’ordre, et partage le butin avant de solliciter l’approbation populaire.

Selon vous cette envie d'autoritarisme s'explique-t-elle plus par la nostalgie d'une époque fantasmée ou par une réelle volonté de "remettre de l'ordre" dans une société ou le désordre semble omniprésent ? Ou les deux ?

Il n’y a pas d’envie d’autoritarisme qui serait un excès d’autorité mais un besoin d’autorité. Point de nostalgie mais un besoin fondamental du citoyen d’être gouverné par un souverain. La souveraineté comporte deux composantes : la puissance (potestas) qui est une composante masculine et l’autorité (auctoritas) qui est une prérogative féminine. Rome avait codifié clairement tout cela il y a deux mille cinq cents ans. Il suffit de savoir lire et d’aller visiter l’Ara Pacis sur les bords du Tibre où l’empereur Auguste a fait graver : « Je n’ai pas eu plus de potestas que quiconque, en revanche, je l’ai emporté sur tous les autres magistrats en auctoritas ».

L’auctoritas est la faculté pour le Souverain de se faire obéir sans contrainte. L’auctoritas est le seul moyen de se faire obéir d’un peuple libre et fier comme le peuple français. Or la dictature se définit comme une brusque résurrection de souveraineté par restauration de l’auctoritas. L’autorité restaurée, tous les citoyens obéissent librement. Tout devient simple et aisé ; le devoir de chacun est clairement indiqué. L’ordre réapparait sous le soleil bienfaisant de la Souveraineté nouvelle. Cosmos, cosmétique : ce mot désigne en grec aussi bien une armée en ligne de bataille que la chevelure parfaitement apprêtée d’une femme ou l’ordre d’une société. Pour un Grec, l’ordre et la Beauté sont une seule et même chose. La dictature c’est donc cette « vrai révolution, dont parlait Simone Weil, qui consiste dans un retour éternel à un ordre momentanément perturbé ».

Pour revenir à l'actualité qui nous occupe depuis deux mois, ne peut-on pas constater un paradoxe apparent entre la volonté de "restaurer l'ordre" et le plébiscite demandé à la société par Gilets jaunes ?  Comment expliquer cette situation ?

La mutité où l’on a réduit la multitude des citoyens est devenue plus intolérable au fur et à mesure que les erreurs politiques se sont accumulées en quarante ans. Dette écrasante, population étrangère sans volonté d’adopter nos mœurs, terrorisme, fléau fiscal… Les citoyens français éprouvent le besoin de crier leur douleur et leur colère. Quant au referendum ou au plébiscite, les dictateurs en font toujours un large usage afin d’assurer leur autorité sur le pays. Il n’y donc aucun contradiction entre dictature et consultation populaire. En général, le peuple est consulté à la fin de l’établissement de la dictature. Aujourd’hui, c’est lui qui prend l’initiative et semble réclamer à grands cris l’arrivée d’un homme providentiel dans le champ politique. Comme dans la fable des Grenouilles qui demandent un roi.

« Nous voulons un roi qui fasse la guerre et marche à notre tête », disaient les Hébreux à Samuel.

Un autre indicateur qui pourrait permettre d'expliquer au moins en partie cette appétence ne serait-elle pas la cote de popularité croissante et le succès en librairie de l'ex chef d'état-major des Armées Pierre  de Villiers ?

Lors de la crise déclenchée par la baisse des crédits militaires, les Français ont perçu la discorde entre ce qui reste de l’Autorité et le chef de l’armée, c’est-à-dire de l’instrument essentiel de la Puissance. Ils ont espéré confusément que le chef de l’état-major allait imposer une remise en ordre de l’Etat. Hélas, il n’en a rien été. Le général de Villiers s’est retiré dignement et a écrit un livre pour expliquer sa conduite. Malheureusement, il a cru bon de rentrer dans une officine américaine de renseignement et d’influence stratégique. Il a même détrompé ses partisans potentiels en affirmant en public qu’il ne ferait jamais de politique.

Il ne suffit pas d’être général pour faire un bon dictateur. Il faut apprendre à désobéir. Pour cela, il faut une dose d’orgueil et une autre d’intelligence politique. Bonaparte et De Gaulle ont pris le pouvoir mais Pompée, Cavaignac, Salan sont restés dans les poubelles de l’Histoire.

Vous énumérez douze conditions préalables à la dictature. Pour vous, quelle(s) conditions ne sont pas remplies aujourd'hui en France ?

Le recours à la dictature ne nécessite pas seulement un candidat dictateur, elle doit encore être approuvée par l’intelligentsia et le pouvoir financier auquel il faudra laisser le temps de redéployer ses investissements.  Un fois le coup négocié pour permettre aux hommes politiques impliqués de sauver leur peau, tout peut aller très vite. Il faudra une victime expiatoire pour calmer la colère populaire et un butin à se partager pour l’armée et la police.

La Constitution modifiée, le plébiscite ne sera qu’une formalité.

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