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Comprendre le passé pour prédire la dictature de demain
©Solimoov

Bonnes Feuilles

Dans "Demain la dictature" publié aux éditions "Presses de la Délivrance", Philippe Bornet propose un portrait de la dictature objectif, historiquement fondé et parfaitement d'actualité. Extrait 1/2.

Philippe Bornet

Philippe Bornet

Philippe Bornet, ancien journaliste, écrivain et essayiste est historien du futur.

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Pour Hobbes, la nature laissant à tous un droit égal sur toutes choses, ce droit de chacun a été aboli par raison, pour éviter la guerre de chacun contre tous: « L’égalité des hommes entre eux à l’égard de leurs forces et puissances naturelles était une source de guerre inévitable et […] la ruine du genre humain s’ensui[vrait] nécessairement de la continuation de cette guerre. » Bonald le reformule comme un axiome: « Là où tous les hommes veulent nécessairement dominer avec des volontés égales et des forces inégales, il est nécessaire qu’un seul homme domine ou que tous se détruisent. » Or, la situation actuelle offre de grandes chances de succès aux ambitieux catilinaires de droite et de gauche, écrivait Malaparte en 1948. L’insuffisance des mesures, prévues ou adoptées par les gouvernements pour faire avorter une tentative révolutionnaire éventuelle, est tellement grave que le danger d’un coup d’État doit être envisagé sérieusement dans beaucoup de pays d’Europe.

D’après une étude du CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po. de janvier 2017, reprise par l’hebdomadaire Valeurs actuelles du 18 janvier 2017, 49 % des Français estiment que la France doit « avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections », 17 % allant jusqu’à souhaiter que l’armée dirige le pays. Une enquête de l’IFOP de novembre 2018 le confirme. 41 % des Français sont d’accord pour confier le pays « à un pouvoir politique autoritaire, quitte à alléger les mécanismes de contrôle démocratique » s’exerçant sur le gouvernement. Un étudiant sur deux s’accommoderait d’un régime autoritaire

L’Histoire est un sphinx qui dévore ceux qui ne savent pas résoudre ses énigmes, a dit Rivarol. Qu’est-ce qu’une dictature? Comment naît-elle? Où mène-t-elle? Que signifie-t-elle? Qu’est qu’un dictateur, le plus froid de tous les monstres froids?

Ce génie tutélaire, écrivit Napoléon, une nation nombreuse la renferme toujours dans son sein; mais quelquefois, il tarde à paraître. En effet, il ne suffit pas qu’il existe, il faut aussi qu’il soit connu; il faut qu’il se connaisse lui-même. Jusque-là toutes les tentatives sont vaines, toutes les menées impuissantes; l’inertie du grand nombre protège le gouvernement nominal et, malgré son impéritie et sa faiblesse, les efforts de ses ennemis ne prévaudront point contre lui. Mais que ce sauveur, impatiemment attendu, donne tout à coup un signe d’existence, l’instinct national le devine et l’appelle, les obstacles s’aplanissent devant lui, et tout un peuple, volant sur son passage semble dire: Le voilà !

Pour trancher toutes ces questions avec la hauteur de vue souhaitable, il faut monter sur les épaules de ceux qui nous ont précédés et se limiter à l’étude de Rome et de la France. Car chaque pays, chaque civilisation possède sa personnalité propre. La dictature n’est pas un article d’exportation. Les Latins inventèrent la dictature, alors que les Grecs, si proches d’eux, ne connaissaient que la tyrannie. La quasitotalité des tyrans, note Aristote, sont issus de démagogues qui avaient acquis la confiance populaire en s’en prenant aux notables. Les Germains considéraient que l’auctoritas (autorité) suivait toujours la potestas (puissance). Renan dans sa Réforme intellectuelle et morale, en a fait la remarque: Un des traits de la race germanique a toujours été de faire marcher de pair, l’idée de conquête et l’idée de garantie… Il y a du vrai en effet dans le principe germanique qu’une société n’a un droit plein à son patrimoine que tant qu’elle peut le garantir. […] Nous n’avons pu en venir au culte de la force ou du droit fondé sur la force qui est le résumé de la politique allemande1 . Bismarck disait en effet: « La force crée le droit. » Et Goethe, pour exprimer qu’on doit obéissance à la force, s’écriait: « Plutôt une injustice qu’un désordre. » Renan exprimait ainsi qu’à Rome et à Paris, contrairement à Vienne et à Berlin, le culte de la force (potestas) n’entraînait pas avec lui le droit de commander (auctoritas). Ce qui souligne à la fois la spécificité latine et la difficulté de mener un raisonnement politique hors du cadre national. Et Renan enfonce le clou de l’exception culturelle: « On m’objectera l’Amérique mais […] il faut dire que l’Amérique, par sa position géographique est placée en ce qui concerne l’armée dans une situation toute différente, à laquelle la nôtre ne saurait être comparée. » Ou encore: « On voulut faire une constitution a priori, on ne remarqua pas que l’Angleterre, le plus constitutionnel des pays, n’a jamais eu de constitution écrite. »

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Bien que Bodin ait dit: « Cent descriptions ne sauraient éclaircir l’essence ni la nature des choses », l’étude de Rome et de la France, complétée de la recension des théoriciens qui nous ont précédés et suivie d’une sorte de subsomption kantienne, nous permettra, à l’école des faits, de cerner le concept de dictature et de dresser le portrait du dictateur. La guerre, probité de l’Histoire, est première. De la conduite de la guerre, qui est une destruction des forces qui s’opposent au retour de la paix, dépend le Politique: « La force… les guerres expliquent le commandement des uns sur les autres », explique Bodin. Les faits militaires viennent donc en premier, les faits politiques en découlent, les commentaires et les théories n’arrivent qu’en dernier.

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Je remercie Christian Brosio, Richard de Sèze et Rémi Soulié de leurs relectures et de leurs conseils, ainsi qu’Antoine Yanni de la préparation du manuscrit. Pascal voulait humilier la Raison devant la Foi. J’humilierai les Philosophes devant l’Histoire. Qu’on me fasse crédit de trois cents pages et, si ma théorie semble au début s’empêtrer dans ses ailes, si son vol est lourd parce qu’elle ne veut laisser choir aucun de ses arguments, une fois enlevée dans les airs, on sera comme effrayé de son envergure

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