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Super puissances dans le brouillard : les Etats-Unis et la Chine sont-ils en train de précipiter une nouvelle grande crise économique ?
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

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Incapables de s'accorder sur leurs stratégies économiques, les grandes puissances se heurtent de plus en plus frontalement aux effets de ce manque de cohésion.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Alors que la situation économique chinoise commence à inquiéter les marchés financiers, notamment au travers du cas d'Apple, l'économiste Mohammed El-Erian indique que les Etats-Unis doivent continuer à prendre en charge la croissance mondiale. Dans quelle mesure peut-on considérer que l'économie mondiale manque de "leadership" ?

Nicolas Goetzmann : L'économie mondiale est confrontée à une forme de choc de transition, entre une stratégie économique qui s'est progressivement mise en place dans les années 80, et une nouvelle stratégie qui se dessine lentement pour les années à venir. Cette transition cause des heurts entre les zones économiques qui persistent dans le modèle précédent (Europe et Chine) et les pays qui tentent de trouver une solution aux dysfonctionnements de ce modèle, dont les Etats-Unis, le Japon, et avec moins de succès pour le moment, le Royaume Uni. Et cette rupture fragilise les institutions internationales, comme le G20 ou le G7, qui ont pourtant ce rôle de favoriser une coordination mondiale. La subtilité actuelle est que ceux qui pensent défendre le "libre échange" et "le multilatéralisme" fragilisent paradoxalement le système par leur incapacité à prendre en compte les défis posés à l'économie mondiale. Pourtant, depuis 2008, la recherche économique a pu mettre en avant les faiblesses du modèle antérieur, la trop faible croissance, la formation des inégalités au sein des pays occidentaux qui sapent les bases de la démocratie, ou la formation d'importants déséquilibres macroéconomiques. Le premier pays à s'être véritablement retroussé les manches pour s'extirper de la tendance déflationniste qui s'est mise en place post crise de 2008 a été le Japon de Shinzo Abe, qui s'est lancé dans un vaste programme de relance. Les autorités économiques américaines ont agi à peu près au même moment, et Donald Trump s'est engouffré dans cette rhétorique de la croissance maximale et du "make america great again". Le Brexit avait également été présenté en ce termes d'un renouveau économique, même si le résultat sera compliqué à satisfaire.

Cette situation de chaos apparent entre les différences de stratégies économiques, notamment entre Europe et Etats-Unis, est une conséquence logique de ce qui pouvait être observé durant le mandat de Barack Obama. Lors des réunions des G20, les représentants américains n'ont eu de cesse de demander aux européens de soutenir leur croissance de façon plus importante, notamment pour corriger les excédents commerciaux, mais également pour participer de façon plus équitable à la croissance mondiale. Tout comme la Chine a été incitée à bâtir son développement économique sur la consommation, plutôt que sur les exportations. Mais Chine et Europe sont restées sourdes à ces appels, pourtant légitimes de la part des autorités américaines qui se rendaient compte que leur croissance nationale servait de corde de rappel aux deux grandes zones économiques mondiales. Ce qui a abouti à Donald Trump et à un changement de ton très clair à l'égard de la Chine et de l'Europe. Il est pourtant dans l'intérêt de tous de soutenir une logique de développement équitable entre les nations, ou chacun se doit de pousser son économie au maximum de ses capacités. L'enjeu est de se débarrasser de comportements de parasitage de la croissance mondiale, ce qui est devenue une spécialité européenne. Cela est d'autant plus agaçant de constater que les dirigeants européens ont l'air de penser sincèrement qu'ils protègent le libre-échange, tout en pratiquant un niveau très élevé d'agressivité commerciale qui se mesure à la taille des excédents commerciaux de la zone euro, et de l'Allemagne en particulier.

Mais le défi principal reste la correction des inégalités au sein des Etats, et la réponse ne pourra qu'être celle des politiques de plein emploi, qui sont totalement ignorées en Europe.

Quelles seraient les points d'accord qui permettraient une stabilisation des déséquilibres et des tensions actuelles ? 

Le prochain G7 de Biarritz, dont la France aura la présidence, aura pour thème principal la lutte contre les inégalités. Au regard des politiques macroéconomiques européennes actuelles, et de celles mises en place par Emmanuel Macron à l'échelon national, nous avons pourtant le parfait exemple de ce qui ne doit plus être fait en la matière : nous avons sous les yeux une forme de laboratoire anachronique de ce qui ne marche pas depuis près de 40 ans, présenté le plus curieusement du monde sous la forme de la nouveauté. Nous avons près de 10 années de retard sur la réflexion économique post-crise. Pour que ce G7 ait un sens sur la thématique des inégalités, il faudrait une totale refonte de la réflexion économique du dirigeant français. 

L'enjeu principal est de faire en sorte que l'ensemble des régions économiques se concentrent sur leur demande intérieure, ce que chacun est capable de contrôler au travers de sa Banque centrale, afin d'atteindre le plein emploi, seul moyen de faire progresser l'ensemble des salaires de façon saine et de rééquilibrer progressivement les revenus du capital et les revenus du travail. L'enjeu serait également d'arrêter de soutenir de stratégies de cavaliers solitaires (Chine, Allemagne), en respectant des limites concernant les excédents commerciaux. Avec de telles bases, l'économie mondiale pourrait se stabiliser autour de l'idée de recherche d'une concurrence plus saine, basée sur la technologie, la productivité, plutôt que de s'acharner, comme tout le monde le fait depuis près de 40 ans, de jouer à la course des salaires les plus bas. Que cela soit par le biais des délocalisations, des réformes économiques visant à pressuriser les salaires, ou par le biais de l'immigration, le contrôle des coûts est devenu une forme d'horizon indépassable de la théorie économique lors de ces dernières années. Cela est mortifère et nous en voyons les résultats politiques dans nos sociétés occidentales.

Quel rôle pourrait y jouer l'Europe, et plus particulièrement la France ? 

La France a bien un rôle à jouer. Mais pour cela, ses dirigeants doivent prendre conscience des intérêts de l'économie françaises. La croissance de l'économie française est, depuis longtemps, bien trop faible par rapport au potentiel du pays. Ceci est le résultat de la stratégie économique poursuivie en Europe. Au même titre que pour les Etats-Unis ou le Royaume Uni, la France est également frappée par les excédents commerciaux allemands. En réalité, nous pouvons voir assez clairement un alignement des intérêts entre France, pays du sud de l'Europe, Royaume Uni, et États-Unis, contre la politique européenne et particulièrement celle de Berlin. Et puisque la France est le seul pays en capacité de tenir tête à l'Allemagne, tout en pouvant se lier aux Etats-Unis et au Royaume Uni, il est alors possible de forcer une modification de la stratégie économique de la zone euro. Tout comme il est possible, en s'alliant avec les Etats-Unis, de forcer Pékin à aller dans le même sens. 

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