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Ce que l’affaire Benalla aurait valu à Emmanuel Macron si elle avait eu lieu à Washington, Londres ou Berlin
©Benjamin CREMEL / AFP

Démocratie

L'affaire Benalla montre aussi l'épuisement de notre modèle démocratique.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Si l'affaire Benalla et ses rebondissements occupent la France depuis près de 6 mois, comment analyser la situation au prisme des démocraties étrangères. Comment pourrait-on imaginer le déroulé d'une telle affaire dans le monde et les institutions anglo-saxonnes, des Etats Unis au Royaume Uni ? 

Plus fondamentalement que la démocratie, c'est l'état de droit qui est en question. Les Britanniques et les Américains disent, et c'est beaucoup plus parlant, rule of law, le règne de la loi. Dans la constitution américaine, le président est soumis à la loi; la séparation des pouvoirs est une réalité. Il aurait été impensable, aux Etats-Unis que le travail des commissions parlementaires soit neutralisé comme cela a été le cas en juillet dernier en France. Le rebondissement récent de l'affaire Benalla tient d'ailleurs largement à l'absence de véritable enquête parlementaire et judiciaire. 

Comment imaginer ce même déroulé en Allemagne ? 

L'Allemagne, contrairement à ce que l'on pense souvent, a un rapport à l'état de droit beaucoup moins clair que le monde anglophone. La façon dont Madame Merkel a pu décider de l'ouverture totale des frontières en septembre 2015 sans aucun contre-pouvoir effectif en est bien la preuve. Néanmoins, un chancelier qui aurait favorisé un individu donné aux dépens des procédures habituelles de son dispositif de sécurité serait disqualifié devant l'opinion. D'une manière générale le train de vie des chanceliers est modeste.  Madame Merkel n'a pu accumuler autant de pouvoir réel qu'à l'abri d'une modestie affichée de son train de vie. 

Qu'est ce que ces divergences nous disent de nos institutions ? 

La monarchie française fonctionnait selon une union des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire entre les mains du souverain. Néanmoins, le roi était soumis aux constitutions du Royaume: il ne pouvait pas aliéner le territoire de la Couronne, par exemple. Il garantissait des centaines de libertés locales, que la Révolution a bêtement appelés privilèges. Il était confronté à l'éventuel refus des parlements d'enregistrer les lois.  La grande intuition de Louis XVI est qu'il faut renforcer tous ces contrepoids au pouvoir royal pour que la France puisse se moderniser.  Louis XVI est le grand roi réformateur, créateur des Etats régionaux et prêt à accompagner la Révolution jusqu'à la Constitution du 14 septembre 1791. Si les révolutionnaires avaient tenu leur engagement comme le Roi, la France aurait disposé d' une belle et solide monarchie parlementaire. Mais l'équilibre n'a pas tenu du fait de la passion anti-catholique de la Révolution. Toute à leur haine du christianisme les révolutionnaires ont abattu le Roi, qui défendait la liberté de l'Eglise, puis ils ont reconcentré les trois pouvoirs entre leurs mains mais sans aucun équivalent des contre-pouvoirs qui tempéraient la monarchie absolue. 
Depuis son origine, l'histoire de la République a du mal à se confondre avec le libéralisme politique et la démocratie. Les historiens et les juristes insistent sur une tradition spécifique de libéralisme d'Etat qui traverse la Révolution et inspire la Restauration, la Monarchie de Juillet et l'empire libéral. Je pense que c'est un abus de langage. La IIIè République est le premier régime qui fasse entrer les institutions républicaines dans une logique de séparation des pouvoirs mais malheureusement pas d'équilibre entre ces pouvoirs: le pouvoir exécutif est faible. Et puis les républicains au pouvoir reviennent aux errements anti-catholiques de leurs ancêtres jacobins sans voir que c'est le christianisme qui a inventé la séparation des pouvoirs et que c'est le catholicisme, historiquement, qui l'a toujours le mieux pratiquée (par différence avec l'orthodoxie ou le protestantisme). 
De Gaulle intervient dans une France apaisée religieusement. Et il tâche de fonder la nouvelle République sur des principes clairs : équilibre des pouvoirs, mieux distingués, et démocratie. L'ambiguïté du gaullisme vient de la réhabilitation d'un chef de l'Etat qui a tendance à rassembler les trois pouvoirs entre ses mains, à l'image de nos rois. De Gaulle contrebalançait cet aspect par une stricte soumission du président au contrôle démocratique: élection au suffrage universel, recours au référendum, dénonciation à l'avance des "cohabitations". 
Les successeurs du Général ont largement abandonné le principe du contrôle démocratique et ils ont largement abusé des prérogatives présidentielles aux dépens de l'état de droit. De ce point de vue Macron n'est pas plus critiquable que ses prédécesseurs depuis Mitterrand. Ce dernier a couvert des affaires bien plus lourdes que le scandale qui entoure Alexandre Benalla. Mais l'actuel président se trouve à son poste au moment où le système de république à démocratie limitée que pratiquent nos dirigeants est à bout de souffle. 

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