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Jusqu’où ira l’Etat pour lutter contre les gilets jaunes et l’euroscepticisme en 2019 ?
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Horizon

L'enjeu de l'année pour le gouvernement semble de devoir gérer deux périls qui risquent encore de lui donner bien du souci.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Que ce soit au sujet de nos vies privées ou de la vie publique, c’est toujours faire preuve d’une grande présomption - ou d’une touchante naïveté - que de dire au premier de l’An de quoi sera faite l’année qui vient. En janvier 2016, on annonçait volontiers la victoire de François Fillon à l’élection présidentielle ; en janvier 2017, la vie d’Emmanuel Macron était un long fleuve tranquille, et la seule question était de savoir comment il allait mettre l’année à profit pour réformer la France et préparer son OPA sur un parti européen en 2019… C’est dire.

2019 est justement une année que nous entamons avec beaucoup moins de certitudes. Que ce soit sur la scène internationale ou en politique intérieure, conséquence des algorithmes des économies modernes ou des thèses « sociétales », plus rien n’est stable autour de nous, comme si une accélération subite du temps s’apprêtait à tout balayer. Examinons donc quelques-unes des questions politiques qui vont nécessairement se poser en 2019 pour nous demander ensuite si, derrière leur apparente diversité, il n’y aurait pas un point commun.

La première question que l’on peut se poser est de savoir s’il y aura ou pas continuation en 2019 des actions des « Gilets jaunes », qu’il s’agisse des ces actions régulières locales sur les fameux ronds-points, ou d’actions plus particulières, comme ont pu l’être les grandes manifestations parisiennes ou certains rassemblements importants dans les villes de province. En effet, si le mouvement semble avoir perdu en volume lors des manifestations des 15 derniers jours de décembre, les mesures annoncées ne répondent que très partiellement à ses attentes, et l’on ne peut pas dire qu’il ait disparu, comme le prouve d’ailleurs l’antienne des membres du gouvernement appelant à son arrêt. S’ils veulent continuer en 2019 les Gilets jaunes devront sans doute faire attention à ne pas porter atteinte aux intérêts de certains de leurs membres potentiels, artisans ou petits commerçants, et repenser leurs modes d’action et/ou d’organisation. Sommes-nous devant un Cinque Stelle à la française qui, dans quelques années, pourrait avoir des élus et participer pourquoi pas au gouvernement, ou plus simplement devant un temporaire accès de fièvre, ou encore quelque part entre les deux ? L’année 2019 devrait nous permettre d’avoir des éléments de réponse.

Nous avons dit que les mesures annoncées ne semblent pas suffisantes, mais il en est une qui, justement, est censée permettre de mieux répondre aux attentes, non seulement des Gilets jaunes, mais aussi de toute la société, c’est l’instauration de ce « Grand débat » national auquel devraient participer des institutionnels, élus, partis, syndicats, associations, mais aussi, si l’on en croit le Premier ministre, des citoyens tirés au sort. On connait les quatre grandes questions autour duquel il s’articulera : « Comment mieux accompagner les Français dans leur vie quotidienne pour se loger, se déplacer, se chauffer ? » ; « Comment rendre notre fiscalité plus juste, plus efficace, plus compétitive et plus lisible ? » ; « Comment faire évoluer la pratique de la démocratie et de la citoyenneté ? » ; « Comment faire évoluer l’organisation de l’État et des services publiques (sic !!) pour les rendre plus proches des Français et plus efficaces ? »

Outre l’orthographe défaillante (nous avons repris ici les éléments donnés sur le site du gouvernement), on notera l’absence de l’immigration, une thématique évoquée par le Président lors de son allocution télévisée, mais qui devrait finalement être intégrée dans le volet « démocratie et citoyenneté ». Une telle évolution augure mal de ce débat, qui semble en fait plus destiné à légitimer les réformes prévues qu’à mettre sur la table les questions qui fâcheraient et à éventuellement conduire à revoir la feuille de route de la macronie. Si l’on ajoute à cette faiblesse le fait que le « Grand débat » va se dérouler dans les premiers mois d’un prélèvement de l’impôt à la source qui, quand bien même tout se déroulerait-il au mieux, aura de toute manière comme conséquence de rendre un peu plus directement visible la pression fiscale, on comprend que l’apaisement souhaité pourrait bien se faire attendre.

Dans ces conditions, l’éventualité d’un remaniement ministériel nettement plus important que celui que nous avons connu en 2018, car impliquant cette fois un changement de Premier ministre, est envisageable. Un remaniement lors duquel Emmanuel Macron devra faire très attention à ne pas resserrer sa base, et donc à conserver des ministres venant non seulement de LaREM ou du MoDEM, mais aussi à tenter de l’élargir, comme il l’a fait, à des LR ou des PS macrono-compatibles. Reste qu’au vu de l’état du navire, certains pourraient hésiter, même pour un maroquin, à monter à bord. De plus, il faudrait à la fois laisser Édouard Philippe assumer l’échec du « Grand débat », et donc éviter de remanier avant la fin mars, tout en conservant assez de temps pour rétablir grâce au nouveau gouvernement une dynamique a minima avant les élections européennes prévues le 26 mai, ce qui laisse ouverte une petite fenêtre de tir.

Cela nous amène à ces élections européennes qui seront sans nul doute l’un des temps forts de l’année 2019. Alors que se répand comme une trainée de poudre dans tous les pays (encore) membres un euroscepticisme qui oscille entre la volonté de réformer l’Union et celle de la faire éclater, on sait qu’Emmanuel Macron prône au contraire un renforcement de son caractère fédéral. Sa chance tient en fait à l’éclatement en France des souverainistes - ou au moins des eurosceptiques - entre des listes concurrentes : le RN de Marine Le Pen, DLF de Nicolas Dupon-Aignan, plus celles d’Asselineau (UPR) ou de Philippot (LP), voilà pour la droite. À gauche LFI de Jen-Luc Mélenchon sera sur le même registre critique. Et bien malin qui peut dire aujourd’hui si la liste de LR se situera sur cet axe critique ou tentera un moyen terme entre cet axe et l’europhilie affichée de LaREM et du MoDEM.

Or une liste Gilets jaunes pourrait s’ajouter à cet ensemble eurosceptique déjà bien disparate. Une ou plusieurs d’ailleurs : Francis Lalanne et Alexandre Jardin se sont généreusement offerts chacun de son côté à aider à en constituer une, Bernard Tapie ne serait pas contre, mais aucun des trois n’a l’aval d’un mouvement qui paye ici son absence de leader charismatique. Une telle liste, pour peu qu’elle semble un minimum crédible, prendrait nécessairement des voix aux autres listes eurosceptiques, diviserait un peu plus cet ensemble, et donnerait un effet d’avance à la liste LaREM. Mais la question de ces élections n’est pas purement franco-française, et il sera important de connaître le score des listes eurocritiques dans toute l’Union.

Pour lutter donc contre ces deux éléments, les Gilets jaunes et l’euroscepticisme, la question se pose de savoir jusqu’où ira l’État en 2019. Le registre est large, et toute la gamme a été utilisée ces derniers mois. On peut, par exemple, jeter le discrédit sur les opposants, en faisant largement confiance au pilori médiatique et à ses conséquences, certes non juridiques, mais qui permettent quand même, par la pression sociale induite, de faire ou défaire des carrières. On peut ajouter à cette peur de l’opprobre les infinies subtilités des tracasseries administratives et policières. On peut demander aux juges de sanctionner sans pitié toute violation de ces textes dont ils semblent avoir oublié jusqu’à l’existence face à d’autres types de délinquants. On peut enfin, comme le fait largement l’État français, et comme il pourra le faire plus encore avec cette loi sur les « fake news » qui vient d’être votée, demander l’élimination des contenus de certaines pages Internet et engager des poursuites, bref museler les opinions non conformistes.

On ne reprochera pas au gouvernement de défendre ainsi sa politique, mais le problème est que lorsque le « deux poids deux mesures » appliqué par les agents d’influence aux différents sujets d’actualité ou par les services publics aux différentes personnes dont ils ont à connaître devient par trop visible, il délégitime ceux qui le mettent en œuvre avec ce zèle excessif. Or on ne peut que constater que sont frappés de ce discrédit en ce début d’année 2019, au-delà des médias « mainstream », les services publics ayant en charge la Justice et la sécurité intérieure, ce qui est inquiétant. En effet, quand une population, qui remet en cause par ailleurs le consentement à l’impôt, n’a plus confiance dans ses juges et ses policiers, c’est qu’est en train de se déliter le contrat social qui fonde la nation. Or ce dernier est aussi quotidiennement mis à mal dans la France de 2018 par les communautarisme, indigénisme ou décolonialisme, auxquels s’ajoute le développement exponentiel de cette « chasse aux phobes » dénoncée déjà par Philippe Murray, autant d’éléments qui, pénalisant le moindre propos, finissent par interdire tout véritable débat sur les fragmentations qu’ils induisent dans une société qui n’arrive plus à se reconnaître.

L’une des conséquences de cette fragmentation est d’ailleurs que la France n’arrive pas plus à se définir sur la scène internationale. L’éclatement de son héritage historique et culturel a nécessairement induit la disparition de ses éléments de « soft power », comme le prouvent la dérive de la Francophonie ou la disparition de nos centres culturels à l’étranger. Quant au « hard power », les remarquables efforts de nos forces armées sont obérés par une politique diplomatique erratique, où la volonté de complaire à tous ceux dont nous recherchons le soutien – ou les achats –, avec parfois une confondante bassesse, nous place systématiquement en retard d’un ou deux coups derrière les vrais joueurs. De plus, ces efforts de nos troupes sont aussi obérés aussi par ce financement d’épicier qui retarde les indispensables programmations et croit trouver la solution dans des alliances industrielles où nous sommes perdants.

Il est vrai qu’il n’y a pas d’argent dans les caisses et que la grande question qui se posera à Emmanuel Macron en 2019 sera de les remplir. On peut donc penser, d’abord, que continuera la grande braderie du patrimoine, privé, avec les ventes de terres agricoles aux Chinois et de l’immobilier à nos amis du Golfe, mais aussi public, bâtiments, barrages, aéroports, ou participation dans les industries de défense, autant d’éléments qui touchent pourtant souvent à notre souveraineté même. Cela ne sera sans doute pas suffisant, et il est permis de penser qu’Emmanuel Macron s’attaquera de nouveau en 2019 à cette propriété immobilière qu’il hait plus que tout et aux successions. Tant il est vrai que le « patrimoine », au sens classique, cet  « héritage du père » ancré dans le sol et l’histoire, a vocation à disparaître en même temps que la « patrie », la « terre des pères », pour ces hommes aux semelles de vent que sont nos hiérarques.

Peut-on trouver pour conclure un point commun à tous ces éléments, ces attentes de l’année 2019 ? Un point commun qui relierait les Gilets jaunes et les gardiens du patrimoine, les eurosceptiques et les croisés d’Internet, les défenseurs de la liberté d’expression et ceux de l’État régalien ? Sans doute avant tout une même inquiétude sur ce qu’est, peut être ou doit être l’identité de cette France à laquelle nous lie, comme le rappelle Renan, le fait  d’« avoir fait de grandes choses ensemble, de vouloir en faire encore », cette nation pour laquelle on accepte de mourir… ou de verser des impôts. Et ensuite seulement une même volonté de rétablir les éléments qui protègent cette identité, la possibilité de débattre librement, un système politique qui permette l’expression de la volonté générale et non la captation du pouvoir, et, bien sûr, la souveraineté de l’État. En 2019, la France voudrait juste ne pas mourir. Ou alors debout. Nous verrons comment elle le fera savoir.

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