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2018 : la fin du macronisme triomphant
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bilan

Alors que 2017 était l'année du triomphe du macronisme, 2018 a stoppé la dynamique dont bénéficiait le Président de la République.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Plusieurs directions d’analyse peuvent être prises à l’heure du bilan politique de l’année 2018 : une année très riche, très dense et très rythmée politiquement. On pourrait analyser l’état des oppositions et le chantier toujours en cours de leur reconstruction, on pourrait parler de l’Europe et des espoirs assez douchés du Président Macron dans ce domaine, on pourrait revenir sur les politiques publiques engagées dans la ligne du programme présidentiel. 

Mais une dimension d’analyse s’impose :  la chute du macronisme triomphant, bien sûr. Cette chute restera l’un des évènements politiques les plus fascinants de la Vème République. C’est non seulement son ampleur mais sa rapidité qui sont marquantes. Les indicateurs de popularité ont enregistré sur un période allant du printemps à l’hiver 2018 une chute presque continue et sans réelle rémission du soutien au Président de la République. Mais plus préoccupant encore, c’est l’image d’Emmanuel Macron qui s’est considérablement dégradée en 2018 : à l’image, rapidement installée dans l’opinion après les premiers mis du mandat, du « président des riches », s’est ajoutée l’image du président « arrogant » et « méprisant » pour le peuple. Au seuil de « l’affaire Benalla » (saison 1), le pli était déjà largement pris dans l’opinion publique (moins 10 points de popularité au cours du premier semestre 2018). Mais la gestion de cette affaire, donnant le sentiment que le chargé de mission bénéficiait non seulement d’un traitement de faveur mais d’une mansuétude présidentielle inexplicable et la communication bravache d’Emmanuel Macron (« qu’ils viennent me chercher ») vont jouer un rôle de détonateur à l’explosion qui couve. 

Si le Président Macron semble prendre conscience, à la rentrée 2018, de la rupture du lien entre lui et les Français, un lien également mis à mal par les sorties du gouvernement de Nicolas Hulot et Gérard Collomb, il s’engage alors dans une suite chaotique d’un trop-plein communicationnel. Il suffit de se rappeler quelques épisodes de cette overdose de communication pour prendre la mesure du problème : le déplacement aux Antilles début octobre et les photos qui créent la polémique, l’étonnante allocution crépusculaire depuis l’Elysée le 16 octobre, avec un Emmanuel Macron mal éclairé, avec ses feuilles de brouillon raturées posées devant lui, « l’itinérance mémorielle » d’une semaine entière pour commémorer la fin de la Première guerre Mondiale, ponctuée de signes avant-coureurs de tensions avec les Français. 

De cette période, trois éléments ressortent et qui sont clairement annonciateurs de l’explosion qui gronde et qui sortira de terre à la mi-novembre. Tout d’abord, le sentiment que le Président sur-communique sur des points qui n’intéressent que lui (c’est une image, car il s’agit bien de problèmes importants) : nous serions, comme dans les années 1920/1930, à la veille d’une guerre en Europe à cause des « nationalismes belliqueux », des dirigeants hongrois, italiens, polonais. Le discours présidentiel s’enferme alors dans une communication pour « happy few », codée avec des notes de bas de pages (comme la référence aux « somnambules » dont parle l’historien Christopher Clark à propos des leaders du monde occidental en 1914), voulant mettre en exergue son rôle de leader du progressisme en Europe et de nouveau « patron » de l’UE dans un contexte où la Chancelière allemande a annoncé la fin de sa carrière politique à brève échéance. 

Un second sentiment ressort de cet automne de sur-communication : un brouillage de l’image d’Emmanuel Macron, brouillage pourtant organisé par lui-même et ses communicants. Au bout du compte surgit en effet une question redoutable pour l’image de toute personnalité politique : qui est-il en fait ? Est-il celui qui tombe la veste et tombe dans les bras des jeunes aux Antilles pour faire des selfies ? Est-il celui qui tient tête à Donald Trump ? Est-il le décideur vertical, impérial ou « jupitérien » ? Est-il le visionnaire qui nous met en garde contre les dangers de guerre en Europe ? A vouloir être tout cela à la fois, le Président Macron a surtout donné le sentiment d’une communication brouillonne et trop marquée par la mise en scène et la théâtralité.

Le troisième élément qui ressort de l’automne sur-communicationnel d’Emmanuel Macron est qu’il reste sourd au fort sentiment d’injustice fiscale et économique qu’ont donné quelque unes des mesures emblématiques prises depuis 2017, notamment la suppression de l’ISF (en partie seulement). Le mot « pauvreté » avait bien fait son apparition dans le vocabulaire présidentiel à la rentrée 2018 avec l’annonce du « plan pauvreté » mais l’annonce en avait été fortement éclipsée par les polémiques d’alors. 

Ces trois éléments vont progressivement avoir un effet boule de neige délétère pour Emmanuel Macron : la sur-communication ne montre pas de capacité du chef de l’Etat à reprendre la main et la chute des indicateurs de popularité n’est pas enrayée. A la veille de l’explosion du mouvement des gilets jaunes, des éléments de fragilisation importante sont en place pour Emmanuel Macron. La gestion du début de la crise des gilets jaunes transforme la spirale négative en chute brutale et presque en effondrement du macronisme triomphant : l’intervention du Premier ministre, le 18 novembre à l’issue du premier samedi de mobilisation, renforce le sentiment d’un pouvoir coupé des réalités et qui a du mal à comprendre l’ampleur du problème. Le discours prononcé par Emmanuel Macron le 27 novembre sur la transition écologique non seulement ne calme pas la colère des gilets jaunes mais la renforce. Début décembre il est donc déjà sans doute trop tard : la gigantesque explosion du 1er décembre sur les Champs Elysées ne peut plus être évitée. Les images qui coulent toute la journée sur nos écrans consternent la France entière. C’est ce jour-là que meurt symboliquement le macronisme triomphant. Il ne s’en remettra pas. Deux semaines plus tard, le bilan humain, politique, social, budgétaire est considérable. 

Reste à savoir ce que 2019 nous réserve. Le « grand débat national » permettra t’il de rebâtir l’image d’Emmanuel Macron comme quelqu’un qui écoute et comprend ou au contraire va-t-il symboliser qu’il ne peut plus avancer au même rythme et avec les mêmes contenus ses prochaines réformes ? Mais la balle de match, se sont les élections européennes. Si la liste de la République en Marche et du Modem ne remporte pas ces élections, nous assisterons à une seconde mort du macronisme triomphant, sur la scène européenne. Les espoirs de recomposition ou d’inflexion de jeu politique entre socialistes et libéraux à Bruxelles seraient alors très difficile à envisager pour Emmanuel Macron. A moins qu’Emmanuel Macron ne parvienne à redresser la barre et à remporter les élections européennes ? Si tel n’est pas le cas et que le Fidesz de Viktor Orbán gagne en Hongrie, alors là ce sera très, très dur pour Emmanuel Macron. Et ce sera l’ambiance au Conseil européen du mois de Juin 2019……

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