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Contrairement aux espoirs de Donald Trump, l'Etat islamique n’est pas vaincu
©REUTERS/Stringer

Et non !

Mercredi dernier, le président Donald Trump l'annonçait victorieusement sur Twitter : le groupe Etat islamique était enfin "vaincu". Mais la vérité est autre.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Prétendre que Daech est vaincu est un pur fantasme qui a justifié l’annonce du retrait des forces américaines par le président Donald Trump le 19 décembre 2018. Il est d’ailleurs revenu rapidement sur ses déclarations en affirmant "Le président turc Erdoğan m'a donné des assurances dans des termes très forts qu'il va éradiquer ce qui reste de l'EI en Syrie". Cela démontre que, bien que ne lisant plus (ou si peu) les rapports qui lui sont fournis quotidiennement par ses services de renseignement, il reste encore informé de la situation et reconnaît que Daech existe toujours. Cela n'a pas l'air de lui faire ni chaud ni froid car, sur le fond, ce mouvement terroriste n'est pas considéré comme une menace vitale pour les États-Unis, ce qui est effectivement une réalité.

Il a aussi déclaré avoir eu un entretien "productif" avec M. Erdoğan concernant un retrait "lent et extrêmement coordonné (des forces US)". Cela laisse présager qu’il envisage de laisser le terrain aux forces turques de manière à ce que les troupes régulières syriennes ne puissent profiter du vide créé pour reprendre le contrôle du nord-est du pays. Les semaines à venir risquent d’être riches en évènements, les forces légalistes syriennes ayant d'ailleurs commencé à faire mouvement vers Manbij (la seule position tenue par les Forces Démocratiques Syriennes -FDS- à l’ouest de l’Euphrate) et la IIème Armée turque étant en alerte le long de la frontière syrienne prête à intervenir quand l'ordre lui en sera donné.

Daech affaibli mais toujours vivant

Même si une partie de la région d’Hajin située au nord-est de l’Euphrate a bien été reprise au début décembre par les FDS avec l’appui direct des Américains (mais aidés par d'autres aussi), Daech est toujours présent sur zone s’étant uniquement "dilué" sur le terrain. Il resterait quelques milliers de combattants dans la région dont des centaines d’étrangers. C’est d’ailleurs là que se cacheraient encore des djihadistes français … Même Raqqa, l’ancienne capitale du proto-État islamique n’est pas sécurisée, Daech s’appuyant sur des tribus arabes locales hostiles aux FDS car ces dernières, composées majoritairement de Kurdes syriens, sont là en dehors de leur zone d’implantation naturelle située plus au nord de la Syrie.

Si le nord de l’Euphrate est le domaine des FDS et de la coalition internationale encore emmenée par les Américains, la situation n’est pas bien meilleure dans les régions tenues par les forces gouvernementales syriennes. Ainsi, l’ouest de Deir ez-Zor (au sud de l’Euphrate) et l’est de Homs sont toujours des régions où Daech est présent mélangé aux populations locales majoritairement sunnites.

En Irak voisin, les provinces de Ninive, d’al-Anbar et de Falloudja sont gangrenées par les salafistes-djihadistes de Daech, ce qui est loin d’être étonnant puisqu’elles constituent le berceau de l’État Islamique d’Irak (EII), prédécesseur de Daech. Le think tank Center for Strategic and International Studies (CSIS) affirme que le nombre des attaques attribuées à Daech en Irak a presque doublé en 2018 par rapport à 2017. À noter que cette organisation s’est reformatée en seulement deux "provinces" (wilayat), celle de Syrie et celle d’Irak. L’État Islamique en avait compté jusqu’à 25 sur le front syro-irakien au moment de sa splendeur de 2014 à 2017. Or, la frontière entre les deux pays est particulièrement poreuse et non contrôlée ce qui permet aux djihadistes de la traverser comme bon leur semble. Même le chef d’état-major des armées français, le général Lecointre, affirmait en juillet dernier lors d’une audition devant la Commission de la défense nationale de l’Assemblée nationale qu’en raison des actions de guérilla menées par Daech : "de longs mois, voire plusieurs années, devront passer avant que la situation ne soit pleinement stabilisée et que l’État de droit soit restauré en Irak".

Enfin, Daech est toujours en progression sur des théâtres extérieurs à son fief syro-irakien : Sahel - la présence Daech redevenant très préoccupante en Libye où il a revendiqué l'attaque du ministère des Affaires étrangères à Tripoli du 25 décembre -, Maghreb (le Maroc vient d’être touché par l’assassinat de deux touristes scandinaves aussi revendiqué par Daech), Nigeria, Sinaï, zone Afpak, Caucase, Extrême-Orient avec les Philippines en point d’orgue, etc. Officiellement, Daech compte au total six provinces et une multitude de "cantons". En Somalie, le premier adversaire de Daech est constitué par les Shebabs, la branche locale d’Al-Qaida "canal historique". À savoir que la concurrence entre les deux mouvements salafistes-djihadistes reste d’actualité. Bien qu'il enregistre beaucoup moins d'entrées financières que par le passé, le mouvement terroriste est assis sur un butin qui s'élèverait entre à 400 millions de dollars en cash et en or (dont une partie serait enterrée dans des caches dûment répertoriées). Même si cela n'a plus rien à voir  avec les six milliards de dollars détenus par le Groupe État Islamique en 2015, cela lui permet notamment de payer ses combattants, de subvenir aux moyens des familles et de préparer l'avenir. Plus inquiétant, prévoyant que sa structure étatique allait disparaître, Daech aurait discrètement investi dans l'économie légale et dans le système bancaire au Moyen-Orient. Les Émirats Arabes Unis, la Turquie et l'Irak sont souvent cités comme des hubs économiques de la nébuleuse terroriste.  

Presque aucun point de la planète n’est à l’abri d’attentats commis par des terroristes inspirés par la propagande de Daech qui est toujours conduite depuis décembre 2016 par Abul Hassan al-Mouhajir (son identité réelle est inconnue de l’auteur). En cette fin d’année, l’Europe est tout particulièrement citée et des signaux faibles laissent entendre le déclenchement imminent d’attentats. Nouveauté : les services britanniques craignent que Al-Qaida "canal historique" ne revienne sur le devant de la scène en s'attaquant à des avions de ligne... Conclusion, les forces de sécurité et les services de renseignement sont sur les dents...

Sur le fond, tant que l’idéologie politico-religieuse salafiste sera le seul moyen "révolutionnaire" apte à renverser les pouvoirs établis, Daech prospèrera dans les esprits et par voie de conséquence, dans les actes. Dans ces conditions, il est difficile de croire que l’hydre islamique est vaincue, particulièrement en Syrie.

Dans ce pays, le président Trump fait mine de laisser la place à Ankara. Il sait pertinemment que l’objectif de Erdoğan n’est pas Daech mais les Kurdes du PYD. Cela s’appelle la "real politic" : resserrer les lien avec la Turquie de manière à ce qu’elle ne s’égare pas trop du côté de Moscou et de Téhéran, tout cela au prix du sacrifice d’une faction kurde qui, en raison de ses bases marxistes-léninistes, n’est pas politiquement très en phase avec le monde capitaliste.

En quittant la Syrie, il laisse à Israël le soin de limiter l'influence de l'Iran dans ce pays. Pour signifier qu'il était toujours là, l'État hébreu a d'ailleurs effectué un raid le 25 décembre soir sur des positions du Hezbollah situées à l'ouest de Damas. Deux militaires syriens auraient été tués. Les systèmes anti-aériens S-400 livrés par Moscou à Damas cet automne sont restés inactifs...  

Et pendant ce temps là, les taliban…

Le président Trump souhaite aussi en terminer avec le fardeau afghan. Dans ce but, les taliban ont déjà rencontré discrètement à plusieurs reprises des émissaires américains emmenés par l’ancien ambassadeur en Irak et en Afghanistan, Zalmay Khalilzad, afin de "préparer l’avenir", c’est-à-dire le départ des forces US. Pour marquer leur détermination, un commando de rebelles a attaqué pendant sept heures le ministère afghan du travail et des Affaires sociales en plein Kaboul le 24 décembre faisant au moins 43 morts!

Il semble probable que l’"État Islamique d’Afghanistan" des taliban renaîtra de ses cendres tôt ou tard après avoir disparu suite à l’opération de la coalition internationale en 2001/2002. La guerre civile se poursuivra les seigneurs de guerre se repliant dans leurs différents fiefs de manière à échapper au nouveau pouvoir central en place à Kaboul.

Al-Qaida "canal historique" confortera sa place aux côtés des taliban afghans, son émir Ayman al-Zawahiri ayant fait allégeance à leur chef spirituel, le mollah Haibatullah Akhundzada, comme d’ailleurs le redoutable chef de clan Sirajuddin Haqqani qui a succédé à son père Jalahuddin décédé de sa belle mort le 3 septembre de cette année. Si Daech n’est pas vaincu, Al-Qaida "canal historique" non plus ! La question qui peut se poser est : à quoi ont servi 17 années de guerre ? Chasser Ben Laden d'Afghanistan après le 11 septembre 2001 était légitime. La suite semble avoir été mal gérée mais qui connaît l'Histoire de l'Afghanistan perpétuellement rebelle ? 

Pour le président Trump, l’Amérique est à nouveau "respectée" même si cela passe par quelques "vacheries" faites à ses alliés. Il ajoute même dans un tweet le 24 décembre, "aux quelques sénateurs (US) qui pensent que je n’aime pas ni apprécie être allié avec d’autres pays, ils ont tort, j’aime bien (cela) […] Ce que je n’aime pas en revanche, c’est quand nombre de ces mêmes pays profitent de leur amitié avec les États-Unis, à la fois pour la protection militaire et le commerce".

Il est parfaitement exact que les États-Unis restent - et de loin - la première puissance mondiale tant sur la plan économique que militaire. Durant la Guerre froide, ce sont les États-Unis qui ont assuré la défense du monde libre face au communisme internationaliste de l’URSS. Seule la France du général de Gaulle avait tenté de s’affranchir - un peu -  de l’influence américaine en se dotant d’une force de dissuasion crédible et indépendante (Washington possédait la clef du feu nucléaire britannique) et en sortant du commandement intégré de l’OTAN. Pour ceux qui parlent de "bombinette", il faut savoir qu’un sous-marin lance-engins emporte seize missiles mer-sol M51 dont les têtes multiples ont une puissance qui dépasse les 100Kt comparés à la vingtaine de Kt des armes ayant frappé le Japon en 1945(1) - sans compter les missiles de croisière ASMPA de 300 Kt qui arment des Rafales.

Trump dit tout haut - et fort peu diplomatiquement - ce que pensent les Américains tout bas depuis des lustres : nous ne voulons plus "payer" pour les autres, et en particulier pour les Européens. De plus, tous les moyens sont bons pour Washington pour neutraliser l’influence que pourrait avoir ses concurrents économiques et politiques : Europe, Chine, Russie, etc.

En gros, Trump a abandonné la représentation du monde à la Walt Disney. L'Amérique n'est pas vraiment "respectée" comme il le dit, mais elle est crainte. Aux bisounours européens de se réveiller. Le bon point de ses tweets est que le président Trump a reconnu que les États-Unis allaient arrêter de tenter de renverser des gouvernements étrangers en privilégiant la stabilité au chaos. C'est un aveu extraordinaire : Washington a agi dans le passé en participant au renversement des dirigeants politiques étrangers; on ne s'en serait pas doutés…

(1) L’armement nucléaire n’est pas utile contre les mouvements non-étatiques comme Daech ou Al-Qaida. Par contre, la prolifération nucléaire étant de plus en plus importante, il est sage de le préserver pour faire face à de nouvelles menaces à venir: des États agressifs eux-mêmes dotés de l'arme nucléaire.

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