Gilets jaunes : pourquoi notre monde ne souffre pas d’un abus mais d’un déficit de VRAI libéralisme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Gilets jaunes : pourquoi notre monde ne souffre pas d’un abus mais d’un déficit de VRAI libéralisme
©MATTHIEU ALEXANDRE / AFP

Oligopoles et rentiers

Alors que le monde rejeté par les Gilets jaunes est décrit comme "libéral", la réalité de ce monde n'est, en réalité, pas libérale.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Selon les données fournies par le livre de Caroline Freund et Sarah Oliver (Rich countries, poor people), le nombre de milliardaires dont la fortune aurait été constituée par les connexions politiques et la privatisation des ressources aurait triplé depuis 2001. Alors que le monde rejeté par les Gilets jaunes est décrit comme "libéral", ne peut-on pas considérer que la réalité de ce monde n'est, en réalité, pas libérale ? Quelles sont les thématiques abusivement présentées comme étant "libérales", et quel serait le qualificatif le plus approprié pour les caractériser ? Quelles seraient les solutions, rapidement efficaces, que pourraient offrir un "véritable" libéralisme aux populations qui le contestent, comme les Gilets jaunes en France ? 

I. le constat : un pouvoir vaguement technocratique, soumis à sa monnaie et aux impératifs institutionnels, qui utilise (à temps partiel) le libéralisme comme un faux pavillon 

L’autre jour, je lisais une note de Patrick Artus (comprendre : signée par Patrick Artus) intitulée : « L’Italie n’a pas ajusté son économie à l’entrée dans l’euro ». Tout est là, dans ce titre à ce point surréaliste-orwéllien que plus personne ne s’en rend compte. Je croyais qu’une monnaie devait se mettre au service de l’économie, et à travers elle au service du plus grand nombre. Quel naïf j’étais. Dans le monde concocté par nos technocrates qui maîtrisent à fond la terminologie libérale pour mieux couvrir leurs agissements illibéraux, c’est l’économie qui doit s’adapter à la monnaie. L’ensemble des contrats et des conventions du secteur privé, y compris les salaires, doit s’adapter, et s’adapter d’autant plus fortement que la chape de plomb soviétique d’un taux de change nominal fixé pour l’éternité (entre des pays très différents) nous a privé de la plus commode des flexibilités. Ce n’est donc plus le chien qui remue la queue, c’est le chien qui se fait remuer par la queue, et en plus il doit rester dans sa niche et faire le beau. Par exemple, le budget national doit plaire à la BCE, la gestion des banques commerciales doit plaire à la BCE, les bonus des opérateurs financiers doit plaire à la BCE, mais à part ça le libéralisme règne en maître au pays de Tocqueville et de Bastiat. Et ce n’est qu’un exemple, il y en a plein d’autres, au quotidien.

Bien entendu l’Italie (comme la France et d’autres) n’a pas assez « ajusté son économie », comme disent de façon marxiste-léniniste nos « experts » planqués dans des universités et des conseils d’administration : s’ils étaient libéraux, nos libéraux-énarques et nos hayékiens-employés-à-vie sauraient qu’ « on » n’ajuste pas comme ça et impunément une économie, c'est-à-dire un ensemble hyper-complexe de règles, de conventions et d’incitations ; « on » ne déboule pas dans un vaste jeu de mikado interactif comme ça, en moins d’une décennie, avec des « yakafokon » sur les réformes structurelles (l’élixir universel, à tous les stades du cycle mais toujours pour les autres), sans énerver le populo, au bout d’un moment. On ne transforme pas plus rapidement un vieux pays doté d’une monnaie dysfonctionnelle en une « Start-up Nation » parce qu’un gamin sans gêne a pris le pouvoir et qu’il est fasciné par le libéralisme des quatrièmes de couverture ; ou alors, on s’en donne les moyens, ce qui suppose notamment de ne pas considérer comme une révolution schumpetérienne le fait de remplacer trois points de charges sociales par deux points de CSG.      

Libéral, un monde où tout le pouvoir monétaire a été confié (fort peu démocratiquement, passons) à Francfort, et où le reste des prérogatives régaliennes est géré depuis l’Elysée par cinq ou six personnes qui viennent pratiquement de la même promo ? Libre-échangiste, une organisation des échanges qui reste anti-protectionniste à condition qu’on ne touche ni à l’agriculture, ni à la culture, ni à la défense, ni à l’énergie, ni aux transports ? Concurrentiel, un ordre médiatique qui serait trusté par quatre capitaines d’industrie et trois énarques si internet n’avait eu le mauvais goût de s’introduire ? Respectueux des contre-pouvoirs, un système politique qui infantilise à ce point les collectivités locales, le Parlement, les syndicats ? Entrepreneurial, un climat où le superviseur des banques eurolandaises prête aux banques eurolandaises, à des taux négatifs, 800 milliards d’euros tous les deux ou trois ans (à chaque fois, c’est pour la dernière fois), mais où il faut un diplôme, quatre certificats et surtout aucun droit à l’erreur pour créer une PME dans la coiffure ou dans la rénovation des toitures ?        

On fait le reproche de la technocratie au pouvoir parisien actuel : j’ai envie de dire « si seulement… ». La technocratie est détestable pour un libéral, mais au moins c’est la gouvernement des meilleurs. Vous croyez vraiment que les meilleurs sont au gouvernement ? Ou, au niveau européen, vous croyez que les 24 personnes autour de la table de la BCE sont les 24 meilleurs spécialistes en politique monétaire du continent ? On confond CV et compétences, track record et réseaux, connaissances financières et connaissances dans les banques. On se moque du monde. A Paris, Macron a commencé (pour violer la théorie des 100 jours) par une pseudo-loi de pseudo-moralisation de la vie politique, sans rien toucher aux sujets sensibles comme la possibilité pour un haut fonctionnaire de monnayer son carnet d’adresses dans une banque d’affaires, par exemple. Les petites réformes ont ensuite touché surtout le secteur privé, exposé au monde, déjà très efficace et maintes fois réformé dans ce pays : elles touchent très peu le secteur public pléthorique. Pendant que l’Elysée tripatouillait les indemnités chômage ou la formation professionnelle, il ne s’occupait pas de ce dont il a la charge, la réforme de l’Etat. On reste sur un schéma hexagonal classique où les autorités publiques donnent des leçons au secteur privé tout en lui fournissant de bien fâcheux exemples. Quand en plus elles multiplient les provocations ciblées (taxes, 80km/h, et on a échappé de peu aux péages urbains), on se dit que les gilets jaunes ont raison de penser que ce pouvoir est particulièrement dur aux faibles et gentil avec les bobos. Une politique grandiloquente en paroles et insignifiante en actes quand elle n’est pas injuste, et qui va dégouter le peuple des réformes libérales pour un sacrée moment.

A lire aussi : Alain Madelin : "Moi qui passe pour être libéral, j’aurais engagé toute action gouvernementale en traitant d’abord l’urgence sociale"

II. Les solutions ? Très improbables…

Il serait bon de soutenir les intérêts des gilets jaunes, même quand on travaille comme moi dans une salle de marchés : après tout, les capitaux peuvent fuir les mauvaises politiques (ils ne se gênent pas pour bouder la zone euro depuis une décennie), pas les citoyens ordinaires. En accord avec la doctrine d’un grand libéral (« Le pouvoir n'a qu’un seul devoir : de garantir la protection sociale du peuple », Benjamin Disraeli). Voilà en toute fausse modestie mes quelques pistes pour remettre un peu de libéralisme authentique et populaire dans l’équation : par ordre d’urgence :

1/ la fin du règne de ToutanMakron, qui a déjà trop duré. Une étape préalable, indispensable : l’abolition de la tyrannie (fut-elle majoritaire, et elle ne l’est même plus) a toujours été la requête de base de tous les penseurs libéraux, de même que la résistance contre la novlangue, les télévangélistes et Jupiter. La démission étant peu probable, et la dissidence impossible avec les Mutins de Panurge de la « République en Marche », voilà qui retarde déjà mon beau programme libéral à 2022 (au moins), ça commence comme une communication hollando-macronienne sur le démantèlement des centrales nucléaires...

2/ la remise des petites dettes des gilets jaunes et d’autres particuliers, pour que le travail paye (je ne parle pas des dettes de Drahi, mais des familles bloquées par 5000 euros de crédit revolving). Certes, cela vient plus du fonds judéo-chrétien que du fonds libéral stricto-sensu, mais bon, ces deux courants n’ont-ils pas été à l’origine de l’abolition de l’esclavage ? En ces temps où le bilan des banques centrales peut enfler sans créer la moindre inflation, y loger durablement des dettes autres que celles de nos Etats pourrait créer un choc de confiance significatif, et remettre des projets dans l’économie (des centaines de milliers de personnes et de TPE se débattent comme des Sisyphe, ils ne sont plus vraiment dans le circuit). Cela ne coûterait pas grand-chose, juste l’épaisseur du trait dans une courbe du bilan BCE, et rapporterait gros. Mais j’oubliais, avec le sigle BCE dans la phrase, on peut déjà considérer le projet comme mort-né, euthanasié par la plus puissante des agences de communication et vitrifié par la tyrannie du statu quo.      

3/ des taux d’intérêt négatifs. Pas seulement pour les banquiers, perfusés affiliés à la grosse caisse BCE : pour tout le monde. L’intérêt ne rémunère aujourd’hui aucun sacrifice véritable ; il est devenu illégitime, si j’ai à peu près raison sur la déflation. Et les entrepreneurs ne reprendront pas des couleurs sans un euro en dessous du dollar pendant quelques années. Là, je rêve bien entendu, ce n’est pas du tout ce que nous prépare Francfort. Cela ne figure pas non plus, il est vrai, dans les manuels du libéralisme orthodoxe, où Gesell passe plutôt pour un doux dingue ; mais être libéral, n’est-ce pas aussi savoir dépasser l’illusion nominale, savoir se réinventer, et savoir faire avec les circonstances (déflationnistes depuis 2008) plutôt qu’avec des manuels des années (18)70 ? Avantage annexe, l’argent qui dort (ces tonnes de cash improductif qu’accumulent les grosses boites depuis quelques années, il est vrai plus aux USA qu’en France) serait nettement incité à se placer sur des échéances plus longues, ou à être investit. Avantage final, en cas de taux courts très négatifs qui se répercuteraient sur les taux longs : plus personne ne serait crédible à Bruxelles (même Moscovici et Juncker, ah, zut, eux n’ont jamais été crédibles) pour nous faire peur avec des histoires de méchants-déficits-budgétaires-qui-vont-égorger-nos-enfants, puisque l’Etat serait payé pour en faire, des déficits. Ah d’accord, c’est peu libéral de prime abord, mais croyez-vous que le pacte de stabilité l’est davantage ? Et avez-vous entendu parler de la proposition de Milton Friedman (et d’autres penseurs non-trotskystes) d’une banque centrale qui financerait le gouvernement, à 0%, sans faire des histoires, et de son évocation d’une détente monétaire délivrée par hélicoptères (création monétaire pure et inconditionnelle vers le grand public), en cas de déflation grave (la nôtre va fêter son 11e anniversaire avant le retour de la récession) ? J’ai écrit maintes fois dans ces colonnes qu’il faudra bien défragmenter au napalm toute la racaille budgétariste pro-Allemande, et il se trouve qu’elle déteste tout ce qui ressemble à des financements non punitifs, à des narrations dénuées de moraline, et à des implications plus franches de la banque centrale, ce qui m’encourage dans cette voie qui n’est pourtant pas 100% libérale pur jus.

4/ bon, la composante gauchiste des Gilets jaunes est satisfaite par les points précédents. Mais quid des séditieux de l’ultra-droite qui, selon notre ministre de l’Intérieur très objectif, pullulent dans les rues, sûrement à la recherche de CRS magrébins ? Comment satisfaire ces « gens-là » avec des idées libérales qui ne sont manifestement pas faîtes pour eux ? Parlons un peu du sujet qui fâche, l’immigration vers nos pays, qui sont des Etats Providence qu’on le veuille ou non. Je rappellerai que même Milton Friedman, adepte de la libre circulation des personnes la plus totale, a écrit que cette position d’ouverture n’était compatible qu’avec un retour (illusoire, à l’horizon de la prévision) à l’Etat social d’avant 1914. En clair, nous pouvons être libéral, et promouvoir un libre-échange inconditionnel sur les biens et services, sans accepter pour autant d’accueillir toute la misère du monde. Nos pseudo-libéraux et nos drôles de paroissiens qui squattent les palais nationaux tentent de faire croire que l’ouverture tous azimuts aux flux de migrants serait la seule position compatible avec l’essence du libéralisme et l’essence du christianisme, et ils réussissent souvent à culpabiliser les braves gens. En guise d’autodéfense, ces derniers devraient lire les travaux récents de Jean-Philippe Vincent, et réfléchir à des solutions innovantes comme l’immigration payante, par exemple. Quand Steve Jobs juste avant sa mort dit à Barack Obama "we should staple a green card to the diploma of every foreign worker who attains a graduate degree in science or engineering", il a bien raison. Mais ce n’est pas exactement la nature de l’immigration en France, et il est logique que la colère gronde dans des territoires où le chômage de masse sévit, et où les files d’attente s’allongent à l’école et à l’hopital. Le « Wir schaffen das ! » d’Angela n’est pas chrétien, européen et libéral : il est hypocrite, unilatéral et payé par les autres. Et il se trouve que les libéraux ont tous les outils analytiques pour nous alerter sur l’intuition de Saint Bernard : « l'enfer est pavé de bonnes intentions ».

5/ A plus long terme, il faut bien reconnaître qu’on ne fera pas de vrai libéralisme sans d’authentiques libéraux. Sinon, les faux prophètes, les Macron et les Darmalin vont proliférer, sans gilets jaunes pour les repérer. Je suis sceptique quand je vois les programmes scolaires. En 4e, le manuel d’histoire-géo de ma fille semble avoir été écrit par des tiers-mondistes sous stéroïdes. C’est un peu mieux qu’à mon époque, où l’URSS devait rattraper les USA en raison de la vigueur de sa production d’acier et de la franche camaraderie qui caractérisait les sovkhozes, mais c’est tout de même un peu gênant : voilà des gamins jetés dans un grand bain néolibéral (à 13 ans, ils veulent tous avoir leur chaine YouTube), très darwinien, et « dans le même temps » comme dirait l’autre, la musique de chambre du cocon social-démocrate-protecteur (qui nous prend en charge du berceau jusqu’à la tombe) place toute cette jeunesse sous Tranxen200. La schizophrénie macronienne (le lundi, StartUpNation, le mercredi, plus d’impôts, le vendredi, quinze nouveaux textes, et on recommence) a encore un boulevard devant elle, avec des têtes qui changeront mais une tendance au « tout vouloir » (la croissance ET l’euro, l’armée européenne ET la baisse des crédits militaires, la liberté ET l’inflation législative) qui devrait persister.     

Conclusion

« Une proportion énorme de l'ingéniosité moderne est consacrée à défendre la conduite indéfendable des possédants », GK Chesterton, Hérétiques (1912)

La crise des Gilets jaunes sera sans doute conjurée avec les méthodes énarchiques traditionnelles : gagner du temps, nommer une commission présidée par Robert Badinter, faire des petits chèques pour la paix sociale, et ne rien résoudre sur le fond, sans jamais faire le lien avec le désordre institutionnel et monétaire à la source du malaise (« l’euro est une autoroute sans sortie », avait reconnu Yves-Thibault de Silguy : pas besoin de gilets jaunes sur une autoroute sans sortie ?…).

Pourtant, si vous dîtes que la défense nationale est trop importante pour être laissée aux politiciens et que les militaires n’ont pas à répondre aux questions parce qu’ils sont trop compétents, on va dire (avec raison) que vous êtes idiot et que tout cela va très mal se terminer. Si vous dîtes la même chose des questions monétaires à 3000 milliards d’euros, après une décennie d’échecs flagrants de la BCE, on vous ouvre les portes de l’élite politique et financière en zone euro, au nom de l’ordolibéralisme (doctrine allemande de l’après-nazisme qui se méfiait pourtant de la constitution d’un Etat dans l’Etat, qui préférait les changes flexible aux changes fixes, et qui ne souhaitait accordait une forte indépendance qu’aux institutions aux pouvoirs strictement bornés...) (bref).

Avec 5% des sommes consacrées depuis 2008 aux rustines sur les digues fragiles de l’euro qui a des fuites, chaque gilet jaune pourrait se voir offrir une Ferrari neuve, dernier modèle, avec toutes les options, et le plein de carburant pour des années. Pas sûr que ce serait bon pour le respect des 80km/h, mais le bien-être des smicards y gagnerait ce que l’orgueil scientiste d’Edouard Philippe y perdrait. Comme ce serait tout de même mauvais pour le bilan carbone du pays, cet argent pourrait être dirigé vers des investissements d’avenir ; mais c’est Elon Musk qui construit partout un vaste réseau de superchargeurs pour des véhicules électriques qu’il construit, pas les gouvernements français trop occupés à disserter sur les-grands-enjeux-d’un-monde-qui-change-ma-bonne-dame, et à subventionner des constructeurs qui misent tout sur le moteur à explosion pour rebondir avec des SUV comme en Amérique il y a 25 ans.

A lire aussi : Les Gilets jaunes, le cri de la liberté

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !