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Pourquoi les cadeaux distribués par Emmanuel Macron ne sont pas adaptés à la vraie nature du malaise économique qui a produit les Gilets jaunes
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Soins palliatifs

En annonçant de nouvelles mesures en faveur du pouvoir d'achat, Emmanuel Macron retombe dans le piège français du traitement des symptômes de la précarité, mais en oublie les causes.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : En réponse aux revendications des Gilets jaunes, Emmanuel Macron a annoncé certaines mesures favorables à la progression du pouvoir d'achat, notamment pour les personnes touchant le SMIC ou les retraités aux revenus de moins de 2000 euros, entre autres. Comment analyser cette prise de décision au regard du passé, ne pourrait-on pas y voir une forme de traitement des symptômes tout en oubliant les causes du problème ? 

Alexandre Delaigue : Oui. Si on veut voir l'ensemble, ce qui se présente est un rejet un peu généralisé à la fois du gouvernement mais également des politiques de type structurel qui ont été menées. L'idée de ces annonces n'est pas de revenir sur ces réformes structurelles mais plutôt d'essayer de faire passer la pilule avec un certain nombre de mesures, comme l'on jette un verre d'eau sur un incendie qui débute. C'est en cela que nous sommes dans l'idée d'un traitement symptomatique. Mais si l'on voulait reprendre cette distinction entre les symptômes et les causes, il faut comprendre que le problème de fond de l'économie française est que son système social est structuré pour une croissance plus forte que celle que nous connaissons depuis 1990 environ. La pente dés inflationniste dans laquelle nous nous sommes inscrits ne nous assure pas une croissance suffisante pour maintenir notre système social et garantir dans le même temps un pouvoir d'achat qui augmente, pour que tout le monde puisse y trouver son compte. Il y a deux manières de voir ce problème. La première version est, soit on considère que nous n'aurons plus jamais de croissance et qu'il faut rogner sévèrement le système social parce qu'il est intenable, soit, on se dit que si on veut sauver le système social il faut essayer de partir à la course pour essayer de récupérer le plus d'argent possible là ou il est et donc taxer au maximum les riches, les uns, les autres etc…La deuxième version consiste à dire qu'il faut essayer de changer les structures de l'économie française en vue de lui permettre de croître plus afin de maintenir le système autant que possible. Le problème est que nous ne choisissons jamais véritablement, en tentant de faire de faire des réformes structurelles dans un contexte dégradé, c’est-à-dire dans un contexte où l'on s'inflige également une importante contrainte budgétaire. Le gouvernement d'Emmanuel Macron s'est directement mis dans cette situation en se posant une contrainte budgétaire très forte, pour rester dans les clous européens, et cherche dans le même temps à faire des réformes qui ont des effets distributifs importants. Quand on essaye de faire les deux, et cela est une leçon systématique, on n'arrive pas à faire de réformes sans croissance, que celles-ci soient de gauche ou de droite, cela ne marche jamais. La réforme qui a pu se faire a été celle des 35 heures parce qu'elles ont été faites dans une période favorable. Mais lorsque l'on s'inflige ce type de contraintes, le fait est que l'on fait tout mal. On n'arrive pas à faire les réformes de manière correcte ou alors on suscite des oppositions majeures. Au final, on se retrouve à faire des cadeaux fiscaux par ci ou des dépenses publiques par-là, et le résultat est que nous n'avons ni la consolidation budgétaire ni l'amélioration du potentiel de l'économie. Le problème est plus un problème de diagnostic qui est de vouloir tout faire en même temps, mêlé avec une maladresse qui relève plus de l'incompétence politique dans la manière de lancer les mesures et il faut bien le dire, une assez bonne dose d'arrogance perçue qui n'a rien arrangée. Mais fondamentalement, quel que soit le gouvernement, ils se sont tous heurtés sur la même chose : on ne fait pas de réformes structurelles si on ne fait pas dans le même temps un minimum de croissance pour que cela puisse passer. Essayer de réformer en essayant de consolider le budget, c'est la garantie de rater l'un et l'autre.

Comment analyser cette prise de décision à travers le prisme du "nouveau monde" que souhaite incarner Emmanuel Macron ? 

C'est le même schéma que Jacques Chirac a rencontré en 1995, se faisant élire sur un programme "la feuille de paye n'est pas l'ennemie de l'emploi" "il faut lutter contre la fracture sociale" pour en arriver à faire de l'austérité budgétaire et une réforme des retraites. A contrario, le gouvernement Jospin est arrivé avec un programme fondé sur les 35 heures qui a pu se faire en raison du contexte de croissance plus forte. Ensuite nous avons eu un nouveau gouvernement Chirac qui, échaudé par 1995, a décidé de faire le moins de réformes possibles. En réaction Nicolas Sarkozy est arrivé avec l'idée d'aller chercher la croissance avec les dents pour reprendre le terme, "travailler plus pour gagner plus". Cela n'a pas si mal fonctionné mais cela est rentré dans le mur de la crise de 2008 qui a contraint fortement les choix, et qui, lorsque la France a fait le choix de la consolidation budgétaire a mis fin à toute possibilité de réformer. Le dernier a été François Hollande qui a lui aussi été face à cette contradiction, entre vouloir effectuer des changements structurels dans l'économie pour ensuite faire de la consolidation et de se retrouver dans cette même contrainte. Ce n'est donc pas vraiment une configuration nouvelle, tout cela est du déjà-vu.

En quoi cette stratégie de compensation peut-elle être mise en cause, aussi bien concernant le niveau d'endettement du pays, que pour l'angoisse exprimée par des populations qui souhaiteraient tirer leurs revenus de leur travail, et non de coups de pouce successifs ?

Il n'y a pas vraiment de direction. La seule direction qui est constante c'est le désir de se faire réélire. On essaye de prendre des mesures tout en essayant de compenser avec d'autres mesures pour éteindre l'incendie qui a été provoqué. Ce n'est pas quelque chose de durable. Le gouvernement espérait que la croissance mondiale serait suffisamment forte pour faire passer ses réformes, or cela n'a pas été le cas et les réformes ne passent pas. Et malgré cela, on ne voit pas de changements de direction. Quand on voit que le parti s'appelle En Marche, on voit une référence à Tony Blair qui avait déclaré un jour qu'il ne connaissait pas la marche arrière. Nous sommes un peu dans la même idée, le gouvernement est parti dans une direction et est incapable d'en prendre une autre. Pourtant, dans de nombreuses situations, il est bien pratique d'avoir une marche arrière. Mais nous sommes face à un pouvoir qui ne sait aller que dans une seule direction tout en espérant faire suffisamment de cadeaux fiscaux pour que cela puisse passer. Avec la contradiction habituelle entre une population française qui demande des choses et les contraintes européennes qui demandent un certain nombre d'autres choses. Le gouvernement se retrouve pris entre le marteau et l'enclume, et cela risque de durer assez longtemps.  

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