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Jours de colère : qui du gouvernement ou des Gilets jaunes a marqué le plus de points ce samedi ?
©BORIS HORVAT / AFP

Acte IV

La journée de mobilisation du 8 décembre a fait deux « gagnants » : le gouvernement qui, grâce au calme relatif, valide son dispositif de maintien de l’ordre public ; et les Gilets jaunes, dont l’attitude a fait autant que les blindés pour parvenir à ce résultat. Dans le même temps, les casseurs et les pillards sont clairement apparus pour ce qu’ils étaient...

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Au lendemain des manifestations du 8 décembre, la France constate que les violences ont été moindres - du moins, à Paris - que celles qui avaient émaillé la journée du 1er décembre. Quels sont les gagnants et les perdants en termes d’image de cette quatrième journée de mobilisation nationale des “Gilets jaunes” ?

Christophe Boutin : De manière très claire, le mouvement des “Gilets jaunes” a été très sensible à la dérive violente du 1er décembre. Le gouvernement aura beau jeu de dire que ce sont les mesures particulièrement importantes qu’il a prises en matière d’ordre public qui ont empêché leur renouvellement, avec sans doute une part de réalisme, mais cela n’enlève rien au changement d’attitude constaté par les journalistes et les observateurs présents sur le terrain aux côtés des manifestants.

Lors de la première manifestation parisienne du 24 novembre, les “Gilets jaunes” avaient affronté sans excessive violence les forces de l’ordre sur les Champs Élysées, et l’on n’avait vu arriver que sur le tard des casseurs qui venaient s’ajouter à leurs rangs, et les habituels pillards venus des banlieues. Pas ou peu d’arrestations alors concernant ces derniers, comme si le gouvernement avait eu l’idée malsaine de discréditer le mouvement.

Le résultat de cette passivité est que lors de la deuxième manifestation parisienne, le 1er décembre, les casseurs d’extrême gauche, présents dès la mi-journée à l’Étoile et alentours, ont complètement débordé un dispositif policier mal installé et mal préparé, et que les pillards en ont profité pour ajouter leur touche personnelle. Des “Gilets jaunes”, pris dans le mouvement pour certains, effectivement violents pour d’autres, ont alors composé l’essentiel des individus arrêtés. Les craintes étaient donc grandes pour ce 8 décembre, et même si 68 % des Français soutenaient la mobilisation, ils étaient tout aussi réticents devant une violence qu’ils reprochaient à la fois aux “Gilets jaunes” et à l’inefficacité du gouvernement.

Ce dernier a donc mis en place un dispositif sans précédent : 89.000 membres des forces de l'ordre, dont 8000 à Paris, des VBRG, la police montée, les hélicoptères… On interpella préventivement une vingtaine de personnes vendredi, et plus de 5.000 autres ont été contrôlées sur les axes en direction de Paris, avec encore de nombreuses interpellations. Pour les piétons, c’était la fouille systématique, avec confiscation du matériel de protection (lunettes natation ou sérum physiologique).À 19 h le ministère de l’Intérieur évoquait 1.385 interpellations en France et 974 gardes à vue (pour Paris 920 interpellations, dont 619 gardes à vue). Il n’y avait eu que 71 blessés à Paris, 7 parmi les forces de l'ordre.

Du côté des “Gilets jaunes”, certains leaders avaient demandé de ne pas manifester à Paris, comme Éric Drouet, qui voulait rester « sur le périphérique », ou Benjamin Cauchy. Mais ils y allèrent quand même, particulièrement attentifs seulement à ne pas laisser leurs rangs être infiltrés par des casseurs ou des pillards, et pourchassant au besoin ces derniers. Ils enchaînèrent on l’a vu les protestations pacifiques dont des sit-in mains derrière la nuque, faisant référence aux arrestations de Mantes-la–Jolie, tentèrent çà et là d’engager la discussion avec les forces de l’ordre, et la « Marche pour le Climat » qui se tenait elle aussi eut lieu dans une ambiance bon enfant avec de nombreux “Gilets jaunes”. Ce n’est qu’au début de l’après-midi qu’apparurent des groupes de manifestants très mobiles, et avec eux les premières voitures incendiées, avant que des bandes de « jeunes » ne tentent de s’attaquer aux commerces de quartiers moins quadrillés que ceux des ministères, comme Passy.

Les choses sont donc claires après cette journée de manifestation : les “Gilets jaunes” ne sont pas un mouvement violent. Il y a certes des “Gilets jaunes” violents, mais ce n’est pas un mouvement organisé pour la violence urbaine comme le sont les mouvements d’extrême gauche, nettement plus nombreux et infiniment mieux organisés en cela d’ailleurs que les quelques groupes dits d’ultra droite. Et les “Gilets jaunes” ont su réagir de manière très mature pour des gens qui jusqu’à peu n’avaient pour beaucoup jamais manifesté, en évitant d’être débordés et en excluant de leurs rangs casseurs et pillards.

À priori donc deux « gagnants » dans cette journée du 8 décembre, le gouvernement qui, grâce au calme relatif, valide son dispositif de maintien de l’ordre public, et les “Gilets jaunes”, dont tous les Français ont conscience que l’attitude a fait autant que les blindés pour parvenir à ce résultat, et deux « perdants », les casseurs et les pillards, clairement apparus pour ce qu’ils étaient... Mais ce dernier point fait en fait des “Gilets jaunes” les véritables vainqueurs de la journée, car il semblera bien difficile maintenant de prétendre qu’il s’agit de hordes fascistes déterminées à mettre à bas la République, et leurs revendications gagnent donc en légitimité.

Où en est maintenant le mouvement des “Gilets jaunes” ? Et quelles réponses le Président devrait-il apporter à ces revendications quand il interviendra ?

Si tous les regards se tournaient vers Paris, des manifestations importantes ont eu lieu dans de nombreuses villes de France, grandes petites et moyennes. Selon l’estimation du ministère de l’Intérieur de 19h il a eu 125.000 « Gilets jaunes » manifestant en France dont 10.000 à Paris. Si l’on tient compte du fait qu’ils sont mobilisés depuis plus de trois semaines, on est en face d’un mouvement de fond qui a pour l’instant été peu affecté par les promesses gouvernementales : dans le sondage Ifop que vous avez fait faire la semaine dernière, 17% des Français disaient « être » “Gilets jaunes” et 51% « soutenir » le mouvement, ce qui fait un peu plus de deux Français sur trois !

Le gouvernement a annoncé on le sait la semaine dernière, dans une cacophonie qui n’échappa à personne, quelques mesures. Il ne s’agissait plus de revaloriser des aides, mais d’un moratoire de six mois sur la hausse de la taxe des carburants annoncé par le Premier ministre Édouard Philippe, avant que le lendemain Emmanuel Macron n’annonce sa suppression pour 2019.

Reste que pour les Français, le gouvernement ne répondait pas aux questions posées. Dans un sondage Elabe du 5 décembre, ils considéraient inefficaces la suspension de l’augmentation des tarifs du gaz et de l’électricité cet hiver (54%) – une annonce en plus court-circuitée par celle d’EDF que l’entreprise rattraperait ensuite cette perte -, le moratoire de la hausse des taxes sur les carburants (68%)ou la suspension de 6 mois des nouvelles modalités du contrôle technique (75%). 78% des Français estimaient donc que les mesures ne répondaient pas aux attentes exprimées (dont 34% « pas du tout »), seuls un peu plus d’un Français sur cinq (22%) estimant le contraire. Et le remplacement du moratoire sur les carburants par une suppression temporaire de la hausse n’a pas du changer grand chose…

L’erreur du gouvernement et du Président vient de leur incapacité à comprendre le mouvement en cours, que l’on ne peut réduire à un coup de colère d’automobilistes roulant au diésel, et pas même à  une crise sociale au sens limité du terme : il s’agit d’une véritable crise identitaire axée sur la question du consentement à l’impôt.

Examinant leurs revendications, nombre de commentateurs croient en effet voir une contradiction entre deux axes : les “Gilets jaunes” souhaitent voir maintenus des avantages sociaux (la retraite à 60 ans, un régime de Sécurité sociale unifié, des aides dans les domaines du logement et de  l’éducation), tout en voulant payer moins d’impôts. « Il faudrait choisir » disent les analystes. Mais c’est tout choisi pour les “Gilets jaunes”. Ce n’est pas de payer des impôts qui les dérange, mais d’en payer de manière inéquitable, et l’on trouve dans leurs revendications tous les éléments pour rétablir l’équité souhaitée : la lutte contre « l’optimisation discale » de grosses multinationales et la pure et simple fraude fiscale d’autres contribuables ; une meilleure progressivité de l’impôt ; le refus des délocalisations ou celui du travail détaché ; la lutte contre l’immigration illégale en s’attaquant aux sources des « migrations forcées » sur place, et en faisant examiner aussi sur place des demandes d’asile…

Bref, les “Gilets jaunes” souhaitent que la richesse qu’ils produisent ne finisse ni en dividendes pour les spéculateurs de fonds de pension étrangers et quelques milliardaires, ni en aides à des populations illégalement présentes sur le territoire. C’est tout le problème du « consentement à l’impôt », qui n’est vraiment supportable que si existe une « fraternité » entre celui qui contribue et celui qui en bénéficie.

Au-delà, c’est en fait l’essence même de la politique « progressiste » d’Emmanuel Macron qui est contestée par les “Gilets jaunes”, et si l’on ne sait pas encore ce qu’il dira aux Français en début de semaine, il est permis de douter qu’il prenne à bras le corps le problème. Le voudrait-il d’ailleurs que son européisme le lui interdirait, puisque de nombreux éléments critiqués – démantèlement des services publics, circulaire Bolkestein sur les travailleurs détachés en Europe ou quotas de migrants par exemple -, nous sont imposés par l’Union européenne. C’est pourquoi même l’hypothèse d’un changement de gouvernement et d’un Président se retirant sous ces lambris qu’il fait restaurer pour laisser agir un nouveau Premier ministre ne résoudrait pas le problème.

Puisque la négociation va avoir du mal à déboucher, que peuvent faire les “Gilets jaunes” pour peser sur la politique menée ?

Puisque, on le voit, la question de l’Union européenne, de son rôle et de la manière dont la France doit concevoir sa politique en son sein, est essentielle, on comprend l’intérêt de la question que vous avez posée aux Français dans votre sondage : « que feriez-vous si une liste “Gilets jaunes” existait aux élections de mai 2019 » ? Certes, 59% des sondés disent qu’ils voteraient pour une autre liste, mais 13% annoncent qu’ils voteraient « certainement » pour la liste “Gilets jaunes”, et 28% « probablement »…Cela pourrait concerner moins d’1/4 des  sympathisants de LR, 1/3 de ceux du PS, 60% de ceux de LFI, et plus des 2/3 de ceux du RN… Rappelons aussi que dans les sondages récents concernant les intentions de vote aux élections européennes de 2019, le RN et LaREM étaient autour de 20%, LR à 14% et LFI à 11%...

Alors les “Gilets jaunes”, Cinque Stelle à la française ? Peut-être mais il manque pour l’instant trois choses au mouvement. La première est de faire le ménage en son sein pour pouvoir fédérer des gens venant de tendances très diverses, de LFI au RN, sans se trouver perturbé par l’entrisme des uns et des autres, et notamment d’une extrême gauche dont les casseurs, une nouvelle fois idiots utiles du pouvoir, n’auront servi qu’à le discréditer temporairement. La seconde est de bâtir un programme minimum fédérateur plus cohérent, et de s’investir dès maintenant dans l’action locale, au niveau de la commune, en parallèle avec la préparation des élections européennes. Et la troisième est, bien sûr,… de trouver son Beppe Grillo.

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