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Qui pourrait encore répondre efficacement aux appels à l’aide lancés par Emmanuel Macron ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

SOS

Quand tout va mal, les alliés se font rares. Mais c'est aussi le moment du retour de ceux qu'on croyait en disgrâce...

Samuel Pruvot

Samuel Pruvot

Diplômé de l’IEP Paris, rédacteur en chef au magazine Famille Chrétienne, Samuel Pruvot a publié "2017, Les candidats à confesse", aux éditions du Rocher. 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Dans son édition du 7 décembre, le quotidien Le Monde titrait " Gilets jaunes : sous pression, Macron lance un appel à l'aide". D'un point de vue politique, quelles seraient les personnalités qui pourraient incarner une "aide" efficace, convaincante aux yeux des Français, et comment une telle "aide" pourrait réellement prendre forme ? 

Samuel Pruvot : Qui pourrait venir à l’aide d’Emmanuel Macron ? Je ne suis pas dans le secret des dieux. Et il est toujours risqué de se lancer dans le « name dropping ». Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir sans l’aide des barons de l’ancien monde. Toute la question est de savoir s’il va pouvoir y rester sans leur secours. Il a fait la conquête du pouvoir en passant par-dessus les partis, les syndicats et les vieux corps intermédiaires. En prônant l’avènement d’un monde nouveau et de générations nouvelles. Il pourrait bien perdre le pouvoir en restant seul en apesanteur au-dessus du volcan en éruption des gilets jaunes.

Dans un pays où le personnel politique est discrédité, il paraît difficile pour Emmanuel Macron d’aller chercher, dans les placards de la République, un sage républicain aux cheveux blancs et au look de bon père Noël. A l’heure où l’opinion publique fait et défait les Présidents en exercice (et où le Président ne compte plus que 20% environ d’opinions favorables) il faudrait un miracle. Quelqu’un qui soit en même temps crédible et populaire. Cela ne peut être un profil comme Xavier Niel. Un saint Nicolas !? L’exercice est délicat quand on pense au départ fracassant d’un autre Nicolas au gilet vert.  

Christophe Boutin : De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque l’appel à l’aide lancé par Emmanuel Macron ? Mercredi, à la sortie du Conseil des ministres, Benjamin Griveaux, porte-parole du Gouvernement, déclarait que le Chef de l’État avait demandé « aux forces politiques et syndicales, au patronat, de lancer un appel clair et explicite au calme et au respect du cadre républicain », au motif, toujours selon Emmanuel Macron, que « le moment que nous vivons n’est plus à l’opposition politique, mais à la République ». Il en appelait ainsi à une « responsabilité » de l’opposition quand « certains aujourd'hui ne poursuivent qu'un seul et même objectif : attaquer la République », et dénonçait « le silence coupable et l'opportunisme de ceux qui se livrent à ces comportements » où Griveaux voyait en connaisseur se mêler « cynisme » et « opportunisme ».

Expliquant lui aussi que « ce qui est en jeu, c’est la sécurité des Français et nos institutions », le Premier ministre, quelques heures plus tard, se faisait à la fois plus explicite et plus menaçant dans son discours devant l’Assemblée nationale, en déclarant que « tous les acteurs du débat public, responsables politiques, syndicaux, éditorialistes, citoyens, seront comptables de leurs déclarations dans les jours qui viennent ». Et le doute pouvait planer sur la question de savoir s’il s’agissait pour ceux qui n’auraient pas assez défendu le gouvernement et/ou appelé au calme d’être plus tard comptables devant de tribunal de l’opinion ou devant des juges. « La démocratie doit reprendre ses droits – déclarait aussi Édouard Philippe -. La démocratie représentative est elle aussi contestée par cette colère. Il nous appartient en dépit de ces désaccords de la défendre. »

On voit bien l’amalgame qui est fait : attaquer le gouvernement dans ces manifestations où se manifeste une violence réelle – mais dont on aimerait connaître exactement les propagateurs -, ou plus simplement cautionner les « factieux » (Édouard Philippe), serait porter atteinte aux institutions et à la République. Avec cette annonce destinée à l’opinion, Président et Premier ministre, pensent trouver une justification permettant à tous ceux qui vivent du système en place et font partie de son oligarchie, qu’ils soient politiques, syndicalistes ou éditoriaux, et qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition, de dire que l’heure est grave et qu’est venu le temps de l’union sacrée.

Ils le feraient persuadés que si Emmanuel Macron tombe, c’est peut-être tout un système qui tomberait.  Car la menace en 2018 ce n’est pas cette révolution de 1968 dont les figures, parvenues au pouvoir, s’indignent aujourd’hui de quelques pavés qui volent. Non, la menace c’est 1958, quand les partis concussionnaires et népotiques de la Quatrième république durent laisser la place à De Gaulle et qu’il leur fallut près de vingt ans pour commencer à retrouver le pouvoir, un temps bien long pour ceux qui estimaient avoir un droit incontestable à ses prébendes.

Reste qu’un tel raccourci est peu crédible. Malgré les envolées de Castaner ou BHL, les « Gilets jaunes », qui ne sont pas des « chemises brunes », n’entendent pas porter atteinte à la République, et ce qui se passe dans nos rues n’est pas la marche sur Rome ou le coup d’État bolchevique. Ils n’entendent pas plus menacer « les institutions » en tant que telles, ni même d’ailleurs les membres de ces institutions. Ils demandent simplement ce qu’ils pensent être un meilleur fonctionnement de ces dernières, avec, par exemple, plus de démocratie directe, et cela n’a rien à voir. Ils le demandent en bloquant les ronds-points ? On reste dans la manifestation acceptable. Quant aux indéniables violences, regrettables, les « seconds couteaux », effectivement « Gilets jaunes », présentés en urgence devant les juges, ont pour la plupart été, au mieux, des suivistes, et l’on attend encore la comparution des véritables acteurs.

Le choix de ceux qu’Emmanuel Macron appelle à son aide est donc le suivant. Soit ils pensent que le système doit être sauvé, maintenu tel quel, qu’une bonne propagande sur deux axes, la République en danger et le rejet des violences, permettra de rendre crédible cette union sacrée dans l’opinion publique, et ils se rallieront. Soit ils estiment, pour certains, que le système peut, voire doit être amendé, et qu’il faut pour cela composer avec les « Gilets jaunes » sur autre chose que la simple réduction des taxes, ou, pour d’autres, qu’ils peuvent « chevaucher le tigre » de la rue et en tirer un avantage personnel, ou, pour d’autres encore, que la ficelle de la République en danger est décidément trop grosse pour passer, et ils ne se rallieront pas.

Mais qui en cas de ralliement ? On aura toujours pléthore de candidats dès qu’ils seront certains de gagner, moins sinon, mais le problème est qu’ils viennent tous ou presque de cet « ancien monde » qu’Emmanuel Macron voulait renvoyer dans ses foyers. Anciens ministres, parlementaires blanchis sous le harnais de trop nombreuses commissions, cumulards de mandats, aigris de la défaite de 2017, à quoi bon citer les noms qui courent les salles de rédaction et les soirées mondaines ? On les connaît tous, et trop bien… Or si l’on peut faire du neuf avec du vieux quand sont présentes les qualités exceptionnelles du retraité de Colombey, les rentiers de ces Ephad que sont devenues les collectivités locales les ont-ils, et pourraient-ils rassembler derrière eux le pays ? En fait, ceux qui risquent de venir au secours d’Emmanuel Macron pourraient bien l’enfoncer un peu plus dans une opinion publique qui a tendance à porter un regard critique sur une grande partie de la classe politique !

Au regard du contexte actuel, peut-on considérer qu'Emmanuel Macron est encore "sauvable" ? Les personnalités concernées auraient-elles encore intérêt à se présenter en recours alors qu'elles pourraient d'ores et déjà penser "à la suite" ? 

Samuel Pruvot : La durée de vie des Présidents, sous la Ve république, semble toujours se réduire. Si la durée du mandat ne bouge pas, la capacité d’action se réduit à une peau de chagrin. Emmanuel Macron se retrouve aujourd’hui avec son noyau dur politique d’origine c’est-à-dire peu de monde. Ceux qui ont fait le choix de le rallier par opportunisme pourraient bien faire le choix de se désolidariser. Emmanuel Macron est-il « sauvable » ? Mais n’allons pas trop vite en besogne quand même. Maintenant que l’heure de vérité est arrivée pour Emmanuel Macron, il ne faudrait pas jeter notre montre mais garder les yeux rivés sur les aiguilles les jours prochains. Macron a réussi ce que personne n’imaginait en prenant l’Elysée. Les gilets jaunes ne sont pas encore à danser la Carmagnole au Palais même si certains en rêvent.

Christophe Boutin : « Que faire ? », comme disait l’autre. Il est possible qu’Édouard Philippe quitte Matignon, mais quand ? En pleine crise ce serait malvenu. Trop près des élections européennes, ce serait perturbant. Entre le 15 janvier et le 15 février donc, mais qui accepterait, non de le remplacer, il est irremplaçable, mais de lui succéder (formule maintenant convenue de tout changement de personnes), et à quelle condition ? On écartera ici bien évidemment la volonté de faire don de sa personne à la France, pour retenir des choix plus politiques.

La condition préalable indispensable serait que le Chef de l’État laisse de l’air au chef du Gouvernement pour que celui ait les coudées franches dans les négociations. En effet, le nouveau Premier ministre devra nécessairement, pour en terminer avec la crise et relancer la machine gouvernementale, approcher un peu plus des mythiques réalités des articles 20 et 21 de la Constitution (sous l’autorité du Premier ministre qui le « dirige », le Gouvernement « détermine et conduit la politique de la Nation »). Il devra exister par lui-même, le « capitaine » de l’Élysée redevenant ainsi un peu plus « arbitre » selon le dualisme bien connu des étudiants des facultés de droit théorisé par Jean Massot. Dans ce cadre, une personnalité nommée à la tête du gouvernement pourrait peut-être acquérir, d’ici la mi-2019, si elle apaisait la crise, une image de « rassembleur » qui lui permettrait de « penser à la suite », c’est-à-dire à 2022 en se rasant le matin, même si, là encore, « trois ans, c’est long… »

Mais ce bel espoir ferait fi de deux choses : les élections européennes de 2019 et celles, locales, de 2020. Il sera par exemple interdit au chef de Gouvernement d’avoir une ligne autre que celle furieusement européiste, au point de porter des coups à la souveraineté nationale, qui est, et restera, celle du Chef de l’État, quand cette ligne n’est certes pas celle des « Gilets jaunes », entendons par là du mouvement populiste et conservateur qui agite la France. Même chose en 2020, où pourrait se cristalliser, cette fois dans les élections locales, la division toute macronienne entre « progressistes et « conservateurs ». L’image du « rassembleur » de Matignon subira nécessairement l’impact de ces divisions.

Pour autant, vaut-il mieux, en attendant 2022, rester loin des projecteurs en administrant sa collectivité au point d’être oublié de tous et ne retrouver les plateaux de télévision que lorsque les médias vous utilisent pour diviser votre camp, idiot utile de la politique, et personnalité d’autant plus aimée des Français qu’ils savent qu’ils ne lui confieront jamais le pouvoir ? Choix titanesque, qui n’est pas sans rappeler les interrogations du roi Lear, et qu’il ne nous appartient pas de sonder.

Au regard du "coût" politique (de concessions) que pourrait avoir un tel appel à l'aide de la part du Chef de l'Etat, et à l'épreuve de la pratique du pouvoir exercée par Emmanuel Macron depuis 2017, cette solution est-elle simplement réaliste ?

Samuel Pruvot : Le style d’Emmanuel Macron est monarchique. Est-ce réaliste de l’imaginer changer ? Il lui sera demain difficile de jouer au « président normal », un concept qu’il a piétiné avec la dernière énergie. Ce n’est pas pour rien que le jour du lancement de sa campagne présidentielle il est passé par la basilique Saint Denis. C’était un clin d’œil aux rois de France. Emmanuel Macron est aujourd’hui rattrapé par l’Histoire. Par tous ces citoyens exaspérés qui voient en lui un autre Louis XVI et chez « Brigitte » une autre Marie Antoinette. C’est l’inconscient collectif qui parle sur fond de jacquerie généralisée. On a l’impression que la parole présidentielle ne produit plus rien sinon des tempêtes nouvelles. Les blocages semblent vouloir se poursuivre quand bien même il décrocherait la lune.

Christophe Boutin : Effectivement, on voit mal Emmanuel Macron accepter de se mettre même temporairement dans l’ombre… et moins encore ses conseillers de l’Élysée accepter de ne plus diriger le pays. C’est d’ailleurs ce qui vient limiter l’impact du prévisible changement à la tête du gouvernement : la présence permanente de Jupiter sur tous les fronts et toutes les réformes, symbolisée par l’ostentation toute trumpienne avec laquelle il paraphe les textes votés, fait qu’Édouard Philippe n’arrive pas à être ce Premier ministre « fusible » qui aura été si utile à d’autres présidents de la Cinquième République. Voilà pour la difficulté institutionnelle.

Mais la vraie difficulté serait surtout de concilier son progressisme assumé, son européisme revendiqué, son libéralisme financier mondialisé, et cette approche sociétale de déconstruction de tout ce, valeurs ou cadres, qui a jusqu’ici a porté notre monde, et cette lame de fond conservatrice que révèle le populisme des « Gilets jaunes », volontiers souverainistes, partisans d’un libéralisme d’entrepreneurs, demandeurs de la protection de l’État dans le domaine social comme autour de services publics, hostiles à la mondialisation. Le choc de ces deux mondes ne fait sans doute que commencer.

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