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Pourquoi nous aurons moins de mondialisation pour les 20 prochaines années
©Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Changement d'ère

Pour l'économiste et professeur à la Harvard Business School, Rawi Abdelal, nous avons dépassé le point culminant du multilatéralisme, ainsi que le point culminant de cette ère de mondialisation.

Rawi Abdelal

Rawi Abdelal

Rawi Abdelal est économiste. Il est professeur à la Harvard Business School. Il est l'auteur de "National Purpose in the World Economy" (2002), sur les relations internationales de l'Europe de l'Est et de l'ancienne URSS, et de "Capital Rules: The Construction of Global Finance" (2009), sur l'évolution des normes et des lois du système financier international. 

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Atlantico : Dans une tribune publiée par bloomberg ; Mohammed El Erian indiquait, à propos du G20 "La véritable action se déroulera lors des réunions bilatérales qui se déroulent en marge du sommet, avec un intérêt particulier pour la conversation entre le président américain Donald Trump et le président chinois Xi Jinping." Pouvons-nous considérer ce fait comme une preuve que le multilatéralisme a déjà connu son apogée au cours des dernières années et que le monde a entamé un processus de démondialisation ?

Rawi Abdelal : Oui. Nous avons dépassé le point culminant du multilatéralisme et, en réalité, nous avons aussi dépassé le point culminant de cette ère de mondialisation. Il reste une inconnue, qui est de savoir à quel point nous allons revenir aux frontières nationales du point de vue de l'intégration. Mais le fait que cela sera moins que les 15 dernières années, comparativement aux 15 années antérieures, devient de plus en plus certain.

Dans ce processus, Emmanuel Macron a été perçu comme l'un des derniers défenseurs d'un monde globalisé et multilatéral. Voyez-vous une filiation entre les hauts fonctionnaires français - que vous avez décrits dans votre livre paru en 2007 "Capital Rules" comme étant une force motrice importante de cette ère de la mondialisation - et Emmanuel Macron à ce sujet ?

Le génie de l’approche française en matière de mondialisation est qu’elle a embrassé et adopté un ordre fondé sur des règles. L’approche française de la maitrise du système a largement dépassé l’appétit américain pour un tel système basé sur des règles. Et en effet, le président Macron semble pareillement disposé à défendre une mondialisation par la règle et par le multilatéralisme. J'apprécie profondément cette approche. Et je crains que le départ de la chancelière Merkel laisse le président Macron seul face à cette énorme responsabilité.

Est-il juste de dire que le résultat inégalitaire au sein des pays occidentaux" est le résultat de cette action ?

Non, je pense que la mondialisation ne conduit pas nécessairement à la formation des inégalités. La mondialisation génère des pressions favorables à la formation des inégalités qui se manifestent différemment selon les pays. Dans la grande majorité des pays, les inégalités ont augmenté. Mais il y a certains pays - l'Allemagne, le Danemark parmi quelques autres - dans lesquels les inégalités n'ont augmenté que modestement au cours de cette ère de mondialisation. Je pense qu'une mondialisation fondée sur des règles est souhaitable. Mais dans de nombreux pays, nous devons en faire plus pour gérer ces pressions qui en résultent inévitablement.

Emmanuel Macron est aujourd'hui affaibli par le mouvement des gilets jaunes, qui pourrait être décrit comme le résultat de la chute du pouvoir d'achat de la majorité en France au cours des 10 dernières années, une situation dans laquelle beaucoup accusent la mondialisation. Dans un tel contexte, n’est-il pas vain d’opposer au protectionnisme incarné par Donald Trump une "mondialisation telle qu’elle est" incarnée par Emmanuel Macron ?  La véritable question n'est-elle pas justement celle de la maîtrise de la mondialisation dans un sens plus égalitaire au sein des pays occidentaux ?

La mondialisation a créé des pressions pour la montée des inégalités. Elle n'est pourtant pas le seul coupable : l’automatisation et les rendements croissants de l’éducation ont également joué un rôle important. Mais la mondialisation fait bien partie de l'histoire. Les inégalités des revenus en France avant impôts et transferts - c'est-à-dire avant que l'État n'intervienne pour redistribuer – sont équivalentes aux inégalités de revenus aux États-Unis. Mais après impôts et transferts, les inégalités de revenus en France ont été remarquablement stables au cours des trente dernières années. En d’autres termes, le système français a engendré une plus grande solidarité sociale. Mais, jusqu’à présent, là où ce système a échoué, c’est de créer des emplois intéressants pour suffisamment de Français. L’expérience française suggère que l’on peut maintenir un système solidaire malgré les pressions créées par la mondialisation. Cela suggère également que la redistribution est loin d’être suffisante. Le défi pour nous est de créer une mondialisation qui fonctionne pour la grande majorité de nos citoyens. Je pense que le protectionnisme n'est pas la solution. La destruction du système ne l’est pas non plus, une telle destruction ne ferait probablement qu'empirer la situation des personnes qui ont connu des difficultés au cours des vingt dernières années. Nous pouvons toujours adopter une mondialisation fondée sur des règles tant que nous avons des politiques nationales axées sur l'éducation, sur la promotion et le financement des petites et moyennes entreprises, sur la formation continue et le développement des compétences pouvant nous aider à faire en sorte que le système fonctionne pour tous.

Si l'offre politique ne parvient pas à proposer une "mondialisation pour le plus grand nombre" au sein des pays occidentaux, quels seraient vos scénarios pour les années suivantes ?

Les mêmes forces qui ont anéanti la dernière ère de mondialisation (vers 1870-1914) – c’est-à-dire le populisme, une période de transition entre grandes puissances, l'accroissement des inégalités, et des flux records en termes migrations à travers les frontières des pays - menacent notre système mondial actuel. La dernière fois que le système a échoué, nous avons connu un désastre. Si nous ne parvenons pas à réhabiliter nos hommes politiques et nos politiques, nous subirons le même sort. Bien sûr, rien n'est prédestiné. Mais il nous appartiendra de résoudre ces problèmes fondamentaux alors qu'ils se sont révélés hors d'atteinte pour nos parents et nos grands-parents. Il est peu probable que nous ayons davantage de mondialisation au cours des vingt prochaines années comparativement aux vingt dernières années. Nous pourrions être en capacité de maintenir ce système. Mais il apparaît de plus en plus clairement que nous aurons moins, ou possiblement beaucoup moins, de mondialisation pour les 20 prochaines années.

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