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Le calme avant la tempête?
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 
Le 25 novembre 2018

Mon cher ami, 

Il règne à Londres et dans le reste de l’Europe une curieuse atmosphère. Aujourd’hui, le Conseil européen a accepté le projet de Brexit. Mais personne n’est capable de dire aujourd’hui s’il va être voté par le Parlement britannique. Si le texte est rejeté, comment réagiront les gouvernements de l’Union Européenne? A première vue en plaçant Londres devant le choix d’un hard Brexit catastrophique ou du maintien dans l’Union. Mais alors nul ne sait comment réagira la population britannique. Je vais essayer, si vous le voulez bien, d’identifier les points de certitude et les scénarios possibles.  

1. L’accord négocié par Theresa May est un mauvais accord

Theresa May a laissé Oliver Robbins, son conseiller pour le Brexit, négocier avec Sabine Weyand, l’adjointe de Michel Barnier, un accord dont le principe est simple: on répond à ce qu’on croit être le premier motif des Britanniques pour vouloir sortir de l’UE, le refus de l’immigration incontrôlée; en échange, la Grande-Bretagne reste dans le Marché Unique. Il s’agit pourtant d’un mauvais accord parce que la Grande-Bretagne, tant qu’elle est dans ce cadre, n’a plus la possibilité de contrôler l’élaboration des règles européennes tout en restant soumise à la juridiction de la Cour Européenne. Mauvais accord, aussi, parce que le gouvernement a laissé la Commission européenne poser de nombreux verrous pour dissuader la Grande-Bretagne de vraiment sortir - avec un accord de libre-échange - à la fin de la période de transition. Du côté britannique, on semble avoir accepté avec fatalisme le maintien dans l’union économique et commerciale. 

2. Pourquoi néanmoins il n’est pas exclu que Theresa gagne le vote parlementaire

La grande erreur de méthode de Theresa May aura été d’accepter, contre l’esprit des traités européens, que le Conseil européen se dérobe à la responsabilité que lui confie les traités: négocier la sortie d’un Etat-membre. Au lieu de cela, trop heureux de camoufler leurs divergences, les Etats de l’Union se sont cachés derrière la Commission. Le résultat en aura été une négociation menée sur le mode d’un Brexit minimal, essentiellement entre Oliver Robbins et Sabine Weyand. Les Remainers étant trop heureux de constater que la négociation était vidée de la politique, c’est-à-dire de toute substance. 

Je n’ai jamais pu prendre au sérieux Boris Johnson parce qu’il a préféré la rhétorique à un combat politique interne au Cabinet consistant à contraindre le Premier ministre à revenir sur le terrain politique. J’en veux à mes amis Brexiteers car ils n’ont pas su saisir l’occasion de l’élection manquée de 2017 pour passer un pacte avec Theresa May, ne lui laissant pas d’autre choix que d’aller rapidement vers un accord de type « Canada-UE ». Je leur en veux de ne pas avoir pris les moyens, ces derniers jours, du vote de défiance qu’ils annonçaient. Il n’y a rien de pire que de donner l’impression qu’on ne voulait pas vraiment ce qu’on avait annoncé. 

Vous remarquerez que Theresa May a remonté dans les sondages depuis la publication de l’accord (l’un d’eux l’a fait passer de 33% à 46% souhaitant son maintient à Downing Street). Non pas que les Britanniques aiment majoritairement cet accord. Mais il a le mérite d’exister. Il me semble que la population préfère finalement cet accord, aussi mauvais soit-il, aux promesses abstraites des Brexiteers les plus durs, à la tactique de chien crevé au fil de l’eau de Jeremy Corbyn ou à l’attitude méprisante de tous ces centristes qui réclament un second vote. 

Peut-être Theresa May gagnera-t-elle finalement le vote. Suite à une série de sondages favorables d’ici le 10 décembre la concernant, on peut imaginer qu’une majorité de parlementaires choisissent la stabilité et fassent le pari de la période de transition comme une phase où regagner de la marge de manoeuvre. A vrai dire, personne n’est capable de dire ce que donnera le vote. Je pense que la position du Parlement se consolidera dans les derniers jours.  Je fais le pari que Jeremy Corbyn ne tiendra pas ses troupes, pas plus que les deux factions opposées au sein du parti Tory ne sont sûres de faire le plein de voix dans quelque sens que ce soit. On peut donc imaginer que Theresa May, la seule à défendre une position identifiable, en tire profit. 

3. Cette crise de l’UE qui vient 

Ce que je pense de plus en plus, mon cher ami, c’est qu’un vote négatif du parlement britannique, option la plus probable malgré tout, ne déclencherait en aucun cas de cataclysme. Pour la bonne et simple raison que l’Union Européenne a mangé son pain blanc. Les uns et les autres ont plastronné, se sont vantés d’avoir imposé un Brexit minimal voire un faux Brexit au Royaume-Uni. Mais vous avez remarqué comment, dès l’accord publié, les capitales européennes ont commencé à se chamailler, à tel point que Maman Angela a dû siffler la fin de la récréation. Alors, imaginez ce qui se passerait au lendemain d’un rejet de l’accord par la Chambre des Communes. L’autre jour, je m’étais amusé à vous proposer un scénario: perte de sa majorité par Theresa, élections générales, élection de Jeremy Corbyn. Et je vous disais que que les gouvernements de l’UE s’amuseraient beaucoup moins que ce qu’ils imaginent. Mais quel que soit le scénario envisagé, les beaux jours sont passés pour l’Union. 

Comme me le faisait remarquer mon ami Ambrose Evans-Pritchard - le meilleur éditorialiste britannique - l’UE est en phase de très sérieux ralentissement économique. L’Allemagne a connu une contraction de son PIB au troisième trimestre (-0,2%) et, un peu partout, la croissance ralentit, à commencer par l’Italie. A moins d’être suicidaire, je ne vois pas ce qui pousserait une Union Européenne au bord de la récession à refuser une renégociation avec la Grande-Bretagne, que le partenaire de négociation se prénomme Theresa ou Jeremy. La Grande-Bretagne pourra se remettre rapidement du choc d’un no deal Brexit - exactement comme l’économie du pays a remarquablement digéré le choc du référendum de 2016. Au contraire, personne ne peut dire ce que serait la réaction en chaîne au sein d’une Union Européenne confrontée à une absence d’accord avec la Grande-Bretagne. Mais, alors que l’Italie est un risque pour la zone euro et que la France s’enfonce lentement mais sûrement dans une crise politique, il est probable que pas grand chose ne serait maîtrisé. 

Je vous concède bien volontiers que, jusqu’à présent, les gouvernants de l’Union n’ont pas fait preuve d’une grande lucidité sur le sujet du Brexit. Mais ils avaient encore l’illusion, grâce au quantitative easing de Mario Draghi, que la croissance se prolongerait. A présent, les conséquences du ralentissement des montants d’intervention de la BCE sont devenues bien identifiables. L’intérêt de l’UE n’est pas de perdre ses débouchés britanniques à l’exportation. 

Je serai d’accord avec vous qu’il y a suffisamment de témoignages de comportements irrationnels, ces dernières années, de la part de l’UE. Mais tout chantage au non-Brexit de la part de l’UE conduirait à un rejet encore plus fort de l’appartenance à l’UE pour le peuple britannique. Au moment où la Commission Européenne met sous pression l’Italie et où Emmanuel Macron laisse la police taper sur des Français ordinaires qui ont eu l’idée saugrenue de mettre des gilets fluorescents et de protester contre la montée des impôts, au moment où Angela Merkel s’apprête à partir, je ne suis pas sûr que la multiplication des fronts soit souhaitable du point de vue de l’UE. 


Bien fidèlement à vous

Benjamin Disraëli

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