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Pourquoi nous ne sommes plus un peuple mais une foule (pas sentimentale…)
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Perte du lien

Dans son nouveau livre, "Névroses médiatiques" (éditions Plon), Gilles-William Goldnadel explique que notre société connectée est devenue une "foule délirante", mue par sa "profonde dépression" et en manque de vrais chefs capables de les guider dans la tempête.

Gilles-William Goldnadel

Gilles-William Goldnadel

Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Il a notamment écrit en 2024 "Journal de guerre : C'est l'Occident qu'on assassine" (éditions Fayard) et en 2021 "Manuel de résistance au fascisme d'extrême-gauche" (Les Nouvelles éditions de Passy). 

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Atlantico : Vous faites le constat dès le début de votre nouveau livre, "Névroses médiatiques" (éditions Plon) que notre société connectée est devenue une "foule délirante", mue par sa "profonde dépression" d'homme occidental et délaissée par de vrais chefs capables de les guider dans la tempête. Le vecteur le plus puissant de cette névrose serait selon vous le conditionnement médiatique. Vous désignez ce phénomène sous le nom d'ochlocratie, celui d'un pouvoir détenu par la foule. Pouvez-vous l'expliquer ?

Gilles-William Goldnadel : J'ai une double explication, à la fois technique et idéologique.

Sur le plan technique il est clair que la médiatisation à outrance, d'abord via la télévision et les chaines d'information continue, et d'avantage encore avec Internet, fait que je considère que tous les individus isolés mais interconnectés en permanence sur le plan médiatique forment une foule. C'est une foule médiatique avec tous les attributs que l'on peut prêter à la foule : son suivisme, sa puérilité, son irrationalité, le fait qu'elle soit guidée purement et simplement par son inconscient.

Ayant eu cette intuition, j'ai regardé ce que les psychologies des foules qui avait été écrites il y a 100 ans par Gustave Le Bon et Sigmund Freud, et elles confirment mon diagnostic. J'ai été conforté dans mon intuition par le fait que Le Bon lui-même disait qu'on peut parfaitement faire foule même lorsqu'on est isolé dans son coin pour autant qu'on soit lié aux autres par ce qu'il appelle un courant d'opinion. Le premier à avoir utilisé ce terme est Le Bon. Or, nous sommes maintenant dans plusieurs courants d'opinion sauf que ces courants d'opinion sont « électrifiés ». Donc la foule médiatique est d'avantage encore hystérique.

C'est une explication purement et simplement technique mais qui explique pour quelle raison aucun débat politique maintenant ne peut être suivi de manière rationnelle. Dans ce cadre-là, et c'était déjà l'observation de Le Bon il y a 100 ans au début du phénomène. Il s'apercevait que les meneurs de foule qu'étaient les politiques étaient déjà largement à la dérive et d'avantage menés par le bout du nez par les foules,l'opinion publique, que véritablement décideurs. Il en est ce qu'il en est aujourd'hui avec selon moi une baisse assez générale du niveau moyen de l'homme politique. Et le fait qu'il soit bien plus esclave des sondages d'opinion qu'il y a 100 ans fait qu'il n'y a plus de véritable meneur et il n'y a rien de plus dangereux qu'une foule à la dérive.

Sur le plan idéologique, je pointe la responsabilité de ce que j'appelle l'Eglise Cathodique, qui est composée de petits clercs et de grands prêtres et qui véhicule depuis un demi-siècle ce que j'appelle l'idéologie du pseudo-antinazisme du fou qui à travers la confusion de la Shoah fait que l'on considère que finalement le monde occidental est le responsable du pire crime de tous les temps. Cela fait 30 ans que je le dit mais j'ai affiné mon concept puisque in fine, je pense que ça n'est même plus l'Etat-Nation occidental à qui l'on prête les pires turpitudes, je crois qu'au sein de l'inconscient collectif il faut se rendre à la triste raison : l'image de l’Antéchrist détestable c'est celle d'Hitler. Or Adolf Hitler était de couleur blanche et donc dans l'inconscient collectif occidental, on doit pouvoir comprendre qu'en vérité il existe une sourde honte inconsciente de partager tristement avec l'Antéchrist la même couleur de peau. Je pense que la honte inconsciente de l'Occidental vient de là.

Vous voyez d'ailleurs dans le traumatisme des révélations des horreurs de la Shoah le point de départ de cet état traumatique. Comment ce traumatisme a-t-il suscité les névroses de notre époque, à commencer par une course au statut de victime ou de martyr ?

Ce traumatisme de la Shoah arrive à un moment où les Eglises se sont vidées, où nous sommes dans un monde post-chrétien mais qui vit encore avec tous les attributs de la vision chrétienne des choses. Or le martyr juif est vécu dans ce monde post-chrétien comme une nouvelle crucifixion. Le Juif en pyjama rayé ressemble à s'y tromper à Jésus, le Juif mort sur la croix. Il est décharné, il ne sourit pas et il ne se défend pas. Il s'est donc créé à travers ce « remake » de la nouvelle crucifixion à la fois une martyrologie et une démonologie.

Une martyrologie c'est le Juif déporté en pyjama qui est vite descendu de la croix en raison de la victoire un peu insolente de l'Israélien dans les sables du Sinaï. D'une certaine manière, celui qui adore le Juif en pyjama rayé l'abhorre en uniforme kaki. L'Israélien qui se défend c'est la trahison, le Judas du Juif en pyjama rayé qu'on adore parce qu'il ne se défend pas. Il est vite descendu de la croix fantasmatique pour être remplacé par le Palestinien puis par déclinaisons successives par l'immigré, puis par l'homosexuel ou autres. Il y a toute une déclinaison martyrologique et en face de ce pavillon des Saints, vous avez le pavillon des Démons. Au départ : l'antéchrist suprême Adolf Hitler, puis par voie de déclinaison vous avez Pétain, Le Pen, Netanyahou, le beauf... In fine, en ce moment on en est au mâle hétérosexuel blanc. A gros traits, voilà comment fonctionne le système traumatique et névrotique que l'Eglise Cathodique a alimenté pendant à peu près 50 ans via des médias qui ne sont pas faits pour calmer les choses. Je pense que c'est la grande explication.

Je n'ai jamais prétendu que le monde était raisonnable, l'Homme n'est pas un être très raisonnable mais là je pense que le monde est devenu dingue.

Peut-on rattacher ce que vous décrivez à ce que vous nommez "la guerre névrotique des sexes" ?

Oui et non. S'est greffé à cela le puritanisme américain qui a débouché sur une sorte de néo-féminisme particulier. Ceci étant posé, il n'en est pas moins vrai que la figure détestable de la néo-féministe des deux côtés de l'océan, ça n'est pas le mâle, c'est le mâle blanc ! On fout une paix royale aux immigrés de Cologne. Vous avez vu il y a peu qu'un tribunal de la Manche a acquitté un réfugié d'un viol car il n'avait pas «les codes culturels». On voit bien que ça n'est pas un « mâle blanc » qui a été acquitté. On tolère un code culturel différent et alors même que la femme est en ce moment la victime privilégiée dans le martyrologe d'aujourd'hui, sa douleur et sa souffrance sont oubliées et sacrifiées sur l'autel du « martyr coloré ».

Au regard de cette analyse, comment analysez-vous le mouvement des gilets jaunes : n'y a-t-il pas malgré notre époque quelque chose qui dénote plus d'une foule telle que la décrivait Le Bon que celle que vous décrivez ?

C'est une très bonne question à laquelle je n'ai répondu que partiellement dans mon article du Figaro de la semaine dernière. Je suis à la fois malheureux et heureux.

Ce qui me satisfait dans le mouvement des gilets jaunes c'est évidemment le beauf qui se rebiffe. Et le beauf c'est le mâle blanc ! C'est là qu'on voit que l'idéologie du pseudo-antiracisme est en voie d'épuisement. On peut maintenant vous prêter de lépreux, de populiste, de fer-à-souder, on s'en foit complètement. C'est très important et ça annonce des lendemains qui chantent pour l'Homme occidental qui finira par trouver le juste milieu entre le mépris qu'il avait pour l'Oriental il y a 100 ans et le mépris qu'il avait pour lui-même encore hier soir.

Mais en même temps ce qui me déplaît dans ce mouvement que j'approuve sur le fond, c'est sa forme, notamment les blocages. Je suis un défenseur farouche de l'Etat de Droit occidental et donc on peut imaginer ce que je pourrais dire sur un mouvement de la CGT où l'on aurait vu deux ou trois morts...

Au-delà de ça, même la foule la plus sympathique termine toujours mal. Il y a une irrationalité dans ce mouvement protéiforme des actions des gilets jaunes qui ne me dit rien qui vaille. D'ailleurs ce mouvement ne dit rien à personne. J'ai vu que les médias donnaient la parole aux portes-parole des gilets jaunes... Mais qu'est-ce qu'un porte-parole des gilets jaunes ? Qui le désigne ? Les médias, notamment, d'information continue sont évidemment bien contents de trouver des portes-parole pour alimenter la machine médiatique donc ils ne font pas la fine bouche mais il y aurait beaucoup à redire sur ce concept.

Y a-t-il un psychiatre pour soigner cette névrose collective ?

Je suis assez pessimiste. C'est bien de poser un diagnostic mais vous remarquerez que Le Bon et Freud qui ont merveilleusement décrit le phénomène de foule, qui l'ont bien décortiqué et dénoncé avec une assez grande sévérité n'ont quand même pas empêché le succès des foules communistes et nazies. On voit bien les limites de l'exercice. Je me bats depuis 50 ans contre le pseudo-antiracisme, on va finir par en venir à bout. Mais on ne viendra pas à bout du phénomène de foule, on ne cassera pas la télévision, on ne cassera pas Internet. Mais si l'on change d'idéologie, si ce qui alimente l'Eglise Cathodique à venir est une idéologie un peu moins névrotique, on se portera déjà mieux.  

Névroses médiatiques, publié chez Plon. 

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