Alerte au canari dans la mine de la croissance : l’emploi s’oriente à la baisse dans l’industrie en France pour la première fois depuis 2 ans<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Alerte au canari dans la mine de la croissance : l’emploi s’oriente à la baisse dans l’industrie en France pour la première fois depuis 2 ans
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Mauvaise nouvelle

La production manufacturière française s’est contractée une nouvelle fois en novembre, en raison notamment d’un affaiblissement de la demande qui a affecté le secteur industriel et manufacturier. Ce secteur souffre des réformes économiques peu ambitieuses menées durant les derniers quinquennats.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : Lors de la publication des PMI, ce 23 novembre, l’Institut Markit a pointé un plus bas de 18 mois concernant la création d’emplois en France. Alors que la conjoncture européenne vient de toucher un niveau proche de son plus bas de 4 ans, comment expliquer le chiffre français de l’emploi ?

Michel Ruimy : Tout d’abord, l’affaiblissement conjoncturel de la croissance de la zone euro, au troisième trimestre, n’était pas un accident. En effet, la dégradation des conditions économiques se poursuit en Europe du fait notamment du ralentissement de l’économie allemande. Celui-ci a été confirmé : le recul du Produit intérieur brut a atteint 0,2% au troisième trimestre et… le quatrième ne s’annonce pas mieux !

Pour ce qui concerne la production manufacturière française, celle-ci s’est contractée une nouvelle fois en novembre - après la baisse enregistrée en octobre -en raison notamment d’un affaiblissement de la demande qui a affecté le secteur industriel et manufacturier. Cette baisse est peut-être à lier aux tensions commerciales mondiales qui ont pesé sur le niveau de la demande en provenance des pays hors zone euro voire avec les récents mouvements sociaux formés pour protester contre les taxes sur le carburantqui ont allongé les délais de livraison. On peut ajouter également l’existence de pressions concurrentielles accrues - affaiblissement du pouvoir de tarification des entreprises - qui pèsent sur les marges bénéficiaires et une diminution des investissements de la clientèle.

C’est pourquoi, dans ce contexte, les effectifs manufacturiers reculent, certes à la marge, mais pour la première fois depuis octobre 2016. Dans le même temps, bien qu’il affiche son plus faible taux d’expansion depuis 15 mois, l’emploi continue de progresser dans le secteur des services du fait de l’obtention de nouveaux clients à la suite de salons professionnels et d’efforts de commercialisation. Ce qui fait qu’au final, le taux de création d’emplois du secteur privé français affiche son plus faible niveau depuis 18 mois.

Quelles sont les causes structurelles de ce point bas touché par la France concernant l'emploi ?

Vaste question ! Beaucoup de choses que je pourrai résumer ainsi : des réformes économiques peu ambitieuses durant les derniers quinquennats, une incapacité chronique à réformer un marché du travail bloqué et une dépense publique prodigue.

Mais, au-delà des poncifs que nous entendons régulièrement, je souhaiterai dresser un constat. Cela fait, plus de 30 ans, que la France a voulu développer son industrie sans usines et le plan de relance concernant l’industrie, dévoilé récemment par Edouard Philippe devant le Conseil de l’Industrie, est une nécessité. Il a annoncé la création de 124 «  territoires d’industrie », qui recevront entre 1,3 et 1,4 milliard d’euros de financements pour redorer leur attractivité. Ceci tombe à pic car notre pays est aujourd’hui déclassé au plan industriel.

Cette situation se traduit par un commerce extérieur extrêmement faible qui pèse sur la vie économique française. Ensuite, nos territoires se sont désertifiés. La fracture territoriale, dont on parle beaucoup en ce moment avec les « gilets jaunes », s’exprime aussi par la disparition des petites usines à travers le territoire national. Il n’y a plus de centres de vie économique dans certaines zones géographiques et des villes sont devenues « fantôme ». Il ne faut jamais négliger qu’un seul emploi industriel génère, à côté, deux autres emplois.

Il y a aussi une perte générale des compétences due au dédain ou un manque d’engouement pour le travail en usine. Ceci est dû à plusieurs causes. Tout d’abord, l’image du monde industriel reste, aux yeux des jeunes, assez négative. On y parle de pénibilité, de rigueur de discipline… ce que certains individus de la nouvelle génération ont parfois du mal à accepter.

Ensuite, 42% des PME ne peuvent pas recruter faute de compétences. Pourquoi ? Car il y a un fossé entre les différents systèmes de formation en France (les lycées techniques, les BTS, les AFPA …) et les qualifications attendues par les entreprises. En regroupant toutes les formes d’industrie en France, ce sont près de 250 000 emplois qui sont à pourvoir chaque année. Si la France retrouvait sa puissance industrielle qu’elle avait en 1975, ce sont, potentiellement, environ 5 millions d’emplois industriels qui pourraient être créés.

Enfin, il n’y a plus de « modèles », d’« exemples » dans notre entourage proche. On ne connaît plus de personnes proches qui travaillent dans une usine. L’emploi industriel représente 4% de l’emploi dans la région PACA !

On parle beaucoup de robots comme révolution dans les usines. La révolution ne serait-elle pas plutôt de créer des emplois industriels ?!

Comment anticiper l’avenir alors que la conjoncture européenne semble se fragiliser ?

Pour ce qui concerne l’avenir proche, les responsables de la Banque centrale européenne ont, lors de leur dernière réunion de politique monétaire, mis en avant les incertitudes et les fragilités qui affectent l’économie, tout en convenant qu’elles n’étaient pas suffisantes pour entraver la croissance intérieure de la zone euro. Pour autant, l’Institut d’émission ne devrait pas se précipiter pour définir la stratégie de réinvestissement à la suite du plafonnement de son programme d’achats d’obligations. Bien que cette tendance puisse être temporaire, elle pourrait également être le signe que la croissance de la zone euro connaît des difficultés voire un signe de choc potentiel des marchés financiers. En effet, nous sommes à la fin d’un cycle économique, les cours des marchés boursiers sont élevés et des corrections pourraient intervenir.

En outre, certains indicateurs économiques ont suggéré une révision à la baisse des perspectives à court terme. En cause, le protectionnisme initié par les États-Unis qui pèse sur la demande extérieure, et par extension sur les exportations. Ainsi, une trajectoire de croissance plus faible au second semestre 2018 aurait alors un impact mécanique, au travers d’un « effet report », sur l’estimation de croissance annuelle pour 2019.

Par ailleurs, dans ses hypothèses pour le budget 2019, le gouvernement français a prévu, compte tenu du tassement de la croissance, 170000 créations d’emplois l’an prochain contre 245000 cette année - après un millésime 2017 exceptionnel (+ 330000 postes) - en raison de la réduction du nombre d’emplois aidés, surtout en 2018 et 2019, qui ralentirait la progression de l’emploi total.

Le gouvernement a toutefois une chance : la population active française a désormais tendance à augmenter un peu moins vite : elle devrait compter environ 70000 actifs de plus en 2019 selon l’Insee, contre environ 100 000 auparavant. Dans ce contexte, les prévisions de créations d’emplois du gouvernement, supérieures à la hausse de la population active, devraient tout de même permettre de faire reculer le chômage l'an prochain… si tout se passe bien. En effet, pour atteindre l’objectif que s’était fixé Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017, à savoir finir le quinquennat avec un taux de chômage de 7%, il faut que l’économie française crée environ 160000 emplois chaque année. Ceci est tout à fait possible mais tout nouveau ralentissement de la croissance aura des conséquences importantes sur le dynamisme du marché du travail.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !