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Pourquoi l’OPA d’Emmanuel Macron sur le camp des pro-Européens pourrait bien lui revenir en boomerang
©ALAIN JOCARD / AFP

Tout pour l'Europe

Mardi soir, Emmanuel Macron organisait un dîner avec de potentiels partenaires du centre et de la droite en vue des européennes. Mais la possible constitution d'un "bloc pro-européen" est-elle un si bon calcul pour le Président ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le dîner "officieux" à l'Elysée hier soir entre Emmanuel Macron et différentes personnalités du gouvernement mais aussi du centre, de la droite et de la gauche laisse présager une grande alliance pro-européenne en vue de l'élection de mai prochain. Le Président de la République est-il en train de faire évoluer sa rhétorique "progressistes contre nationalistes" pour concentrer les débats sur la question de la souveraineté de l'UE ?

Il me semble que les deux aspects sont compatibles : en effet, une alliance des partis européens dominants jusqu’à ce jour, PPE,  PSE et ALDE, au Parlement européen que cette rencontre nationale préfigure peut se faire aussi bien au nom du progressisme contre les idées conservatrices en matière de mœurs (par exemple sur le statut des homosexuels) et contre les idées protectionnistes en matière économique, que d’une souveraineté européenne, soit la recherche d’un poids accru de l’Union européenne dans les affaires du monde. Les deux aspects ne sont nullement incompatibles.  L’accent mis sur la souveraineté de l’Union européenne permet en plus d’engranger des suffrages du côté de l’anti-américanisme français, surtout depuis que Donald Trump n’est plus autant que cela l’ami américain qu’il aurait dû être pour notre Président, mais aussi de se poser comme le héraut d’une Europe garante de l’ordre mondial libéral, autrement dit d’un statu quo, issu des années de triomphe de la mondialisation postérieures à 1989, statu quo menacé de toute part. 

Le positionnement pro-européen vanté et encouragé par Emmanuel Macron n'est-il pas  pour lui un moyen déguisé de faire adhérer à sa politique nationale ? En d'autres termes, M. Macron nous refait-il le coup du "There is no alternative" ultralibéral de Margaret Thatcher dans les années 80 ?

A l’en croire non, puisqu’il dit lui-même condamne les excès de l’ultra-libéralisme, et puisqu’il dit vouloir que l’Union européenne protège ses citoyens, dont bien sûr les citoyens français. Par le terme d’ultra-libéralisme, dont il faut bien dire que personne ne se réclame en France, E. Macron entend sans doute dénoncer certaines défaillances des marchés, par exemple leur tendance à ne pas se soucier beaucoup du statut des salariés dans la recherche de la maximisation du profit par les entreprises ou encore d’être totalement incapable de tenir compte de la pollution induite par toute activité productrice de valeur marchande. 

Or, au-delà de cette façade bienveillante de rupture avec des excès du libéralisme économique, il est tout de même assez difficile de ne pas voir dans la politique d’Emmanuel Macron et de son gouvernement un approfondissement de tout ce que les chercheurs ont appelé depuis le début des années 1990 au moins le « néo-libéralisme ». On peut penser par exemple à sa réforme du marché du travail, ou à celle du secteur du transport ferroviaire. Donc, effectivement, les envolées pro-européennes tendent à correspondre à un débat complètement figé sur les politiques publiques à appliquer. C’est encore le kit du parfait petit néo-libéral qui prévaut. Cela se voit bien d’ailleurs sur la question climatique : on progresse à petite vitesse, comme l’a dit Nicolas Hulot lors de sa démission, et surtout l’on ne peut concevoir que des incitations – autrement dit des taxes ou des subventions  au choix – pour faire évoluer les mentalités et les pratiques.  Or il n’est pas dit que ce gouvernement des pratiques des citoyens ordinaires par les incitations, positives ou négatives, soit toujours la meilleure manière de faire avancer les choses en démocratie, ne serait-ce que parce que cette vision très étroitement néo-libérale oublie largement les aspects de justice, et aussi les aspects d’acceptabilité de telles incitations. Une taxe destinée à changer une pratique peut rapidement être vue comme particulièrement injuste si celui qui l’impose s’en trouve de fait exonéré.  Economiser de l’énergie fossile vie l’imposition d’une taxe carbone est ainsi particulièrement sensible politiquement quand les dirigeants du pays sont eux-mêmes, presque par définition de leur rôle public, des très gros consommateurs d’énergie fossile. Il faudrait un pouvoir singulièrement sobre en énergie fossile pour que cette démarche de contrainte sur la vie quotidienne de tout un chacun paraisse juste. 

Le consensus pro-européen imposé par le gouvernement signifie-t-il l'achèvement de la recomposition politique entamée par M. Macron et donc la fin de la politique telle qu'on la concevait jusqu'alors en France ? Peut-on être à la fois pro-européen (donc du côté de la majorité présidentielle) et critique de la politique menée par le gouvernement en France ?

Nous verrons bien quelle sera la configuration exacte des listes aux élections européennes de l’an prochain, et quel sera leurs résultats. J’en doute cependant fortement. Ainsi, d’ores et déjà, on sait que ni les Républicains de Laurent Wauquiez ni ce qui reste du PS autour d’Olivier Faure n’ont l’intention de se rallier à une grande liste unique des pro-européens. Il n’est même pas sûr que les centristes de l’UDI ne soient pas tentés de présenter leur propre liste. En tout cas, aussi bien les Républicains que le PS entendent bien être pro-européens, au sens de membres respectivement du PPE et du PSE, sans devoir appartenir à la majorité présidentielle. Il suffit pour s’en convaincre de les voir évoluer ces dernières semaines. Rien n’indique que ces deux partis sont prêts à se rallier en tant que tel à la majorité présidentielle d’ici le mois de mai prochain. La même remarque vaut encore plus pour EELV ou Génération(s), que je vois très mal rallier une liste unique du grand centre pro-européen, même s’il y aura sans doute des ralliements à LREM-Modem d’individualités à la recherche d’un poste bien payé de député européen. 

Par ailleurs, dans notre système institutionnel, il est presque impossible d’être longtemps dans la majorité présidentielle et en même temps de critiquer la politique menée par le gouvernement en France. Le grand silence de François Bayrou me parait une bonne indication de cette difficulté. 

La polarisation du débat politique imposée par M.Macron est-elle dangereuse pour la démocratie ? En l'absence de partis d'opposition forts, le soulèvement ne risque-t-il pas de se faire par le bas, c'est-à-dire par le peuple lui-même comme on le pressent aujourd'hui avec les "gilets jaunes" ?

Elle n’est pas simplement imposée par E. Macron, mais elle correspond à la montée en puissance de la radicalité dans la société, du mécontentement, de l’insatisfaction. E. Macron  en rajoute certes à travers l’approfondissement de politiques publiques ressenties comme injustes par une bonne partie de la population, mais il ne vient qu’en fin de course d’un processus plus général qui le dépasse très largement comme personne singulière. Ce n’est pas la polarisation qu’E. Macron promeut qui est dangereuse pour la démocratie, mais le fait que les partis de gouvernement classiques aient perdu depuis les années 1980 le contact avec les aspirations, besoins, contraintes, de trop nombreux électeurs, et que LREM ne fait guère mieux, voire pire.

En effet, qu’une bonne part de nos concitoyens ressente tout ce qui se fait depuis des décennies en matière de politiques publiques comme un échec n’est pas un scoop. E. Macron s’est fait lui-même élire à la Présidence de la République sur la promesse d’une « révolution » en la matière. Or force est de constater, au-delà de ses dénégations et de celles de son parti, que le pouvoir actuel fait la même chose, en plus résolu et rapide certes, que ces prédécesseurs. Cela a fini par se voir trop rapidement. Les déçus de la «révolution » promise  ont donc la tentation d’outrepasser les procédures de la démocratie représentative. Les propos tenus par certains « gilets jaunes » relayés par les médias vont tous dans ce sens : l’élection de 2017 leur apparait a posteriori comme une escroquerie, d’où leur appel à de nouvelles élections, à la démission du Président, etc. Il faudrait se rendre compte qu’il y a bien longtemps que des propos aussi radicaux, républicains si j’ose dire, n’ont été tenus par autant de gens dans l’espace public. 

Cependant, sauf si le maintien de l’ordre échappait au gouvernement actuel, ce qui serait une rupture avec tout ce qu’on observe depuis des décennies, une fois l’agitation de cet automne passé, l’expression légitime de ce mécontentement se trouvera ensuite dans les urnes. Les élections européennes seront en effet un jugement sur le mandat d’E. Macron à mi-parcours. On verra bien à cette occasion si les partis d’opposition sont vraiment aussi faibles que cela dans l’opinion publique. Sans faire beaucoup d’efforts la somme de tous les partis d’opposition (de droite et de gauche) dépasse déjà nettement le score de LREM qui retrouve son étiage du premier tour de la présidentielle. On verra ce qu’il adviendra en mai 2019. Mais, déjà avec les sondages actuels, l’alliance LREM-Modem n’est même pas sûre d’être la plus grosse minorité du pays. 

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