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Mesures d’aides gouvernementales : comment la crise politique en est arrivée à un stade où elle s'auto-alimente
©AFP

Cercle vicieux

Edouard Philippe a dévoilé plusieurs mesures mercredi 14 novembre au matin pour atténuer la hausse des prix de l’énergie dans le budget des ménages. Mais la stratégie à l'oeuvre semble surtout de ne pas perdre le cœur de l'électorat de LaREM. Au risque de ne pas en conquérir d'autre.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Le gouvernement a fait ici un choix politique et a tenté de garder son électorat pour ne pas donner l'impression de céder sur l'objectif de la transition écologique. Quelles peuvent être les avantages de ce choix selon-vous ? 

Chloé Morin : Lorsqu’on dit qu’il a fait le choix de conserver son électorat, il faut être prudent… En effet il est vrai que ses électeurs sont davantage citadins que périurbains, mais il convient toutefois de relativiser : le mouvement gilets jaunes - et c’est d’ailleurs ce qui en fait un mouvement dangereux politiquement - touche potentiellement tous ceux qui dépendent de leur voiture, mais résonne bien au delà car la plupart des Français comprennent leurs difficultés et leur révolte. 

Emmanuel Macron se trouvait à mon sens devant la contradiction fondamentale posée par la transition écologique depuis plusieurs années : 

- d’un côté, les Français ont pris conscience de l’urgence climatique, et même les automobilistes qui manifestent aujourd’hui sont conscients de cet enjeu, donc personne ne jugerait crédible un « nouveau chèque », un nouveau « pansement » provisoire destiné à apaiser la colère mais qui n’aiderait pas à faciliter la transition énergétique à long terme. 

- de l’autre, la souffrance est réelle, nous sommes dans une situation où les difficultés économiques et sociales s’accumulent pour peser comme autant de contraintes sur la vie quotidienne, et beaucoup de Français se sentent étouffés, sans capacité de décider de quoi que ce soit. 

Cette contradiction est aussi temporelle :

- d’une part, nous savons que la transition ne peut s’effectuer que dans le moyen et long terme

- mais d’autre part, il y a un tel déficit de confiance dans la parole publique, que les gens ne croient plus aux plans à 5, 10, 20 ans… qui plus est, le temps politique est trop souvent le temps d’un mandat, or le temps de l’urgence climatique n’a rien à voir avec cette temporalité, et a trop longtemps permis aux uns et aux autres de se dédouaner des efforts à réaliser.

Par conséquent, en termes de discours politique et de politiques publiques, on remarque que bien souvent, le discours écolo ne parvient pas à réconcilier ces tensions entre court et long terme, exigeances collectives et urgences quotidiennes individuelles. Parfois, on distingue « l’écologie punitive » de l’écologie, comme le faisait Ségolène Royal, mais cette distinction est artificielle et entretien l’idée - fausse - que l’on pourrait réaliser la transition sans efforts douloureux ou bien sans injection massive d’argent public que nous n’avons pas….

Est-ce qu'il n'y a pas un risque que le gouvernement se mette ici dans une posture politique qui ne lui permet qu'au mieux de blinder son cœur d'électorat ? En choisissant d'éviter l'hémorragie de leurs électeurs, LREM ne s'interdit-il pas d'espérer conquérir d'autres électeurs ? 

Si l’on revient à son électorat, il louera sans doute le choix de la cohérence, avec un certain degré d’écoute - rappelons que le déficit de compréhension des difficultés quotidiennes et d’écoute est l’un des reproches principaux que l’on adressait à Emmanuel Macron, mais que par ailleurs, une de ses principales qualités, qu’il a à coeur de conserver, est la constance, le courage, la détermination à mener à bien les réformes même si c’est au prix de sa popularité. 

Dans cette opposition entre «  écoute » au risque de la rupture de sa cohérence et choix courageux au risque de paraitre borné, il y aura nécessairement une partie des Français qui ne verront que le Président « droit dans ses bottes », qui ne prend pas la mesure de la détresse des automobilistes. Mais je pense qu’il aurait difficilement pu faire du « en même temps » sur le sujet : reculer totalement, c’eût été renoncer à son ADN politique, la réforme et le courage… d’autant plus que lorsqu’on distribue de l’argent public, une partie des Français - notamment issus de la droite - s’attendent à ce que cela se traduise tôt ou tard en impôts supplémentaires. 

N'y a-t-il pas un paradoxe ou une forme de renoncement de la part de LREM dans le sens ou le parti avait pour ambition de devenir un mouvement de masse, participatif ? Doit-on voir ici le signe d'un manque d'incarnation politique au profit des ambitions personnelles ? 

Je crois surtout que cette colère a surpris le gouvernement et les observateurs, car la majorité pensait cette mesure « actée » et acceptée par l’opinion. Il y a peut être eu un déficit, dans le parti, de réactivité pour sentir la colère monter, mais en vérité cette mesure a été votée et personne n’a été pris par surprise puisque l’on en parle depuis dix ans… 

A mon sens, le gouvernement n’est pas tant confronté à un problème de « participatif » en son sein sur ce sujet, mais à un double problème structurel :

- d’abord, notre incapacité à construire du consensus, ou du moins du compromis. Les mesures votées jusqu’ici ont, pour beaucoup, fait l’objet non pas d’un consensus dans l’opinion, mais d’un désintérêt ou bien d’une résignation. Beaucoup de Français ont laissé faire, ou n’ont pas saisi toutes les mesures car elles ont été nombreuses et complexes. Donc le débat survient en bout de chaine, lors de l’application. Ce n’est pas tant la faute du gouvernement, qui n’aurait pas prévenu, que la faute de notre incapacité collective à organiser des débats sur le plan national qui donnent lieu à autre chose que des pugilats…

 - ensuite, l’affaiblissement des corps intermédiaires et de tous les lieux susceptibles d’organiser et de porter des revendications collectives. Nous voyons bien que le mouvement s’organise délibérément en dehors des partis et des syndicats, et même contre eux. Or, ce mouvement est purement Politique! Se pose dès lors la question des interlocuteurs avec lesquels parler, des formes d’organisation, et du risque de radicalisation - habituellement maitrisé dans les partis et syndicats, c’est même une de leurs fonctions premières…

En raison de ces deux tendances, je crois que ce mouvement est réellement révélateur des difficultés structurelles que connaissent nos démocraties - société de la défiance, crise des corps intermédiaires, difficulté à réconcilier urgences quotidiennes et exigences du temps long.

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