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Yémen : vers un tournant dans le conflit sous l’impulsion américaine
©Ahmad AL-BASHA / AFP

Bientôt la fin ?

Les Etats-Unis ont demandé l'arrêt des bombardements à la coalition saoudienne. Pour Mike Pompeo "le temps est venu de mettre fin aux hostilités" et assure qu'il veut trouver une issue pacifique à ce conflit "dans les 30 prochains jours".

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

Vous pouvez suivre Roland Lombardi sur les réseaux sociaux :  FacebookTwitter et LinkedIn

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Atlantico : Les Etats-Unis ont demandé l'arrêt des bombardements à la coalition saoudienne. Pour Mike Pompeo "le temps est venu de mettre fin aux hostilités" et assure qu'il veut trouver une issue pacifique à ce conflits "dans les 30 prochains jours".  Selon vous, est-ce qu'il pourrait s'agir là d'un vrai tournant dans la guerre considérant que les Etats-Unis ont toujours été prudents sur cette question ?

Roland Lombardi : Oui je le pense. Aujourd’hui, dans la région, la Russie et les Etats-Unis sont les seuls capables de faire bouger les lignes. Mais pour comprendre ce qui est en train de se passer, il faut revenir rapidement sur la relation particulière entre l’administration Trump et le prince héritier, Mohammed ben Salmane (MBS).

Certains observateurs évoquent le fait que le jeune prince risque d’être écarté. Pour ma part, je n’y crois pas pour l’instant. Beaucoup ne perçoivent pas la vraie révolution qui se joue actuellement en Arabie saoudite. Les réformes sociales et économiques de MBS ne sont que secondaires comme je l'ai souvent écrit. Cosmétiques, diraient certains. Peut-être. Et, cyniquement, on pourrait dire que ce n’est pas le plus important.

La clé de l'histoire, et ce qui intéresse vraiment les responsables américains actuels, c'est que MBS est en train d'instaurer sa propre dictature, sa future monarchie absolue. Point. Pour cela, il se doit d’abattre l’ancien « système » de cette monarchie féodale et archaïque, fondée sur l’ancestral consensus entre la famille royale, les grands chefs de tribus et les oulémas. N’oublions pas d’ailleurs que c’est dans ce même système de monarchie tribale que nombre de princes faisaient un peu, voire souvent, ce qu'ils voulaient notamment en finançant le terrorisme et le salafisme à travers le monde...

Quand MBS embastille ou élimine certains princes corrompus, des prédicateurs religieux radicaux ou de riches dignitaires proches des Frères musulmans, même si cela choque les belles âmes, d’autres peuvent y voir, au contraire, quelque chose de très positif pour la région et pour les Occidentaux. En tout cas c'est historique car personne n'avait osé le faire auparavant. Voilà la vraie raison pour laquelle Trump et Mattis et même Poutine à présent, misent sur ce prince sulfureux ! A la différence des Français, ce n'est pas exclusivement pour le commerce ! C'est beaucoup plus profond et c'est cela, la réelle révolution. Les droits de l'homme attendront, malheureusement... En tout cas, et pour l’instant, MBS est une carte majeure (moins que Sissi néanmoins) pour Trump au Moyen-Orient, notamment dans les négociations secrètes en cours sur son « big deal » du siècle entre Palestiniens et Israéliens, mais également dans sa volonté (sincère) de lutter contre le radicalisme islamiste dans la région.

Le problème c’est que n'est pas Philippe Auguste ou Louis XIV qui veut... Pas sûr que le jeune prince parvienne définitivement à mettre au pas ses grands féodaux et encore moins son clergé, ni, vu le nombre d’ennemis qu’il se crée chaque jour, qu’il survive assez longtemps pour devenir un jour roi…

En attendant, pour ce qui est de son aventurisme désastreux dans la région notamment face au Qatar ou même paradoxalement à l’Iran, les Américains lui feront à terme entendre raison. On le voit aujourd’hui avec le Yémen : Washington reprend la main, la récréation est finie. Surtout que pour les Saoudiens, c’est également un moyen opportun pour eux de sortir finalement de ce bourbier sans perdre trop la face. Enfin, tout ambitieux qu’il soit, il ne faut pas que le jeune prince se fasse trop d’illusions : Sa politique extérieure ne se décidera jamais à Riyad mais à Washington !  

Au vu du climat international, entre la mort du journaliste Jamal Khashoggi et les images de la famine au Yemen, n'est-il pas judicieux de mettre la pression sur le Royaume à ce moment précis ?

Absolument, mais encore une fois seules les pressions américaines seront efficaces.

Comme je l’avais annoncé dans un entretien récent sur votre site, cette affaire sera l’immense dune de sable qui accouche de l’Onychomys torridus (petite souris du désert) !

Une affaire de Barbouzes, même grossière ou lamentablement ratée, et au-delà du tumulte médiatique qu’elle est susceptible d’engendrer, n’a jamais réellement fait vaciller un Etat. Encore moins si ce dernier est une des principales pétromonarchies du Golfe !

Dans ce genre d’histoire, il y a toujours des fusibles prêts à « sauter » si besoin, comme on l’a d’ailleurs encore vu ici.

La vérité et la justice viennent toujours s’écraser sur le mur de la raison d’Etat ! C’est triste mais c’est ainsi, et ce depuis l’origine des relations internationales. Mais au-delà de l’immense émotion médiatique, de l’hypocrisie et des condamnations morales toujours à géométrie variable, et même si le scandale Khashoggi aura au moins eu le mérite d’évoquer plus ouvertement le drame yéménite, jusqu’ici trop souvent occulté, nous pouvons retenir au moins 3 choses essentielles de cette crise.

La première, c’est que les principaux médias américains (en guerre ouverte avec Trump) se sont bassement et finalement servis du crime de Khashoggi pour atteindre le locataire actuel de la Maison Blanche qu’ils exècrent. Ainsi, tenter de lui nuire du mieux possible et attaquer sa politique de soutien aveugle au prince héritier saoudien, le sulfureux MBS, semble n’avoir été que leur principal objectif inavoué. Secondement, les Turcs, quant à eux, en ont profité pour mettre sous pression le royaume saoudien, son grand rival régional, et ainsi, par la même occasion, redorer éventuellement leur blason auprès de Washington. D’ailleurs, en froid jusqu’ici, les deux pays se sont depuis « rapprochés » : je rappelle que le pasteur américain détenu en Turquie, et l’origine principale de la « brouille » entre Trump et Erdogan, a été finalement libéré en pleine crise Khashoggi…. Troisièmement enfin, et le plus crucial, l’administration Trump, très gênée au début, a su trouver la parade et, elle aussi, a su s’accommoder au final de la grossière erreur saoudienne pour, fort opportunément, accroître sa mainmise et son emprise sur le jeune prince, comme on peut le voir donc aujourd’hui avec la déclaration américaine à propos du Yémen.

Est-ce que Donald Trump ne pourrait pas là en tirer profit pour son image sur la scène politique intérieure mais aussi internationale ? 

Tout à fait et c’est exactement ce qu’il compte faire. J'ai maintes fois dénoncé dans mes analyses le rôle plus que préjudiciable dans la région des administrations Bush fils et Obama et de la politique américaine de ces dernières années en général.

Mais l'erreur que font encore certains, c'est que ces époques, où pendant plus d’une décennie, les idéologues et les néocons étaient prédominants, sont révolues. La donne a changé dans la région et à l'international. Les logiciels ont changé.

Donald Trump est passé par là et c'est, là aussi, une révolution plus profonde qu'on ne veut la voir. Il a bousculé tous les codes, toutes les écoles de pensée, les idéologies et les traditions, en un mot, tout le « Système » comme on dit… Trump est loin d'être pour moi un modèle d'homme d'Etat. Néanmoins, en relations internationales, il ne faut jamais sous-estimer un acteur quel qu'il soit.

D'abord, en bon manager, il s'est entouré d'hommes compétents pour la région. Même si Tillerson ou Mac Master ont été remerciés depuis, plus d’ailleurs, pour des raisons de politique interne (comme le recrutement du néo conservateur Bolton, qui ne fait finalement que de la figuration). Restent tout de même les généraux Mattis, le Secrétaire à la Défense, et Kelly, le chef de cabinet de la Maison Blanche (mais pour combien de temps ?) et, fort heureusement, ce sont eux qui sont toujours à la manœuvre. Quant à Mike Pompéo, le nouveau Secrétaire d’Etat, on le présente souvent comme un « faucon » mais on oublie qu’il est l’ancien patron de la CIA et, outre le fait qu’il connaisse très bien les arcanes internationales, il est surtout un fin manœuvrier politique (ce qui est un avantage pour le Président américain) maîtrisant tous les rouages du parti républicain et du Congrès…

Pour autant, c’est Trump qui a le dernier mot, qui tranche et décide en dernier ressort (comme pour l'Iran ; Mattis était par exemple contre la sortie de l'accord).

Ce qui nous sauve, je pense, c'est que Trump est en fait un « basic » et paradoxalement, un grand mégalomane. Mais surtout pas idiot comme on veut trop nous le faire croire. Ainsi, mégalo à l’ego surdimensionné, le Président américain veut être, naïvement peut-être, celui qui apportera la stabilité (voire la paix ?) au Moyen-Orient. C’est aussi simple que ça.

De plus, il est finalement moins imprévisible qu’on ne le pense. En fait, que vous soyez son allié ou son adversaire, vous pouvez à tout moment le retrouver avec une lame placée sous votre jugulaire ! Les Européens, les Coréens, les Iraniens, les Turcs, les Palestiniens… l’ont très vite compris. Aujourd’hui MBS et même Netanyahou en coulisses, sont en train, eux aussi, de sentir quelque chose sous leur gorge…

Comme pour tous les "basics", sa stratégie est donc très simple et relativement claire pour la région : stratégie du "mad dog" (comme Nixon) qui a fonctionné pour les Coréens, les Turcs (libération récente du pasteur américain) et qui à terme réussira avec les Palestiniens et les Iraniens, qui seront, finalement, bien obligés de revenir à la table des négociations.

Ensuite, son but ultime est une stabilisation de la région, région qu’il méprise au fond de lui. Pour cela, il veut son "Yalta" régional avec les Russes (qu'il ne considère pas foncièrement comme des « ennemis » et qu’il ne souhaite surtout pas jeter dans les bras de la Chine, comme le pensent d’ailleurs les plus lucides stratèges américains).

A l’issue, il pourra ainsi se tourner sereinement vers l'Asie, le grand défi de demain pour les USA et bien sûr la Chine, le véritable grand rival des prochaines décennies.

Quand on voit l'acharnement de l'establishment et de ce que certains nomment l'Etat profond américain ou encore « le Système » à essayer de le faire tomber (puisque rien ne lui est épargné : enquêtes judiciaires, « lynchages » systématiques des médias...), on comprend mieux mon analyse... Pas sûr d'ailleurs qu'il réussisse vu les puissants lobbies qui veulent sa perte... Peut être même, finira-t-il par entrer dans le rang, mais pour l'instant ce n'est toujours pas le cas... Contre vents et marées ou plus exactement contre ouragans et tsunamis, il parvient encore à faire face !

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