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De quelle droite le Sarkozy 2018 est-il le nom ?
©Reuters

Nostalgie

Dans un entretien accordé au Point, l'ancien président de la République s'exprime à propos de la droite, de Trump et de Macron.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Bouffées de nostalgie

En finissant le tour du monde auquel nous convie Nicolas Sarkozy dans l’entretien, approfondi, qu’il a accordé au magazine Le Point, j’ai été pris d’un gros coup de nostalgie. Il faut dire que j’ai sans doute suivi le chemin inverse de beaucoup d’électeurs de droite: j’étais sceptique, quand Sarkozy a été élu, sur sa capacité à faire. Et puis il y a eu cette réforme de l’Université que nous étions beaucoup à attendre en vain, depuis des années. Non seulement Nicolas Sarkozy l’a faite mais, j’en ai été témoin en direct après avoir rejoint l’équipe de Valérie Pécresse, beaucoup, dans l’équipe gouvernementale n’étaient pas loin de céder au mouvement de protestation des enseignants-chercheurs en 2009; c’est lui qui a tenu bon sur l’application de la loi d’autonomie des universités. Et avec un instinct politique remarquable, il a poussé encore plus loin la réforme, en consacrant 60% du « Grand Emprunt » au financement d’une recherche et d’une pédagogie d’excellence et à l’innovation. Si la France maintient son rang aujourd’hui, parmi les grandes nations éducatives, c’est à Nicolas Sarkozy que nous le devons. Et toute son interview le confirme: l’ancien président est viscéralement attaché à ce que la France soit de son temps, qu’elle y fasse entendre sa voix. 

Alors oui, un grosse poussée de nostalgie. Je sais bien qu’entre 2007 et 2012, tous les domaines n’ont pas eu la chance d’avoir, comme l’enseignement supérieur avec Valérie Pécresse, un ministre inspiré dans l’exécution de la politique qui lui avait été confiée. Je me rappelle comme j’ai constaté, à l’époque, un décalage entre les mots et l’action en ce qui concerne le contrôle de l’immigration. Je me souviens de ma perplexité durant la campagne de 2012, que le président sortant a voulu gagner seul, sans s’appuyer sur la réussite de plusieurs de ses ministres. On ne refait pas l’histoire; la campagne présidentielle de 2012, démarrée un mois trop tard, aurait dû tourner autrement si Sarkozy avait joué collectif. Mais comme le reconnaît l’ancien président devant les journalistes du Point, il a péché à plusieurs reprises par excès de communication, au détriment du fond. Si l’on doit critiquer le leadership de Nicolas Sarkozy, c’est pour souligner que, trop souvent, l’ancien président a cru que parce qu’il avait lancé quelque chose, c’était fait. Il lui aura manqué ces vérifications à mi-parcours et ces récapitulations des processus qui caractérisent les plus grands leaders. Il reste que pour ceux qui voulaient, à l’époque, d’immenses champs d’action s’ouvraient; l’Etat était dirigé, les délais de réalisation étaient respectés; et il n’y avait rien de comparable à la difficulté des cabinets ministériels d’aujourd’hui à faire fonctionner leur administration centrale. Nous avions un chef. C’était il y a dix ans seulement. 

La tentation du fatalisme

Au coeur de l’entretien accordé par l’ancien président de la République, il y a une interrogation de fond sur l’efficacité de nos démocraties. Au-delà du regret, naturel, de ne pas avoir pu poursuivre les actions entamées durant un deuxième quinquennat, toutes les questions sont posées quant aux emballements médiatiques de notre époque, l’impatience des commentateurs, l’effet quelquefois délétère des réseaux sociaux. Et l’ancien président ne peut pas s’empêcher d’envier ceux qui, tels Vladimir Poutine ou Xi Jiping, on du temps devant eux pour déployer une action d’envergure. Le sentiment de relative impuissance qu’éprouve a posteriori Nicolas Sarkozy se double du constat du basculement démographique du monde, dont le centre de gravité se trouve désormais en Asie. Du coup, au fur et à mesure de la lecture, on constate qu’un certain fatalisme s’empare de l’interviewé. 
L’homme qui promettait de soulever des montagnes en 2007 et qui a certainement été le dirigeant occidental le plus énergique pour endiguer la crise financière de 2008 continue de séduire par ses fulgurances, sa liberté de ton - sur Orban, sur Trump, sur Bolsonaro, sur Salvini, sur Angela Merkel - le plus souvent loin du politiquement correct. Mais il est dommage qu’il écarte d’un revers de main le qualificatif de « conservateur » comme inapproprié pour décrire son positionnement. Nicolas Sarkozy se dit persuadé que le changement est l’essence des affaires humaines, que la capacité d’adaptation a été sa préoccupation constante; mais il ne trouve pas le moyen d’éviter, même s’il s’en défend, une bonne dose de fatalisme. Quand on l’écoute parler de la crise de l’Europe et d’Angela Merkel, on se rappelle comment - à la différence d’Emmanuel Macron - il a su forcer la Chancelière à bouger et prendre des décisions concertées, ce dont elle a toujours eu une profonde horreur; mais on est finalement peu convaincu par les propositions de refonte des institutions européennes que propose l’ancien président. Certes, on imagine bien avec quelle persévérance il aurait obtenu un bout de réforme de la zone euro en 2017-2018 s’ilk avait été aux commandes; on regrette qu’il n’ait plus été président pour reprendre en main la zone Schengen; on se le représente luttant  sans répit contre le terrorisme; on regrette qu’il n’ait plus été aux manettes pour les négociations du Brexit - Nicolas Sarkozy ne craint pas de dire que les Britanniques avaient de bonnes raisons de vouloir sortir de l’UE. Magré tout, on ne peut s’empêcher de penser qu’il faut désormais être beaucoup plus radical dans la réorganisation de l’Europe. Et d’une manière générale, il est possible de s’introduire dans quelques failles du raisonnement de l’ancien président pour sortir de la tentation du fatalisme. 

Le renouveau de la démocratie alliera conservatisme et révolution numérique

La droite française a de la chance de compter en son sein l’ancien président. Tout aspirant à la fonction suprême, pour succéder à Emmanuel Macron, devra constater qu’au fond, sur le quinquennat de l’actuel président plane l’ombre de Valéry Giscard d’Estaing. Macron n’étant en rien un homme de droite, nous avons l’occasion historique de nous déprendre, à droite, de l’emprise intellectuelle du giscardisme. Et le seul président à l’avoir déjà un peu fait est Nicolas Sarkozy. Le prochain, homme ou femme, à vouloir rassembler les Français à partir de la droite aura intérêt à entrer dans un dialogue respectueux et sans concessions avec Sarkozy. 

Au fond, il est amusant de constater qu’au milieu d’une description sur le dynamisme de l’Asie, l’ancien président se livre à un éloge de Singapour! On est loin des grandes masses démographiques qu’il nous dit redouter, par ailleurs. Comme il le souligne lui-même, l’histoire de cette petite nation - une vraie « nation à décollage vertical », start-up nation, comme Israël - est la meilleure preuve que la masse démographique ne fait pas tout. Et du coup, on se demande pourquoi l’ancien président est aussi fataliste quant à l’Europe et l’Occident, alors qu’il montre lui-même la voie. Nos nations ont un grand avenir si elles croient dans leur capacité à définir leur destin de manière autonome! Il manque sans doute à Nicolas Sarkozy d’avoir pris la mesure du bouleversement de la révolution de l’information en ce qui concerne la taille des entités, entreprises ou nations. Si la deuxième révolution industrielle, fondée sur une relative rareté de l’information, conduisait naturellement à des organisations très hiérachisées et concentrées - donc donnait un avantage à la grande taille, aux entreprises géantes comme aux Etats-continents, la troisième révolution industrielle, elle, est caractérisée par l’abondance de l’information, sa quasi-gratuité et son accessibilité. Cela donne un énorme avantage aux petites et moyennes entreprises. Cela réhabilite les nations. 
C’est bien pourquoi le Brexit est une décision parfaitement rationnelle du peuple britannique! Nous n’avons plus besoin des grandes organisations centralisatrices capables de collecter l’information. Cette dernière est partout, surabondante. A quoi sert Frontex quand chaque pays peut disposer en temps réel de toute l’information nécessaire sur ce qui se passe à ses frontières - et bien entendu le partager avec ses voisins? Quel est le sens d’une politique de taux d’intérêts uniques décidés à Francfort quand l’individu doté d’un smartphone peut créer une entreprise et quand le dynamisme de l’économie se joue au niveau local, dans la capacité des individus à prendre la maîtrise de leur destin? A quoi servent des systèmes éducatifs centralisés quand n’importe quel établissement, en sachant collecter l’information à sa disposition localement et sur la Toile, en sait souvent plus sur lui-même que son ministère de tutelle? 
Les grandes organisations centralisées comme l’Union Européenne - quand bien même elles se gargarisent du « principe de subsidiarité » - les Etats-continents comme la Chine, les organisations hypercentralisées comme l’Education Nationale ont peu d’avenir dans le monde de l’information surabondante. Evidemment, cela implique de briser quelques tabous, de sacrifier, en France ou ailleurs, des vaches sacrées. Mais le renversement des idoles de la Deuxième révolution industrielle est vitale. C’est une question de survie de nos nations. Une question d’état d’esprit. Il est possible de sortir du fatalisme qui guette, avec le recul de l’expérience, l’ancien président de la République. Certes nous ne disposons pas, démographiquement parlant, des immenses débouchés de l’Asie. Mais nous avons ce dont beaucoup de nations du monde ne dispose pas: l’esprit d’initiative, le goût de la liberté, la capacité d’entreprendre sans entraves. L’économie de demain restera ouverte au monde entier mais la puissance des nations se fondera sur leur capacité à mobiliser par elles-mêmes les forces dont elles ont besoin, leur faculté à déconcentrer, décentraliser les décisions, leur disposition à faire confiance à la vitalité de leurs citoyens, de leurs communes, de leurs entreprises. 
Voilà pourquoi, à la différence de Nicolas Sarkozy, le prochain président issu des rangs de la droite, n’aura pas peur de se dire « conservateur ». Il se fixera pour objectif de préserver l’héritage de vingt siècles d’histoire française. Il encouragera toutes les cellules qui font société et leur garantira la plus grande autonomie possible: familles, communes, « pays » au sens où le XVIIIè siècle utilisait ce mot. Il fera confiance à la liberté d’entreprendre, recentrera l’Etat sur des missions stratégiques et des compétences régaliennes. Il garantira à tous la protection de nos frontières, la capacité à intervenir de nos forces armées, la sécurité des individus. Il se fixera l’objectif d’une immigration choisie, qualifiée, minimale.  Il favorisera la guérison du système éducatif en codifiant le champ d’action et les conditions d’investissements de l’enseignement privé, toujours plus diversifié, à côté de la décentralisation, toujours plus poussée, de l’éducation nationale. Il favorisera l’investissement dans la révolution numérique au service d’une « éducation pour tous personnalisée » et d’une adaptation durable de la France à la révolution NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et cognition) - mais dans le respect de la personne humaine, en luttant résolutment contre toutes les tentations eugénistes de la modernité libérale. Il défendra non pas le revenu universel, cette version moderne du panem et circenses mais la formation tout au long de la vie et la révolution entrepreneuriale sous toutes ses formes (économie classique, collaborative, circulaire....). Il cessera de nourrir l’angoisse de ses concitoyens par toutes les peurs possibles sur le dérèglement climatique et l’ego des grands de ce monde par des « sommets sur le développement durable » assez inutiles (et consommateurs de kérosène) pour faire confiance aux capacités d’innovation locale et à la construction des smart territories. Au lieu d’imaginer des lois contre les fake news, il favorisera l’émergence des nouvelles pratiques démocratiques permises par la révolution digitale. 
Il y a dix ans, Nicolas Sarkozy avait commencé, sans l’assumer complètement, le renouveau conservateur dont a besoin la France. Il faut reprendre l’effort et pousser beaucoup plus loin l’alliance des conservateurs et des entrepreneurs. 

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