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Prof braquée : pourquoi la réaction du ministre de l’Education nationale sur les portables à l’école est profondément inadaptée
©BERTRAND GUAY / AFP

Interdiction

Jean-Michel Blanquer a réagi à l'agression très violente d'un professeur par un élève avec une arme à feu factice en déclarant dans le Parisien qu'il "encourageait" l'interdiction du téléphone portable dans les lycées.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Ce genre de réaction n'est-elle pas caricaturale de l'incapacité qu'ont les politiques à prendre en compte les vrais problèmes qui touchent l'école ?

Pierre Duriot : Caricatural, ce pourrait être le mot, tant ce problème de téléphone portable vient à point pour occulter les problèmes les plus graves échouant à l'école. Si la baisse du niveau scolaire, pourrait, en utilisant de vrais moyens, dans le traitement, la philosophie et la méthode, être à portée de main, d'autres paramètres sont devenus presque hors de portée. Au premier rang, les phénomènes d'islamisation, avec ce qu'ont mis en exergue les deux journalistes du Monde dans leur dernier ouvrage : les tables pures, les tables impures à la cantine, les contestations de programmes, de laïcité, de sorties scolaires, de mixité, les noyautages religieux assortis de pressions, menaces, les conflits ethnico-religieux internationaux s'invitant à l'école, comme le conflit israélo-palestinien, ou le conflit turco-kurde et bien d'autres. La violence, permanente, entre les élèves, à l'égard des professeurs et des locaux, à l'égard de l'institution, apparaissent aujourd'hui comme des montagnes à abattre, au bas desquelles nous sommes avec des outils extrêmement désuets et un empêchement insurmontable dû à l'omnipotence de la correction politique dans la tête des responsables en charge de ces tâches. La méthode adoptée face à ces deux problématiques, depuis trente ans, qui veut que l'on tourne pudiquement la tête en tentant de les masquer, de les minimiser ou de les rapporter à une minorité devenue puissante et bien plus nombreuse au fil de temps, rend ces désordres principaux quasiment insoutenables, mais surtout insurmontables dans l'état actuel des moyens d'action habituellement admis. Pour avoir une chance de solutionner nos malheurs, il va falloir se donner des moyens que la bien-pensance réprouve...

Le téléphone ne doit normalement plus être utilisé dans les collèges et les écoles. Le texte de loi sur l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements scolaires a été adopté par le Parlement. Quel regard portez-vous sur cette loi ? Est-elle vraiment applicable en pratique ?

Il est effectivement dommage qu'il faille une loi en lieu et place d'une éducation, d'une convenance, d'un apprentissage de ce qui peut se faire ou pas en présence de professeurs, dans une enceinte dédiée à l'instruction. Mais cette loi n'arrive pas comme un cheveu sur la soupe, elle a été testée dans des établissements scolaires et avec succès. Les élèves sont plus à ce qu'ils font, plus concentrés, dans l'écoute et l'échange, moins volatiles. Mais il faut des boîtes spéciales où les élèves déposent leurs portables à l'entrée du cours, avec tous les risques qui peuvent survenir, de vol, de déclenchements intempestifs, de messages importants aux yeux des élèves modernes qui voient leur engin, pour certains, comme indispensable à leur « survie » psychique, sans se rendre compte que d'autres générations n'en avaient pas et donc s'en passaient très bien. Pour des élèves très dépendants, la perte du téléphone, même un temps, peut engendrer des réactions inappropriées et même surdimensionnées. Mais puisque personne, ou pas grand monde, n'arrive à se domestiquer seul avec cet instrument, oui, une loi, pourquoi pas.
Sera-t-elle applicable, rien n'est moins sûr. Si des expériences ont été couronnées de succès, elles ont souvent été menées dans des endroits où c'est possible. En zone sensible et dans certains établissements difficiles, on aimerait déjà que les élèves viennent, indépendamment de leur téléphone et qu'ils soient réceptifs aux apprentissages. En certains lieux, on va partir de très très loin. Après, appliquer un règlement, une contrainte, un obligation, avec certains élèves peu confrontés à l'autorité et peu habitués à caler devant la loi des adultes va se révéler extrêmement difficile, tant ils sont peu habitués à ne pas obtenir gain de cause. Tout dépendra des pouvoirs que l'on va donner à l'administration pour faire appliquer la règle. Si celle-ci repose, comme beaucoup d'autres, sur la bonne volonté des élèves, mais qu'en cas de refus, il n'y a pas de moyen de coercition possible, ce sera voué à l'échec. Il faut le savoir, la réunion incantatoire entre personnels éducatifs reste le seul moyen de pression sur un élève récalcitrant, c'est à dire : rien. En cas de conflit, l'usage est que les parents soutiennent leur progéniture contre l'institution et parfois violemment. Ce n'est donc pas gagné, même si c'est une bonne initiative.

N'est-ce pas plutôt aux parents de décider si les enfants ont un portable, à eux de les éduquer sur son usage et aux enseignants de se faire respecter en classe ? N'y a-t-il pas dans cette loi une forme d'aveux d'échec, de renoncement ?

Dans l'absolu, bien sûr, mais en pratique, ce sont les parents qui ont tendance à se soumettre aux désirs de l'enfant et pas le contraire, fruit d'une longue suite de renoncements qui ont abouti à la situation que l'on connaît, mais qui est graduée. Les parents vont dans le sens de l'enfant pour avoir la paix sociale à la maison face à des gamins qui reviennent à la charge jusqu'à obtenir satisfaction, et ce sans limite. Ils n'ont pas d'activité professionnelle, ni d'intendance à gérer, comme leurs parents. De mes amis, fréquemment, qui voudraient donner une éducation, me racontent leur difficulté à aller contre les vents dominants qui veulent que ce soit l'enfant qui impose ses vues aux parents. Et ils cèdent, non pas parce qu'ils n'ont pas le choix, mais parce que leur enfant sera moqué ou marginalisé par sa « bonne éducation », à moins de se retrouver dans un établissement très sélectif regroupant la frange de population minoritaire dans laquelle se perpétue une certaine tradition éducative à la française. Oui, c'est un échec conjoint, à la fois de l'institution et des parents, mais il résulte d'un lent travail de sape aux multiples facettes que je tente de décortiquer dans mon livre « Comment l'éducation change la société ». Disons que la société de consommation, sous la forme que l'on connaît, n'a pas intérêt à ce que des parents sachent dire non de manière définitive.

Ne s'agirait-il pas plutôt de réhabiliter l'autorité des maîtres et professeurs au sein de leurs classes. Celle-ci s'est vu décroître au fil des années. Comment cela serait-il possible ?

C'est plus alambiqué que la simple réhabilitation de l'autorité. Avec les vieux professeurs, nous étions face à un choix personnel. Soit ils reproduisaient les schémas de leur propre enfance, estimant qu'ils étaient les bons, soit ils mettaient en place exactement le contraire, estimant que cette autorité qu'ils avaient connue avait été frustrante et vécue comme un empêchement permanent. C'est la seconde solution qui a largement primé. Et donc, les jeunes professeurs, eux, ont moins le choix. Majoritairement, ils ont été éduqués comme leurs élèves et ont établi avec eux une relation plus proche, moins marquée par la barrière des générations : ils se ressemblent en fait, plus que les élèves modernes ne ressemblent à de vieux professeurs. Et même, j'ose le dire, pas mal de collègues, jeunes et moins jeunes, sont aussi accros à leur téléphone que leurs élèves et l'utilisent autant qu'eux pendant leurs propres cours, ce qui est tout simplement intolérable. Il y a eu une véritable bascule, extrêmement perceptible sur le terrain en terme de codes de communication et de comportement. Ce qu'on appelle l'autorité n'est donc plus à prendre comme au sens connu dans les années 60. Il s'agira, si elle se remet en place, d'une nouvelle forme d'autorité tant les plus jeunes des professeurs sont bien incapables de mettre en place une forme d'autorité qu'ils n'ont pas connue et qui ne leur a pas non plus été enseignée lors de leur formation. Redonner à l'école un statut de « sanctuaire de l'instruction », en imaginant que ce soit une vraie volonté gouvernementale, sera un challenge à envisager sur plusieurs générations. Un ministre ne changera pas en un mandat quarante années de détricotage éducatif. En attendant, il faudra se contenter d'une loi sur le téléphone pendant les cours, c'est peu mais c'est déjà un début. On ne retrouvera jamais l'école d'antan, mais il y a sans doute quelque chose à inventer qui soit meilleur que la déconfiture actuelle d'un système éducatif durement sanctionné par les critères internationaux.

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