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Espérance de vie : d’ici 2040, les Espagnols dépasseront le record mondial détenu par les Japonais et voilà ce que nous pouvons apprendre d’eux
©Andrea Comas / Reuters

Régime alimentaire

Une étude prospective sur 2040 place l'Espagne en tête des pays où l'espérance de vie est la plus longue, notamment grâce au régime méditerranéen.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le régime alimentaire méditerranée est-il bon pour la santé ?

Stéphane Gayet : Isolée en Méditerranée, loin des richesses, ne connaissant pour ainsi dire ni le luxe ni l'opulence, la plus grande île de Grèce – à savoir la Crète - nous donne des leçons sans le vouloir, car son peuple est discret et modeste. Grâce à des études épidémiologiques, on a pu constater que les Crétois avaient une grande espérance de vie. Cela alors que le niveau de vie y est plutôt bas et le système de santé assez rudimentaire. Certes, la Crète a un niveau économique nettement au-dessus de la Grèce métropolitaine et un taux de chômage très inférieur au sien, mais ce n'est pas difficile. En vérité, la Crète est une contrée plutôt pauvre, mais où l'on vit bien et en bonne santé.

Le fameux régime crétois - renommé ensuite régime méditerranéen -, celui qui maintient en bonne santé et fait vivre longtemps, les Crétois ne l'ont pas inventé : il leur est naturel. L'activité économique de l’île est – en dehors du tourisme - essentiellement agricole et artisanale. Pratiquement chaque famille possède des oliviers et la récolte ainsi que le traitement des olives occupent déjà pas mal de temps. Le sol y est très fertile et les pluies abondantes, ce qui explique la richesse et la diversité de la production de fruits et légumes, le soleil et la chaleur aidant. Aubergines, tomates, concombres et avocats y abondent ; agrumes (en particulier les mandarines), kiwis, melons, pastèques, bananes et raisins aussi. Il faut ajouter des céréales, des fruits secs (dont le raisin séché), du lait de chèvre et de brebis et les nombreux et célèbres fromages qui en sont dérivés, des yaourts, des œufs, beaucoup de poisson et un peu de viande de mouton ou de chèvre. Et le fameux vin crétois ancestral fait aussi partie du repas. Mais ce n'est pas tout : les Crétois mangent globalement assez peu et ont une faible ration calorique. Ils mangent en particulier peu de sucre raffiné ; ils ont de ce fait un indice de masse corporelle (IMC) proche de la normale. Les nombreux fruits et légumes qu'ils consomment ont généralement une action antioxydante, qui contribue à ralentir la dégénérescence cellulaire. Ils consomment beaucoup moins de graisses animales que nous qui apprécions la viande de bœuf, la viande de porc, la charcuterie, le lait de vache et tous ses dérivés gras. Enfin, les Crétois ont un habitat principalement dispersé, vivent souvent en plein air, marchent beaucoup et ont d'autres activités physiques quotidiennes, ce qui fait partie intégrante du régime bienfaisant.

Oui, ce régime alimentaire dit méditerranéen est assurément bon pour la santé, mais il est aux antipodes de notre mode de vie occidental industrialisé.

Comment doit-on interpréter cette évolution ?

L’espérance de vie est fonction du niveau de vie général, de la mise en application d’un programme et de mesures de prévention sanitaire ainsi que de la performance de la médecine curative et de la façon dont les habitants y ont accès.

Quand on examine un classement quel qu’il soit, il ne faut pas trop se focaliser sur l’ordre qu’il présente, mais aussi regarder attentivement les scores respectifs obtenus. Or, les pays les mieux classés, ceux qui figurent dans le palmarès parmi les cinq premiers, obtiennent des résultats assez proches les uns des autres.

Il est frappant de constater que les Etats-Unis d’Amérique chuteraient de la 43e à la 64e place en 2040, selon cette projection épidémiologique publiée dans la prestigieuse revue scientifique médicale britannique « The Lancet ». Les USA sont certes un pays à haut niveau de vie, mais surtout un pays extrêmement contrasté où la richesse opulente côtoie la pauvreté révoltante. De plus, une majorité d’Etats-uniens se nourrissent mal : viande de bœuf et autres graisses animales, beurre, sucre en abondance, etc. D’où la forte prévalence du surpoids et du diabète de type 2, y compris chez les adolescents. Il n’est donc pas étonnant que l’espérance moyenne de vie soit si décevante aux Etats-Unis.

Dans ce palmarès, la France ne s’en sort pas trop mal avec une huitième place. Elle compense un niveau de prévention sanitaire qui comporte beaucoup de points faibles par une médecine curative moderne et particulièrement performante. L’accès aux soins y est (était) exemplaire. Mais à quel prix ?

En somme, côté prévention en France, il n’est pas très difficile de trouver mieux. Or, la façon de se nourrir est déterminante pour la prévention des maladies en général. Les Français cumulent une alimentation souvent riche, à la fois grasse et sucrée, et une ration calorique quotidienne fréquemment excessive. Ces deux mauvaises habitudes sont de nature à favoriser la survenue d’un diabète de type 2 qui un est un facteur de risque pour les maladies cardiovasculaires et plus généralement les maladies dégénératives. Il s’ensuit une espérance de vie non optimale.

La nourriture des Français s’appuie en grande partie sur le blé, le bœuf et les laitages, ainsi que les poulets et les œufs. Si vous supprimez ces cinq matières premières, vous affamez beaucoup de Français et vous mettez par terre l’industrie agro-alimentaire française. Mais vous affamez beaucoup moins les peuples méditerranéens qui consomment des protéines végétales de façon courante.

Pourquoi l'Espagne, spécialement, progresse de cette manière ?

Comment expliquer la performance de l’Espagne ? Si le niveau de vie général est inférieur à celui de la France, la médecine curative est assez performante et surtout, sur le plan de la mise en application des mesures de prévention sanitaire, les Espagnols ne font pas les mêmes erreurs que nous sur le plan alimentaire. On se trouve dans une situation qui peut paraître paradoxale. Des pays européens qui ont un niveau de vie élevé - comme la France - sont ceux ont l’on se nourrit le moins bien. Il est avéré que les aliments qui paraissent luxueux dans les pays ayant un plus faible niveau de vie – comme la viande de bœuf, le beurre, les pâtisseries et les crèmes glacées – sont à l’origine de troubles métaboliques et d’un vieillissement accéléré. Ils contribuent à certains cancers (en particulier le cancer du côlon pour la viande de bœuf) et au vieillissement des artères et du cœur (par la formation de plaques d’athérome, ainsi que l’hypertension artérielle et la réduction du débit sanguin artériel qui en résultent). Ils favorisent également la neurodégénérescence telle que celle qui est observée dans la maladie d’Alzheimer. Alors que les aliments plus accessibles et plus courants que sont les céréales, les légumes et les fruits sont bien meilleurs pour la santé et vont dans le sens d’une espérance de vie augmentée. En Espagne, on dépense en moyenne nettement moins pour se nourrir qu’en France et le régime s’apparente beaucoup plus au régime crétois dit méditerranéen (on en est loin en France avec notre consommation de viande de bœuf, de charcuterie, de beurre et de sucre raffiné sous ses multiples formes).

En somme, la différence entre l’Espagne et la France proviendrait du fait que les Espagnols mangent moins et mieux que les Français, tout en dépensant moins pour se nourrir. C’est un vrai paradoxe. L’adage selon lequel « On creuse sa tombe avec ses dents » est une fois de plus confirmé. Surtout, dépenser plus pour se nourrir peut être synonyme de moins bien se nourrir. Ce n’est certainement pas une règle générale, mais cela donne tout de même à réfléchir.

Deux pays asiatiques (Japon, Singapour) arrivent à la 2e et 3e place: comment expliquer ces bonnes performances ?

Le Japon a une culture de l’excellence. Les Japonais sont des perfectionnistes dans l’âme. Ils sont particulièrement attentifs à leur santé. Leur niveau de vie est élevé et leur médecine est performante. Ils sont leaders mondiaux dans plusieurs domaines.

Sur le plan alimentaire, ils mangent moins que les Français et surtout ils consomment plus de riz, de soja et de poisson. La place occupée par le riz, le soja et le poisson dans la nourriture des peuples asiatiques est frappante. Alors que notre nourriture repose en grande partie sur le blé, les pommes de terre et le bœuf. La comparaison du petit déjeuner d’un Japonais ou d’un Singapourien avec celui d’un Etats-Unien ou d’un Français est édifiante. D’un côté le bol de riz avec du soja et du thé, de l’autre le café au lait avec des viennoiseries et de la confiture. Les Japonais sont également très portés sur l’activité physique. Outre les arts martiaux, l’exercice physique est culturel chez eux : bicyclette, jogging, gymnastique, etc. sont couramment pratiqués. Le Français est dans l’ensemble beaucoup plus sédentaire et a moins d’activité physique. Celles et ceux qui courent en ville parmi les fumées d’échappement sont encore regardés comme des marginaux.

On en arrive à cette constatation qu’en France nous nous sommes sans doute trop investis sur la gastronomie et la nourriture. Le pays de la gastronomie est la France et cela fait partie dit-on de notre art de vivre. Le budget restaurant et nourriture est élevé dans notre pays. C’est quand même bien différent dans les pays asiatiques où le temps du repas compte plus que son contenu.

Peut-on s'inspirer d'eux ?

On ne peut pas du jour au lendemain changer nos habitudes. Longtemps gros mangeur et sédentaire, le Français évolue, mais lentement. Les progrès des connaissances scientifiques et l’augmentation du nombre de voyages à l’étranger contribuent à nous faire évoluer. Mais notre industrie agro-alimentaire ne peut pas inverser la vapeur sans dommage. Une chose est certaine, nous devons revoir notre mode de vie eu égard à l’alimentation et à l’exercice physique. Qui est prêt à adopter le bol de riz cuit à la vapeur avec des oignons et de l’huile d’olive comme petit-déjeuner ? Ce n’est qu’une option parmi d’autres, mais cet exemple prouve à quel point nos habitudes de vie sont solidement ancrées dans notre être.

Si l’on veut résumer ce vers quoi il faudrait tendre : moins de viande de bœuf et de beurre, plus d’huile d’olive, de poisson, de légumes et de fruits, sans oublier les fruits secs. Et plus d’exercice physique, mais pas n’importe comment : en écoutant les conseils de professionnels médecins et non médecins. Enfin, pour se consoler de notre huitième place, regardons la performance désastreuse des Etats-Unis : parviendront-ils à se corriger à temps ?

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