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Privatisations : pourquoi il n’y a pas de rationalité économique à vendre un actif d’Etat rentable
©JOEL SAGET / AFP

Mauvais calcul

La Française des jeux devrait être introduite en bourse au cours de l'année 2019. Une décision étonnante, alors qu'une récente étude montre que moins un Etat possède d'actifs rentables, plus sa situation économique est précaire.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Le quinquennat d'Emmanuel Macron annonce le retour des privatisations, notamment avec les Aéroports de Paris (ADP) ou encore la Française des jeux qui devrait être introduite en bourse au cours de l'année 2019. Comment analyser l'opportunité d'une telle décision approuvée par les députés le 9 octobre dernier ? 

Alexandre Delaigue : Il est bizarre de voir un retour un retour des privatisations alors que le FMI vient de publier une étude qui s'est intéressée à la situation financières des États. Cette étude a essayé de comparer la situation financières des États en constituant un bilan en mettant en rapport les dettes avec les actifs. Cette étude arrive à la conclusion qu'il y a beaucoup d'États qui sont dans une situation financière qui était très défavorable parce qu'indépendamment de leurs dettes, ils ont très peu d'actifs. Cet exercice évalue également les engagements futurs qui ne sont pas comptabilisés en général. Au total, l'image change totalement. Un pays qui est considéré comme surendetté comme le Japon apparaît comme dans une situation financière tout à fait florissante parce que le gouvernement japonais détient beaucoup d'actifs. Par contre, des États relativement moins endettés comme l'Allemagne par exemple sont dans une situation financière beaucoup plus précaire que ce que nous aurions pu penser auparavant. Des pays comme le Royaume-Uni - qui est dans la situation la plus défavorable de cette étude – se sont fragilisés surtout à cause des privatisations passées. L'intérêt de cet étude est de montrer qu'à force de se focaliser sur la dette, nous nous sommes retrouvés à prendre des décisions financières malheureuses.

On peut donc se poser la question de savoir si le retour des privatisations n'a pas complètement négligé les leçons du passé en restant dans cette logique de réduction à tout prix de l'endettement, quitte à vendre des actifs, et quitte à prendre des décisions financières aux conséquences malheureuses.  

En ce moment l'État français s'endette à des taux très faibles, entre 0 et 2% selon les échéances, est-il alors véritablement judicieux de décider de céder des actifs qui sont des entreprises avec des situations bien assises comme la Française des Jeux ou les Aéroports de Paris ? Privatiser ces entreprises, c'est renoncer aux revenus futurs qu'ils vont rapporter pour réduire la dette. Mais le rendement que l'on retire de ces actifs est supérieur à la dette qu'ils vont permettre de réduire. Avec un espèce de tour de passe-passe, le gouvernement annonce que les fruits des  privatisations pourront être utilisés pour financer des investissements d'avenir mais à partir du moment ou l'on souhaite financer ce type d'investissements d'avenir, la règle de base de l'analyse financière est d'abord de choisir les investissements et ensuite de choisir le mode de financement qui est le moins couteux. Or, de ce point de vue-là, renoncer à des actifs sur des rentabilités relativement élevées plutôt que de s'endetter à des coûts beaucoup plus faibles sur les marchés financiers n'est pas une décision financière très favorable. Ce qui nous pousse à prendre une décision aussi malheureuse est que nous nous focalisons excessivement sur l'endettement public au lieu d'avoir une vision plus générale et plus conforme à la logique financière.

Quelles les leçons à tirer des privatisations passées ? 

Dans le passé, les privatisations ont été menées avec un double objectif. Il y avait d'abord un objectif d'apporter des recettes à l'État et aussi l'idée que si l'État s'occupe d'activités pour lequel il n'est pas très doué et qui ne relèvent pas d'un périmètre normal de l'action publique, il ferait mieux de privatiser ces entreprises parce qu'il peut être plus intéressant de les laisser au marché. L'idée est une forme de privatisation avec en même temps une mise en concurrence, rendant ces secteurs d'activité plus dynamiques. Et pour être juste, il faut bien reconnaître que pour plein de secteurs d'activité ces privatisations ont été plutôt légitimes et ont bien fonctionné. C'est le cas des télécommunications ou la privatisation et la mise en concurrence a bien plus servi les consommateurs et les utilisateurs que si l'État avait conservé les bijoux de famille . On sait aussi que dans certains domaines, l'État n'est pas un très bon actionnaire, le fait d'avoir réduit la participation de l'État dans des entreprises comme Renault, ou dans le secteur bancaire a, globalement, été plutôt été positif. Il ne faut donc pas être hostile aux privatisations par principe si elles permettent de créer des entreprises du secteur concurrentiel qui sont plus efficaces que si elles étaient des monopoles du service public.

Mais maintenant, nous nous retrouvons à privatiser des entreprises qui sont des monopoles et qui vont le rester, ce qui pose quelques questions. Parce que si des entreprises sont des monopoles, elles vont retirer des rentes de monopoles qui vont être récupérées par des investisseurs privés, et seront donc perdues par l'État. L'exemple le plus proche de nous ou l'État a été perdant est la privatisation des autoroutes. Nous avons confié les autoroutes à des entreprises privées qui en retirent l'intégralité des bénéfices. Cela aurait été acceptable si la cession avait eu lieu à des prix élevés mais cela n'a pas été le cas. Et aujourd'hui, la rentabilité sur fonds propres de ces sociétés d'autoroute est extrêmement élevée et au bout du compte la cession a dégradé la situation financière de l'État.

Dès lors, comment expliquer rationnellement une telle décision ? 

Il y a deux explications potentielles. La première est la contrainte européenne ou le gouvernement aurait décidé de donner des gages en termes de réduction de l'endettement public. Il y a une espèce d'obsession de la réduction de l'endettement public et si l'on considère que ce critère est le plus important pour être évalué comme bon ou mauvais élève au niveau européen, alors on va faire n'importe quoi pour réduire ce ratio de dette publique quitte à prendre des décisions qui sur le plan strictement financier n'ont pas véritablement de sens. Ici, ce serait une explication qui prend en compte la contrainte institutionnelle, et cela évoque tout le débat sur l'efficacité des règles européennes qui permettent d'évaluer la solvabilité future des États.

La deuxième explication est malheureusement que les finances publiques ne sont pas forcément gérées dans l'intérêt du public et qu'il y a une volonté ici, tout simplement, d'aider les futurs investisseurs des grandes entreprises françaises à qui l'on confie, pour des prix attrayants, des monopoles publics avec l'idée qu'il s'agit d'une forme de politique industrielle. Mais on pourrait aussi appeler cela de capitalisme de connivence dans lequel l'État cède des participations à des entreprises en vue de leur rapporter des avantages. On serait ici dans l'exemple d'une capture de l'État par les intérêts des grandes entreprises publiques, et cette idée de capture de l'État est un peu présente dans les politiques qui sont menées par le gouvernement.

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