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"Le monarque des ombres" de Javier Cercas :  la force des grands auteurs, "incarner" l'Histoire
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Des ombres du franquisme à la complexité de l'Espagne d'aujourd'hui, le dernier livre de Javier Cercas constitue une introspection familiale intense, courageuse et salutaire. Un grand roman, plus révélateur qu'un récit ou qu'un essai.

Charles-Édouard Aubry pour Culture-Tops

Charles-Édouard Aubry pour Culture-Tops

Charles-Édouard Aubry est chroniqueur pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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LIVRE
Le monarque des ombres
de Javier Cercas
traduit par Aleksandar Grujicic, avec la collaboration de Karine Louesdon
Ed. Actes Sud
314 pages
22,50 €
RECOMMANDATION
EXCELLENT
THEME
1938 : Manuel Mena meut à 18 ans en combattant
 dans l’armée franquiste. Il était le grand oncle de Javier Cercas, qui depuis des années rassemble des informations et des témoignages sur son aïeul sans jamais se décider, jusqu’à présent, à raconter son histoire. Car à travers le destin brisé de Manuel Mena,
 c’est l’histoire de sa famille - qui avait pris fait et cause pour Franco - et la honte ressentie par l’auteur à son encontre qui est le véritable enjeu du livre.
Comment accepter cette encombrante ascendance
 toute en honorant la mémoire familiale ? Le livre est la réponse. En cherchant à comprendre, en creusant jusqu’à l’origine des actes et des motivations qui les guident, en mêlant la rigueur de l’historien à la sensibilité de l’auteur, en trouvant les réponses
 qui vont réconcilier le souvenir et ce qui s’est réellement passé en 1938, lors de la bataille de l’Ebre.
POINTS FORTS
1.  Javier Cercas construit une oeuvre
 forte qui questionne son pays sur les traumatismes liés à la guerre civile. Il a déjà publié un livre - “les soldats de Salamine”, qui l’a fait connaître - sur la guerre d’Espagne et un autre - “anatomie d’un instant” - sur le coup d’état raté d’un quarteron
 de généraux franquistes voulant porter l’armée au pouvoir en 1981.
“Le monarque des ombres” peut être considéré
 comme le troisième volet d’une trilogie. On peut penser qu’il aura trouvé une sorte d’apaisement dans les réponses à cette quête acharnée et douloureuse.
2. Le matériau sur lequel repose le livre
 est extrêmement maigre : très peu de faits sont avérés pour retracer le parcours de Manuel Mena, comprendre ses motivations, appréhender sa trajectoire. Derrière les souvenirs fugaces des rares personnes encore en vie qui ont croisé son grand oncle, l’auteur
 se garde bien d’extrapoler et de romancer son récit. Mais la réalité est ici plus forte que la fiction et Javier Cercas n’aurait peut-être pas imaginé - ou peut ne l’eût-on pas cru - que l’histoire le prendrait ainsi par la main.
3. La famille est un ressort dramatique
 exceptionnel, l’épicentre d’une somme d’histoires, de destins croisés, d’oublis tragiques qui donnent au romancier une “matière” qui peut se transformer en or. Comme Daniel Mendelsohn, qui était parti à l’assaut de l’histoire de sa famille dans le monde entier
 pour livrer avec un récit halluciné, “les disparus”, Javier Cercas trouve avec son personnage le point d’équilibre entre sa famille disparue et ses valeurs.
POINTS FAIBLES
Je les ai cherchés mais j'avoue que dans
 les huit livres écrits par Javier Cercas, je n’ai rien trouvé qui puisse s’apparenter à une faiblesse, fut-elle passagère. Mais je continue à chercher ...
EN DEUX MOTS
Javier Cercas a longtemps hésité à rouvrir
 cette plaie béante qu’est la guerre d’Espagne : cette guerre civile, qui a conduit des milliers d’Espagnols à se massacrer sans pitié dans des combats d’une rare violence. Mieux encore qu’un livre d’histoire, son roman permet de comprendre cette mécanique
 implacable qui a fracturé durablement le pays en deux.
UN EXTRAIT
“Je pensais que pour raconter l’histoire
 de Manuel Mena, il fallait que je raconte ma propre histoire ; autrement dit, je pensai que pour écrire un livre sur Manuel Mena, je devais me dédoubler : d’un côté je devais raconter une histoire, l’histoire de Manuel Mena, et la raconter comme le ferait
 un historien, avec le détachement et la distance et le souci de véracité d’un historien, m’en tenant strictement aux faits, et laissant de côté la légende, l’imagination et la liberté du littérateur, comme si je n’étais pas qui je suis mais un autre ; d’un
 autre côté je devais raconter, non pas une histoire mais l’histoire d’une histoire, c’est à dire l’histoire de comment et pourquoi j’en étais venu à raconter l’histoire de Manuel Mena, même s je ne voulais pas la raconter ni l’assumer, ni l’ébruiter, même
 si toute ma vie j’avais cru être devenu écrivain précisément pour ne pas écrire l’histoire de Manuel Mena”. (pages 305 - 306).
L’AUTEUR
L’oeuvre de Javier Cercas - 8 romans traduits
 dans une trentaine de langues - en fait un auteur important, au-delà de l’Espagne. Elle est traversée par la recherche de l’identité, qui le pousse à se mettre parfois en scène, comme un personnage de l’histoire. Certains de ses livres peuvent d’ailleurs être
 considérés comme des essais, des romans enrichis par sa personnalité, preuve de son rapport très intime avec la fiction mais aussi la réalité.
Qu'est-ce qui fait de Javier Cercas un
 auteur exceptionnel, dont on puisse à la fois se sentir proche tout en le vénérant? Il me semble qu'il a trouvé ce point d'équilibre, si rare, entre imagination et humanité. Comme un acteur qui ne joue pas mais qui incarne un personnage, Javier Cercas ne raconte
 pas, il est l'histoire. Il ne cherche pas à "faire vrai".

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