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Hommage national : pourquoi nous avons tant besoin des valeurs chantées par Charles Aznavour
©BERTRAND GUAY / AFP

Atlantico Business

La classe politique réclame des obsèques nationales, elle ferait mieux de le faire rentrer dans les programmes scolaires pour apprendre aux moins de 20 ans, ces mots d’un temps qu’ils ne peuvent pas connaître.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les Français ont besoin d’icônes et de héros. La République lui rendra un hommage national aux Invalides vendredi matin, comme à tous ces héros qui ont mené un combat national. Ça lui correspondait. Une grande partie de la classe politique réclame des obsèques nationales. Charles Aznavour n’en demandait pas tant. Appendre aujourd’hui que ses textes circulent à l’école ou au lycée doit le combler bien davantage. 

La mort de Johnny Hallyday avait provoqué une hystérie collective parce que le personnage nous renvoyait à tellement de souvenirs et parce que son ombre nous apportait, sur trois accords de blues revisités, tellement de nostalgie. Mais, convenons-en, ce type d’émotion est éphémère parce qu’attachée au temps qui passe. Johnny Hallyday, sa vie, ses femmes et ses frasques et ses chansons étaient un marqueur du temps qui passe. 
L’onde de choc provoquée par la disparition de Charles Aznavour est d’une toute autre dimension et nous plonge dans les profondeurs de notre identité nationale. L‘œuvre de Charles Aznavour est tellement importante, mais aussi sa vie, sa carrière, "ses amours et ses emmerdes", qui nous renvoient à nos propres faiblesses, nos propres petites lâchetés. Et c’est parce qu’il avait su les assumer et les dépasser que nous sommes sans voix, un peu honteux de notre propre comportement. Il y a du Simone Veil dans Aznavour et d’ailleurs, ils avaient un très grand respect l’un pour l’autre.
Charles Aznavour a eu du succès. Or, la France a un problème avec le succès. L’égalitarisme est tellement ancré dans les valeurs françaises que le succès individuel est toujours suspect. Celui des capitaines d’industrie comme des footballeurs. Avec Aznavour, il n’y a aucune suspicion. Et pourtant, les critiques ne l’ont pas ménagé, du moins au début. Après, c’est une autre histoire. La réalité du succès s’impose. Son succès immense n’est discuté par personne. Dans le monde artistique et dans l’industrie du show business. Les chiffres sont hallucinants : 70 ans de carrière, 1500 chansons écrites, composées ou jouées dans le monde, des millions de spectateurs avec des textes du quotidien qui resteront gravés dans la mémoire collective. Mais ce qui nous marque encore plus, c’est de savoir qu’il ne doit ce succès, cette rencontre avec le public, à personne d’autre que lui-même. Son intelligence, son talent et surtout son travail. Dans le pays des trente-cinq heures, Aznavour prouve à sa manière que le travail paie. Il n’avait aucun diplôme, aucun réseau, aucune fortune autre que son propre ADN. 
Charles Aznavour a eu du succès sur le marché international et ça, c’est si rare en France qu’il faut en décrypter les raisons. Ca prouve que c’est possible de briller ailleurs qu’à l’ombre de son clocher. La France est le pays d’Europe qui a le plus perdu ses parts de marché, son lustre à l’étranger. Le résultat, c’est que nous sommes obligés de nous endetter pour payer ce que l’on consomme. Charles Aznavour s’est transformé en produit d’exportation à coup de marketing, de technicité, de respect de son identité. Parce que sa poésie était universelle comme celle de tous les poètes et les auteurs classiques. Pour lui, il n’y avait de salut que dans l'ouverture sur le monde. A l’ouest comme à l’est. Quelle leçon pour tout le monde.
Charles Aznavour n’envoyait pas seulement de l’émotion à l'état pur, il envoyait une pédagogie de la société en mouvement. Il se vivait souvent comme un chanteur de bal capable de donner du plaisir au plus grand nombre mais il n’hésitait pas, après mure réflexion, à tracer des lignes d’évolution. Quand il prend partie pour Gabrielle Russier (avec Mourir d’aimer), quand il souligne la misère personnelle et silencieuse des hommes différents (« Je suis un homo, comme ils disent »), il ne donne pas de leçons, non, il ne fait pas dans la provocation. Mais il se place plutôt dans la compassion pour comprendre et aider.
Charles Aznavour était un migrant. Sa famille arménienne survivante du génocide a choisi de venir en France parce qu’en Arménie, comme dans beaucoup de pays de l'Asie centrale, on apprenait le français à l’école. Ou en est-on aujourd’hui ? Charles Aznavour était « 100% français et ... 100% arménien ». Il en était fier. Il est connu dans le monde entier, respecté et adoré aussi pour la gestion de cette double identité culturelle et historique. C’était l’idole des Arméniens qui se sentent aujourd’hui orphelins, mais c’était aussi un exemple d’intégration plus que réussie. Pour toutes les communautés qui vivent en France. 
Cette dimension-là de son logiciel a été difficile et longue à reconnaître par les français et par leurs dirigeants qui manquent tellement de courage et d’intelligence pour façonner une société française qui soit aussi composite. Charles Aznavour était la preuve vivante de notre douleur, de nos maladresses, de nos petites lâchetés et de nos égoïsmes à vivre ensemble. De nos culpabilités stupides.
Enfin, Charles Aznavour c’était un clan familial et on imagine mal à quel point cette solidarité familiale cimente une société mature et sécurise la vie quotidienne. C’est vrai dans beaucoup de pays du sud qui n’auraient pas survécu à la crise financière récente sans cette solidarité familiale, qui n’existe pratiquement plus dans les sociétés développées, modernes et individualistes du nord de l'Europe ou des pays anglo-saxons. La famille ne se retrouve pas aussi souvent ou se chamaille sur Facebook. La Mamma, la Bohème, Emmenez-moi nous rappellent nos propres ratages. Il n’y avait pas de cynisme chez Aznavour, il n’y avait pas d’idéologie, il y avait de l’écoute et que de la bienveillance.
Depuis l’annonce de sa mort, l’ensemble de la classe politique lui rend hommage. C’est son job. L’exercice est un peu convenu, il n’engage que ceux qui les écoutent. L’hommage de la République, demain aux Invalides sera beaucoup plus puissant, parce qu’il célèbrera tous ceux qui se sont battus pour la France. 
Mais ce qui est beaucoup plus important depuis sa mort, c’est la diffusion de ses textes et de ses chansons dans les écoles, les collèges, les lycées. A l’initiative de quelques profs ou instituteurs qui pensent avec raison que « de parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître » vaut bien une leçon de morale ou d’instruction civique. 

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