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Comment l’espérance de vie a commencé à chuter au Royaume-Uni et pourquoi cela nous pend au nez de ce côté-ci de la Manche
©Valery HACHE / AFP

Avancées médicales

Selon les chiffres de l'Office des Statistiques Nationales, l'espérance de vie des Britanniques ne progresse plus pour la première fois depuis un siècle.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Après des années de croissance, elle a finalement stagné ces dernières années, passant derrière celle enregistrée en Suisse, en France ou en Italie. Comment l'expliquer ? 

Gérard-François Dumont :La stagnation ou la baisse de l’espérance de vie à la naissance certaines années n’est pas un phénomène propre au Royaume-Uni. La situation est similaire dans d’autres pays occidentaux comme la France où l’espérance de vie a chuté en 2015 ou comme aux États-Unis où elle est en diminution.
De telles baisses peuvent être dues à des facteurs conjoncturels : une grippe plus sévère qui déclenche une surmortalité, un vaccin contre la grippe peu efficace par rapport aux virus les plus virulents de l’année, un phénomène de canicule comme en 2003…
Mais la grande erreur serait de croire, dans nos pays occidentaux, que le niveau d’espérance de vie atteint serait un acquis, donc pérenne. Or ce n’est nullement le cas car il faut tenir compte des facteurs que j’appelle « externes » et « internes » susceptibles de modifier l’espérance de vie. Le maintien d’un nombre élevé d’années d’espérance de vie tient à plusieurs paramètres, comme l’éducation à la santé et à l’hygiène, le maintien d’un réseau sanitaire efficace, ce qui n’est pas forcément le cas lorsque l’offre médicale est insuffisante, par exemple sous l’effet d’un trop faible nombre de médecins en conséquence du numerus clausus ou d’un accès plus difficile à des services hospitaliers lointains ou à des urgences surchargées. Un autre facteur externe tient aux niveaux de pollution qui réduisent l’espérance de vie, par exemple dans plusieurs territoires chinois.
Autre facteur externe, les changements de politique sanitaire. En France, on constate qu’un certain nombre de personnes renâclent à la vaccination de leurs enfants, contrairement à la situation existant quelques dizaines d’années auparavant où la question ne se posait pas puisque les vaccinations étaient prises en charge et réalisées dans le cadre de la médecine scolaire.
Il faut également tenir compte de facteurs « internes », c’est-à-dire des comportements des individus en termes de respect des règles d’hygiène, de prévention sanitaire, de modes alimentaires, de consommation de produits à forts effets sur la mortalité. Ainsi, la baisse de l’espérance de vie aux États-Unis est largement liée à montée de l’obésité et à la consommation croissante de drogues qui entraîne une surmortalité.
Troisième ensemble d’éléments à signaler : la composition de la population. Au Royaume-Uni comme dans d’autres pays occidentaux, la population comprend un certain nombre de flux issus de l’immigration dont certains n’ont pas acquis dans leurs pays d’origine les mêmes normes d’hygiène que celles du pays d’accueil.
Enfin, il y a le comportement des populations du point de vue culturel par exemple dans des populations où l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas respectée, en particulier dans les pays musulmans. Dans ces derniers, lorsque de nombreuses femmes ne peuvent pas sortir seules, parfois n’ont pas le droit d’avoir des activités sportives, le niveau de l’obésité, lié au comportement culturel, est très élevé. Par exemple, en Arabie Saoudite, 44 % des femmes sont obèses selon les chiffres de l’OMS, ce qui engendre une espérance de vie des femmes relativement faible.

Si elle stagne en Angleterre, il en va différemment pour les autres pays de la Grande-Bretagne. Ainsi, la population vit même moins longtemps au Pays de Galles et en Écosse. Comment expliquer ce décalage ? 

Constater des écarts d’espérance de vie entre les territoires d’un même pays n’est pas un phénomène propre au Royaume Uni. En France, on observe également des écarts de l’espérance de vie selon les départements, écarts liés notamment à des différences d’attitudes. En effet, historiquement, la région à la plus faible espérance de vie était le Nord-Pas-de-Calais ; encore dans les années 1950 et 1960, on avançait comme cause la pollution industrielle. À la fin de l’ère industrielle, on a donc pensé que l’espérance de vie dans le Nord-Pas-de-Calais allait remonter jusqu’à la moyenne nationale. Or, cela ne s’est pas produit. Il a fallu comprendre que le maintien d’une relative faible espérance de vie dans le Nord-Pas-de-Calais était dû à des comportements de prévention sanitaires moindres comparativement à d’autres départements.
Un autre écart d’espérance de vie souvent cité est celui entre les départements de Seine-Saint-Denis et l’Essonne, au désavantage du premier. Mais ces deux départements n’ont pas une semblable composition de leur population, le premier comptant davantage de personnes ayant moins bénéficié d’une éducation à l’hygiène et à la santé surtout si lorsqu’elles sont issues de pays où les niveaux d’hygiène sont relativement faibles, à l’instar de l’Algérie qui a même enregistré une épidémie de choléra courant 2018.

Si l'espérance de vie continue d'augmenter en France et de manière générale en Europe, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un rapport publié en début du mois de septembre expliquait que la tendance risquait de s'inverser notamment à cause de l’obésité et du surpoids d’une proportion croissante de la population. Concrètement, ou en sommes-nous en France ? Doit-on s'inquiéter ? 

Concernant la France (métropolitaine), les résultats de l’espérance de vie au cours de ces dernières années ne sont pas pleinement satisfaisants. Pour les hommes, la France a connu une chute de l’espérance de vie en 2015 qui a heureusement été rattrapée en 2016. Pour les femmes la baisse d’espérance de vie a été aussi nette en 2015, mais il a fallu attendre 2017 pour retrouver le niveau de 2014. Tout particulièrement chez les femmes, il faut considérer les effets de la montée du tabagisme et les cancers du poumon qui en sont la conséquence.
Donc personne ne peut dire de quoi l’avenir sera fait, d’où les analyses prospectives diversifiées que l’on peut conduire (cf. Gérard-François Dumont, « Géographie des populations. Concepts, dynamiques, prospectives », Éditions Armand Colin, 2018).
Concernant l’obésité, elle augmente dans la plupart des pays. En France, elle est estimée à 14,5 % de la population ces dernières années contre seulement 8,5 % en 1997. Ceci a évidemment des effets sur la morbidité et en conséquence sur la mortalité, ce qui contient l’espérance de vie. Cette obésité est liée à deux facteurs principaux. D’une part, le surcroît de consommation d’aliments et de boissons sucrés et le moindre respect de la règle élémentaire qui consiste à ne pas manger entre les repas. Le risque de baisse de l’espérance de vie existe aussi en France à travers le moindre respect des règles d’hygiène (maladies nosocomiales, donc contractées dans les hôpitaux) ou encore l’appauvrissement de l’offre médicale.
Le niveau de l’espérance de vie atteint n’est donc nullement un acquis même si, à rebours des risques de baisse, il pourrait augmenter sous l’effet de nouveaux progrès médicaux et pharmaceutiques et de meilleurs comportements d’hygiène et de prévention sanitaire.

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