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#MeToo face au parole contre parole : comment concilier droit des victimes et présomption d’innocence?
©SAUL LOEB / AFP

Libération pour les victimes

Dans le contexte de la nomination contestée du juge Brett Kavanaugh à la Cour suprême, Donald Trump a pu suggérer que le mouvement #Metoo était "très dangereux" pour les hommes de pouvoir.

Bérénice Levet

Bérénice Levet

Bérénice Levet est philosophe et essayiste, auteur entre autres de La Théorie du Genre ou le monde rêvé des anges (Livre de Poche, préface de Michel Onfray), le Crépuscule des idoles progressistes (Stock) et vient de paraître : Libérons-nous du féminisme ! (Editions de L’Observatoire)

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Atlantico : Malgré l'accueil qui a été réservé à ces déclarations de Donald Trump, ne peut-on pas y voir pourtant une forme de réalité ? 

Bérénice Levet : Oui, cette déclaration de Donald Trump est en prise avec la réalité. Et ce qu’il dit très exactement est que le mouvement metoo « est dangereux » en soi et qu’il l’est spécialement pour les hommes de pouvoir. Il est dangereux en soi en effet, parce qu’il livre potentiellement tout homme à la vindicte populaire. Et avec l’internet, avec les réseaux sociaux, la délation se fait planétaire. Le Corbeau 2.0 est érigé en héros et la délation élevée au rang de vertu. D’ailleurs Christine Blasey Ford se drape dans les habits du justicier : « mon témoignage est un devoir civique », a-t-elle déclaré. 
Mais il est d’autant plus dangereux pour les hommes puissants, les hommes qui occupent des positions de pouvoir que leur position les rend d’autant plus suspects. A la jubilation de  dénoncer un « homme », s’ajoute la jouissance faire tomber « dominant » - c’est deux pierres d’un coup, comme dirait Sartre. Selon que vous serez puissant ou misérable… ici la conclusion de la fable s’inverse…l’homme puissant est par avance, en dehors de toute procédure judiciaire, jugé coupable. Cet arbitraire devrait être odieux à quiconque à le sens de la justice. 
Souvenons-nous du traitement réservé à Dominique Strauss Kahn lors de l’affaire du Sofitel, ces images diffusées à travers le monde, l’exhibant les mains menottées, en tenue de prisonnier, sorte d’Ecce homo livré à la foule. Dans le cas d’un homme ordinaire, les caméras ne se trouvent pas braquées sur vous. 
Les passions les plus viles se déchaînent depuis  metoo. Soif de vengeance, ressentiment égalitaire. Les dieux ont soif ! les femmes, et tous ceux qui veulent mettre à bas notre modèle de civilisation,  veulent voir des hommes tomber. J’invite  à relire l’étincelant roman d’Anatole France qui porte ce titre et se déroule sous la Terreur en France, et montre l’esprit qui préside à la mise en place des tribunaux d’exception.  

Dans son édition de ce 27 septembre, le New York Times a publié une pétition signée par 1600 hommes, intitulée "We believe Anita Hill, we also believe Christine Blasey Ford" - Nous croyons Anita Hill, nous croyons aussi Christine Blasey Ford", accusatrices du juge Kavanaugh. Comment trouver la juste mesure entre le respect de la parole des victimes et la nécessité d'éviter une mise en accusation publique fondée sur la "croyance" ? 

Il faut laisser la justice travailler, il lui appartient de juger. L’opinion n’a pas à se transformer en tribunal. 
Cette pétition est très intéressante. Elle offre un exemple remarquable de la disproportion entre le crédit dont jouit la parole d’une femme et celui accordé à la parole d’un homme, et là encore a fortiori lorsque cet homme détient le pouvoir. Présomption d’innocence d’un côté – il est entendu que les femmes ont été, sont et demeurent les victimes des hommes -, présomption  de culpabilité de l’autre – qu’est-ce qu’un homme, dans l’esprit des féministes, et particulièrement des féministes américaines, sinon un prédateur, un violeur ? La vérité ne peut être que du côté du témoignage des femmes. A l’heure de la victimisation sans frein, se présenter, être perçu comme « victime »,  vous assure une toute-puissance morale. 
Il est fort significatif, et cela a atteint son paroxysme il y a un an, dans le contexte de l’émergence des mouvements  « balancetonporc » et « metoo »,  que les journalistes nous présentent comme des « victimes » des femmes qui ne sont que des plaignantes. Il appartient à la justice seule de décider si elles sont des victimes et les hommes qu’elles accusent des coupables.     
Cette pétition témoigne en outre de ce que les hommes ne sont autorisés à entrer dans le débat que pour battre leur coulpe, déclarer haut et fort, avec le héros des Bostoniennes de Henry James : « Vous m’avez convaincu. J’ai honte d’appartenir au sexe masculin ; mais je suis un homme, je n’y peux rien, et je ferai pénitence de la façon que vous voudrez. » ’en battant leur coulpe. Leur parole n’est légitime que si c’est pour reconnaître qu’ils ont contracté à l’endroit des femmes une dette quasi insolvable, se laver de ce péché prétendument originel de la domination masculine, et c’est bien ce que l’on lit dans la tribune des 1600 hommes parue dans le New York Times  : «des décennies de culture misogyne ont permis aux hommes d’agir en toute impunité », il est temps que cela cesse. 

Comment mesurer l'influence du mouvement #Metoo sur notre perception de ce type d'événements ? Assiste-t-on réellement à un "avant" et un "après" #Metoo ? 

Cette thématique des violences faites aux femmes, et particulièrement des violences sexuelles,  n’est pas nouvelle, elle domine le féminisme depuis les années 1990 (et antérieurement aux Etats-Unis),  mais il est incontestable que le mouvement « metoo » lui a donné  une audience et une crédibilité sans précédent.  Les témoignages sont venus de partout et cette offensive a impressionné, mais il eût fallu tenu compte de l’émergence et  du développement des réseaux sociaux qui offrent à n’importe quelle indignation une impressionnante caisse de résonance et fortifient le conformisme : après tout, en fouillant bien dans mon passé, ne pourrais-je, « moi aussi » comme dit le hasthag,  me dégoter une agression, un agresseur. Tout est affaire de qualification.  
L’influence exercée par ce mouvement se vérifie dans le peu d’effets que les récentes mises en accusation de l’initiatrice de « metoo », Asia Argento ou de l’universitaire Avital Ronnell ont sur les journalistes notamment, cette fabrique de l’opinion. Rares sont ceux qui, comme vous, sont disposés à briser ce concert d’unanimité. Cette version en blanc et en noir, avec des femmes fatalement victimes, et des hommes nécessairement coupables, leur sied parfaitement.  Ce serait un minimum de déontologie journalistique que  ne pas laisser le monopole de la parole à Muriel Robin dans l’affaire Jacqueline Sauvage. Il ne vient à l’esprit d’aucun média de lui opposer les fruits de l’enquête extrêmement rigoureuse menée par  les journalistes  Hélène Mathieu et Daniel Grandclément (La Vérité sur l’affaire Jacqueline Sauvage, éditions Stock).  La réalité est autrement complexe, les Français ont le droit de le savoir.   Le pathos, l’émotion, l’emporte : les larmes coulent et doivent couler – l’actrice évoque les pleurs des femmes [sic] sur le plateau pendant le tournage.  
Il est grand temps de remettre les pendules à l’heure, c’est pourquoi j’ai écrit cet essai :  Non,  la condition des femmes, et les relations entre les hommes et les femmes ne sont pas épuisées par ce tableau effroyable, peint par metoo, de la condition des femmes en Occident, au XXIe siècle. On doit l’établir et le marteler. 

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