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Projet de loi de Finances 2019 : la double épreuve de vérité
©ludovic MARIN / POOL / AFP

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Le projet de loi de finances pour 2019 sera présenté ce 24 septembre en conseil des ministres dans un contexte de ralentissement de la croissance qui pourrait peser sur les arbitrages à réaliser.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Atlantico : Dans quelle mesure ce PLF 2019 pourrait représenter une épreuve de vérité politique pour Emmanuel Macron ? 

Philippe Crevel  : La loi de finances pour 2018 a été adoptée, l’année dernière, quelques semaines après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. Son élaboration et sa discussion sont intervenues en plein nirvana post électoral. En outre, la croissance donnait l’impression qu’un nouveau monde économique prenait forme. Un an plus tard, le climat n’est plus le même. Après avoir été encensé, le Président est rappelé à la dure réalité des lois anciennes de la politique. Il est confronté comme ses prédécesseurs à la versatilité de l’opinion qui passe de l’amour à la haine en quelques instants. La croissance semble, par ailleurs,  se dérober sous ses pas. Il est rattrapé par un train de problèmes en tout genre. Le projet de loi de finances, le 2e de l’ère « Emmanuel Macron » est celui du cœur du mandat. Si celui de 2017, construit dans l’euphorie de la victoire, comportait encore les marques de l’ancienne majorité, le projet de loi de finances pour 2019 est censé, à mi-mandat, être l’expression pleine et entière de la volonté du Président. Mais, depuis mai 2017, que de mois perdus, que de tergiversations sur le sens de la politique à tenir.

Le budget est non seulement un document comptable mais aussi une feuille de route fixant les priorités, les objectifs de l’Etat. Le Président s’est engagé à réduire le poids des dépenses publiques, le montant des prélèvements obligatoires, le déficit et la dette. Pour atteindre ses objectifs, il avait indiqué qu’il diminuerait les effectifs de la fonction publique d’Etat de 50 000, qu’il redessinerait les modes d’actions de l’administration. Or, pour 2018, c’était trop tôt. Seulement 1600 suppressions de postes avaient été prévues sur un total de plus de deux millions d’emplois publics au sein des services de l’Etat. Autant dire, rien, même pas l’épaisseur du trait. Pour 2019, le nombre de suppressions d’emploi serait limité à 4500 postes. Une accélération des suppressions est prévue en 2020 quand le train des élections aura démarré. 

Vis-à-vis de la conjoncture, Emmanuel Macron chausse les souliers de François Hollande en comptant sur les fruits de l’expansion pour mener sa politique de réforme. Il a espéré que la croissance lui permettrait tout à la fois de respecter les engagements européens de la France et qu’elle lui donnerait des marges pour financer ses promesses les plus coûteuses comme l’exonération de la taxe d’habitation ou la restauration d’un service national.

Face à la raréfaction des marges de manœuvres, les arbitrages à réaliser sont plus tendues. Le gouvernement est contraint de réaliser quelques coupes sur le ministère des sports, sur l’emploi administratif à l’Education nationale ou à Bercy qui sert depuis de nombreuses années de variable d’ajustement pour les effectifs budgétaires.

L’équation budgétaire 2019 sera d’autant plus complexe que l’intégration du CICE dans la grille des cotisations sociales occasionnera un surcroît temporaire de dépenses d’où l’idée de ne plus compenser intégralement toutes les exonérations de charges que décide l’Etat. Le déficit budgétaire, surtout si le ralentissement économique se confirme devrait se rapprocher à nouveau des 3 %. La dette devrait en outre se rapprocher de la barre symbolique des 100 %. 

Erwan Le Noan : Les budgets sont toujours des épreuves de vérité, à double titre : d’abord, parce qu’ils révèlent quelles sont les préférences arbitrées par le Gouvernement (s’il préfère dépenser pour telle ou telle politique) ; ensuite, parce qu’il permet de cristalliser l’équilibre politique du parlement.

Le projet de budget du gouvernement pour 2019 devra d’abord être jugé sur son contenu. Il joue une partition délicate. D’abord, parce qu’il est attendu sur les questions sociales : une partie de l’opinion souhaite qu’il donne des preuves de son attachement aux personnes les plus fragiles. Ensuite, parce qu’il est également attendu sur une la maitrise des dépenses publiques et la réforme de l’Etat, qui sont des enjeux économiques et sociaux majeurs. Enfin, les réformes économiques qui ne seront pas lancées maintenant ne produiront probablement pas leurs effets avant la fin du mandat.

Le budget est également – et il ne faut pas l’oublier, un moment politique très important. Il sera intéressant de voir comment la majorité agit pendant les débats, au sein du groupe LaRem mais également dans ses relations avec ses alliés comme le Modem. Il sera également intéressant de surveiller le vote, en décembre. On considère généralement que c’est ce qui détermine l’appartenance à la majorité ou à l’opposition. Comment se comporteront les groupes ? Comment votera le groupe Agir-UDI ?

En quoi ce contexte de ralentissement de la croissance devrait contraindre le gouvernement sur l'orientation à prendre ? Emmanuel Macron a-t-il d'autres choix que d'assumer une ligne politique qu'il a voulu incarner, du premier de cordée à la théorie du ruissellement ? 

Philippe Crevel  : Le Président du en même temps risque d’aller dans un nulle part budgétaire et économique. L’orientation prise, avec la loi de finances pour 2017, en faveur de la politique de l’offre matinée d’une pincette de politique keynésienne à travers le jeu de bonneteau CSG/cotisations sociales est de plus en plus contestée par la gauche de la République en Marche et par un certain nombre d’économistes. Une pression en faveur d’un virage à gauche se fait de plus en plus sentir. L’arrivée d’un train d’élections et la montée de l’impopularité de l’équipe au pouvoir pourraient évidemment provoquer l’inflexion de la politique du Gouvernement. 

Avec le ralentissement de la croissance, l’idée d’une relance de la consommation en multipliant des cadeaux non financés se fait jour. Si tous les gouvernements peinent à assainir les finances publiques, ils sont plus imaginatifs en matière de dépenses. Mais, la France ne peut guère se payer le luxe d’un nouveau dérapage budgétaire. La France figure parmi les pays les plus mal gérés d’Europe. Même la Grèce fait mieux, c’est vrai au prix d’une cure d’austérité sans précédent et que la France a validé. 

Erwan Le Noan : Les gouvernements ne sont pas contraints : ils sont libres de faire la politique économique qu’ils souhaitent et d’en assumer les conséquences économiques et politiques. Les partis extrémistes prétendent l’inverse et ils ont tort. La réalité rattrape toujours ceux qui veulent l’ignorer : il suffit de voir, dans des styles très différents, le Venezuela, l’Italie, etc.

Cela étant, le gouvernement d’Edouard Philippe s’inscrivant dans une ligne modérée, il doit maintenant trouver le bon discours pour accélérer les réformes, afin de pallier le ralentissement de la croissance. Les solutions sont connues : elles passent par un renforcement dynamique du tissu productif français, ce qui implique, comme dans maints domaines, une profonde réforme de l’action publique.

Le Président peut donc poursuivre avec cohérence le discours de libération de l’économie française, accompagné d’images offensives comme les premiers de cordée. Mais cela n’est pas du tout incompatible avec un discours qui introduirait une préoccupation plus sociale, à condition que celle-ci exprime également des solutions tournées vers le dynamisme et le marché. Les deux discours, libération économique et soutien aux plus fragiles, ne sont pas du tout incompatibles. Il reste au gouvernement à les incarner et à les traduire en des actes ambitieux.

Quels seraient les risques engendrés par un arbitrage qui s'éloignerait de cette approche incarnée par Emmanuel Macron ?

Philippe Crevel  : Avec l’accélération du calendrier électoral, la politique de l’offre risque d’être oubliée au profit d’une politique plus conventionnelle ou plus traditionnelle permettant de traiter différentes catégories d’électeurs. Les résultats de ces politiques impressionnistes sont mauvais tant sur le plan politique que sur le plan économique. 

Depuis François Mitterrand, la ligne droite en matière de politique économique n’est plus de mise. Les Présidents commencent une politique pour l’abandonner au bout de deux ans. L’idée d’être électoraliste est amplement partagée par les occupants de l’Elysée. Le choix de Valéry Giscard d’Estaing de maintenir en 1980 Raymond Barre à Matignon et de conserver une politique plutôt rigoureuse reste gravé dans les mémoires. A quoi cela sert de se constituer des réserves si elles servent le successeur. Autant dépenser tout de suite. Depuis 1981, il n’y a plus de réserves mais sont apparues des cagnottes virtuelles qui donnent lieu à des débats enflammés sur leur utilisation.

En cas de changement de cap, le risque majeur est un nouvel accroissement des déficits sur fond d’augmentation des dépenses. Du fait du niveau élevé des prélèvements, le Gouvernement n’aurait, en effet, guère d’autre choix, que de jouer sur le déficit. Des tensions pourraient alors réapparaître en Europe entre Etats dépensiers et Etats vertueux. Mais, d’un seul coup, Emmanuel Macron se rapprocherait des populistes qu’il combat par ailleurs. La voie budgétaire est donc bien étroite et est remplie de nombreux écueils. 

Erwan Le Noan : Une politique en rupture avec une volonté réformiste consisterait à revenir aux solutions ‘traditionnelles’ françaises : de la fiscalité, du contrôle réglementaire et de la dépense publique pour consoler au lieu de libérer et de dynamiser. Cette voie conduirait à banaliser l’action du gouvernement, rejoignant ses prédécesseurs. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, elle se traduirait au mieux par une stagnation économique, au pire par une régression.

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