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David Lisnard : "Les incivilités du quotidien coûtent des milliards d’euros et on les passe trop souvent sous silence"
©PIERRE ANDRIEU / AFP

Fléau

Déchets dans la rue, dépôt d'encombrants sauvages, stationnement sur les places handicapées alors que l'on est valide… Depuis 20 ans, les Français font face à une nouvelle atteinte à leur qualité de vie : les "incivilités", un enjeu sociétal trop souvent passé sous silence.

David Lisnard

David Lisnard

David Lisnard est Président de l’AMF, Maire (LR) de Cannes et Président de Nouvelle énergie.

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Atlantico : Vous expliquez dans votre livre, Refaire communauté pour en finir avec l'incivisme (éditions Hermann)que les incivilités sont devenues un sujet de préoccupation publique récurrent, ce qui n'était pas le cas il y a 20 ans. Pouvez-vous préciser votre constat ?

Davis Lisnard : Les incivilités, terme importé dans les années 90 en France et qui vient des Etats-Unis, notamment des sociologues Kelling et Wilson, relèvent soient d'actes d'impolitesse soit d'infractions pénales. Aujourd'hui ils posent un problème majeur. J'avais dit que la lutte contre les incivilités et donc contre l'incivisme était la cause que je souhaitais porter dans mon mandat de maire. Déchets dans la rue, dépôt d'encombrants sauvages, stationnement sur les places handicapées alors que l'on est valide… On fait face à des atteintes au cadre de vie donc à la qualité de vie des habitants. C'est aussi une atteinte à l'attractivité des territoires. On voit bien les dégâts que cause Paris sur l'image de la France à l'international à cause des problèmes de saleté… Mais c'est un problème également financier car les incivilités représentent des charges financières majeures. On sait que ça se compte en milliards d'euros. Enfin, ces actes d'incivilité révèlent une rupture du lien social, du rapport à la communauté, du sentiment d'appartenance à la nation et révèle très souvent une dérive individualiste au mauvais sens du terme. Je suis un homme attaché à la liberté et la liberté, c'est aussi des responsabilités. Pour à la fois défendre des contribuables, avoir un cadre de vie plus agréable et redonner du sens et du bien commun, nous pensons que la lutte contre les incivilités et le renouveau civique est essentiel. C'est un enjeu sociétal majeur qui est encore trop souvent passé sous silence. La lutte contre l'incivisme est au cœur d'un vrai projet de gestion de la cité tourné vers le bien commun.

Le problème est que ce terme "d'incivilité" a tellement été utilisé à tort et à travers que cela abaisse la réalité des infractions. L'État est défaillant face à ces infractions et les maires ont un vrai défi à relever pour faire appliquer les règles. La théorie du carreau cassé et de la tolérance zéro permet d'avoir des résultats uniquement si l'on conjugue le répressif à l'éducation. L'un sans l'autre ne donne que peu ou pas d'effets et ne permet pas de lutter contre les incivilités. Comment expliquez-vous ce développement des incivilités? Sur quel terreau s'est-il fait ?

Dans ce livre nous avons souhaité avoir une approche analytique avec Jean-Michel Arnaud. Nous avons voulu faire la démonstration qu'il y avait derrière les incivilités du quotidien des enjeux énormes. Une question qui s'est posée et qui reste pleine et entière est qu'on n'est pas sûr au final qu'il y ait plus d'incivilités qu'avant. Il y a des exemples qui nous laissent penser que c'est le cas mais ce qui est qualifié d'infraction maintenant n'étaient pas qualifié comme tel il y a trente ans. Il y a trente ans si l'on faisait déféquer son chien dans le caniveau, on était exemplaire, maintenant si vous ne ramassez pas, vous êtes en infraction. Jeter un mégot dans la rue il y a vingt ans n'était pas considéré comme une incivilité.

Il faut donc être prudent sur cette montée en puissance, mais peu importe l'époque, ces infractions, ces atteintes à la cité sont graves. Elles révèlent un individu qui s'extériorise de la société. Il y a une vraie montée en puissance de certaines incivilités comme les jets de déchets par exemple.

Sur quel terreau demandiez-vous ? D'abord sur celui du consumérisme. Aujourd'hui l'on considère que tout espace est consumériste y compris l'espace public. Mais ce n'en est pas un. C'est un espace de liberté donc de responsabilité et l'état des espaces publics dépend de notre comportement. Moi qui suis un libéral, tout n'est pas de l'ordre du marché. L'incivisme est aussi le fruit de l'État providence en ce sens.

Ce dernier déresponsabilise les individus qui se disent "je paye une taxe donc je peux jeter mon mégot dans la rue". C'est extrêmement grave car nous sommes tous coresponsables de la cité et l'on ne peut pas déléguer nos responsabilités à l'État.

Enfin on peut citer le communautarisme et tout ce qui porte atteinte à la communauté nationale. Quand on ne se sent plus rattaché au Contrat Social au sens de Rousseau, on ne se sent plus sous le contrôle social des semblables. Nous ne sommes plus soumis au regard de l'autre car on se moque de son regard vu que l'on n'appartient pas à la même communauté. C'est une spirale infernale.

Enfin, il faut rajouter à cela la permissivité de l'État. Ce dernier est à notre image, il est devenu de plus en plus permissif. Comment se fait-il que la police nationale et la gendarmerie ne répriment plus les incivilités notamment dans les quartiers difficiles ou envers des personnes très puissantes ? Cette incapacité alimente également le vote extrême et il ne faut pas l'oublier. La leçon à en tirer est que c'est en luttant contre ces incivilités que l'on va retisser du lien social.

Selon vous, que faut-il avoir le courage d'assumer comme discours mais aussi comme valeurs pour espérer renverser la tendance ?

Il faut oser mener ce combat contre les incivilités. Ne pas céder face aux infractions du quotidien et ne pas les minorer. Mais encore une fois, la sanction ne fait pas tout. Plus on va en parler, plus on en fait un objet du débat politique, plus on va progresser.

En termes de politique publiques il faut travailler tout azimut. Plus on va réparer vite ce qui a été cassé, moins il va être dégradé par la suite comme l'expliquent Kelling et Wilson. La réparation avec la répression, la sensibilisation mais aussi l'éducation. C'est ces valeurs qu'il faut porter pour parvenir à retisser du lien social. Plus on arrivera à créer des dénominateurs communs, plus on créera du sentiment d'appartenance. Il faut avoir le courage de porter la répression. Mais sans le reste, elle ne servira à rien.

Au sein des Républicains, dans le cadre de cette lutte contre les incivilités, ne considérez-vous pas que les "bons sentiments" de la droite "modérée" ne noient pas parfois des réalités et qu'à l'inverse la droite plus "radicale" ne se contente pas de surfer sur les sentiments d'insécurité ou de ras le bol des Français sans trouver de solutions ?

Pour l'instant la droite n'a pas produit de vrai diagnostic, mais c'est logique puisqu'on est dans une période post-traumatique électorale. Il y a actuellement une vraie réflexion de fond pour proposer un projet ancré dans les réalités ans le ressenti mais qui soit dans une approche d'alternative crédible. Si l'on n'est pas en mesure de le faire on laisse s'instaurer le dialogue dangereux entre le pouvoir en place incarné par Emmanuel Macron et les extrêmes. On ne sait pas comment cela pourrait se terminer.

Nous avons une responsabilité. Il faut que l'on prouve que l'on est capable de produire une alternative forte, crédible qui n'édulcore pas les problèmes. Mais d'un autre côté il ne faut pas faire du racolage électoral en jouant sur les peurs des gens car ces derniers le ressentent et c'est clairement insupportable.

Je suis convaincu que l'on a la maturité citoyenne en France pour cela. Vouloir surfer sur les émotions et les peurs est destructeur. Vouloir nier les réalités, les problèmes et les peurs c'est aussi destructeur car c'est jeter les électeurs dans les bras des extrêmes.

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