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Lutter contre les incivilités en les pénalisant est non seulement juridiquement complexe mais surtout pratiquement inefficace
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Bonnes Feuilles

Repris à l’envi, les mots incivilité(s) et incivisme sont devenus le signe d’un profond malaise de nos sociétés démocratiques contemporaines, le symptôme de notre incapacité à vivre ensemble en République française. Extrait de Refaire communauté pour en finir avec l'incivisme de David Lisnard et Jean-Michel Arnaud, publié aux éditions Hermann. (1/2)

David Lisnard

David Lisnard

David Lisnard est Président de l’AMF, Maire (LR) de Cannes et Président de Nouvelle énergie.

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Jean-Michel Arnaud

Jean-Michel Arnaud

Jean-Michel Arnaud est vice-président de Publicis Consultants et directeur des publications de l’Abécédaire des Institutions. Cofondateur du quotidien gratuit, il est aussi vice-président de Metro International Newspapers et a présidé le groupe Domaines Publics. Conseiller du Commerce Extérieur de la France, il enseigne l’intelligence économique à l’université Paris-Descartes.

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"Il n’existe aucune définition légale de ce qu’est une incivilité», note le magistrat Didier Peyrat45. Si la notion d’infractions est clairement définie dans le Code pénal ("une infraction est un acte prévu et réprimé par la loi pénale qui engendre un trouble à l’ordre public") ce n’est pas le cas de celle d’incivilités. "L’incivilité ne fait pas nécessairement de victime d’après les textes de loi et encore moins d’après la pratique pénale, qui ne sait pas par où l’attaquer", constate Sébastian Roché. Dans son ouvrage La Société d’hospitalité, le sociologue définit les incivilités au sens strict comme "des actes qui dérangent ou qui blessent moralement mais qui ne sont pas réprimés par la loi". Certaines incivilités ne sont donc pas illégales ! Ne pas dire "bonjour", dépasser dans une file d’attente, ne pas laisser sa place à une personne âgée dans un bus, tout cela est très incivil, mais pas illégal. La difficulté réside donc dans l’appréhension du phénomène.

Certaines incivilités sont pénalisables, d’autres pas : d’où la difficulté de lutter contre... Quand il n’y a pas « infraction», il n’y a pas de réponse pénale possible. Mais la sanction pénale est-elle la seule solution pour prendre en charge ce phénomène ? Nous y reviendrons.

On est bien vite obligé, à l’instar du sociologue Sébastian Roché, de forger l’expression d’«incivilités infractionnelles» pour désigner des incivilités passibles de sanctions légales. Insultes, menaces, dégradations, tapages : ces comportements passent sous le coup de la loi, même s’ils sont rarement réprimés – car encore faut-il porter plainte, ou que la police les constate en flagrant délit et décide de les verbaliser. Le Centre d’action pour la propreté de la ville de Paris (CAPP), dans son édition de juillet 2015, recense 90 types d’infractions que les inspecteurs de salubrité sont autorisés à sanctionner : ce qui est qualifié d’«incivilités» peut donc bien parfois être pénalisé. D’ailleurs, l’instauration en septembre 2016 d’une brigade anti-incivilités va dans ce sens.

Plus encore, il faut noter que, non seulement, dans les faits, incivilité et infraction peuvent se confondre (« inonder ses voisins de décibels » est une infraction – tapage nocturne ou diurne – qui renferme une incivilité, à savoir ne pas se préoccuper des personnes que cela peut importuner), mais, de surcroît, le droit absorbe de plus en plus les incivilités. La loi du 8 mars 2003 classifie par exemple pénalement des comportements autrefois «simplement» incivils, comme le délit d’entrave dans les cages d’escalier. Dans la loi no 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, les infractions sont définies comme «les désordres et comportements d’inconduite qui, sans être expressément visés par le Code pénal, constituent des manquements aux règles élémentaires de vie en société : nuisances sonores, dégradations, manque de respect [...], soit un ensemble de contraventions déjà inscrites dans le Code pénal et portant atteinte à l’ordre public, à la salubrité publique ou encore aux biens d’une collectivité ».

De facto, les incivilités deviennent donc bien souvent «des sous-catégories d’infractions pénales», selon l’expression du magistrat Didier Peyrat. Et cette juridicisation des incivilités est favorisée par le contexte de lutte contre le terrorisme. Par exemple, une loi récente pour lutter contre les incivilités dans les transports, publiée au Journal officiel du 23 mars 2016, avait aussi comme objectif la protection des transports en commun contre les risques d’attentats. Cette pénalisation des incivilités est nécessaire. En effet, la seule sanction qui a existé pendant longtemps était l’opprobre social : l’individu discourtois qui jetait par terre son mégot de cigarette, ou crachait sa salive ou ses chewing-gums, n’avait bien souvent pour punition que le regard réprobateur des passants. Hélas, la force dissuasive du «name and shame» est bien maigre, comme le remarque le psychosociologue Dominique Picard :

«Les sanctions symboliques ne sont redoutées que par celui qui adhère aux valeurs qu’elles sous-tendent. C’est bien l’un des problèmes auxquels on se heurte face aux “incivilités” : quand la violence devient une valeur positive, il n’y a pas de honte à la pratiquer; et quand vivre à la marge fait partie de son identité, on ne craint pas d’être désavoué par la société.»

Si la pénalisation de certaines incivilités infractionnelles était nécessaire, nous voudrions souligner que le vrai problème n’est pas l’absence de qualification juridique, mais l’absence de volonté ou l’incapacité à faire respecter les réglementations déjà en vigueur. Il existe en effet de nombreuses lois permettant de lutter contre les incivilités, mais elles ne sont bien souvent ni respectées, ni appliquées."

Extrait de Refaire communauté, de David Lisnard et Jean-Michel Arnaud.

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