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IVG : ce qui explique vraiment la difficulté grandissante à trouver des médecins
©ERIC FEFERBERG / AFP

Clause de conscience

À la suite des propos de Bertrand Rochambeau, président d'un syndicat de gynécologie, Agnès Buzyn a déclaré sur BFM TV, mardi soir : "Je veux m'assurer qu'il n'y a pas une augmentation du nombre de médecins qui font valoir la clause de conscience" pour refuser de pratiquer l'IVG. Elle a ajouté vouloir un "état des lieux" de l'IVG en France.

Christian Jamin

Christian Jamin

Christian Jamin est gynécologue et endocrinologue. Il exerce actuellement à Paris. Spécialiste de la régulation du traitement hormonal chez la femme, il participe activement aux recherches de nouvelles méthodes de contraception. Il s'implique également dans la prévention de l'IVG.

Il a co-écrit Une nouvelle vie pour la femme, aux éditions Jacob-Duvernet, 2006.

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Atlantico : Quel est justement cet état des lieux ? Les gynécologues français refusent-ils de plus en plus de pratiquer cet acte ?

Christian Jamin : Il faut d'abord savoir qu'il y a deux types d'IVG. Il y a d'abord celles qui sont faites en ville, les IVG médicamenteuses et qui peuvent être faites en ville jusqu'à sept semaines sans règles, c'est-à-dire cinq semaines de grossesse. Pour celles-ci, les gynécologues en ville peuvent être, ou non, volontaires. D'autre part, il y a les IVG à l'hôpital ou en clinique, qui peuvent être soit médicamenteuses, soit par aspiration. Celles-ci, essentiellement pour celles faites par aspiration, sont praticables jusqu'à quatorze semaines. 
Les IVG médicamenteuses en ville ne cessent d'augmenter en proportion, parce que c'est beaucoup plus simple pour les femmes, il n'y a pas besoin d'aller à l'hôpital, on peut faire cela chez soi. Il faut en revanche que les gynécologues de ville s'y intéressent et c'est vrai qu'il y a peu de gynécologues qui sont enclins à faire ce genre d'actes pour des raisons diverses et variées. 
En ce qui concerne les cliniques, on est un peu dans le même état d'esprit, car ce sont des libéraux. Les hôpitaux, en revanche, ont l'obligation de mettre à disposition des moyens de faire les IVG. Mais il n'y a pas des gynécologues partout, et ils sont souvent débordés.

Pourquoi l'accès à l'IVG devient-il de plus en plus compliqué en France ? Est-ce dû à des raisons religieuses ? Quels autres facteurs entrent en compte ?

Je ne dirais pas que certains médecins refusent de pratiquer des IVG, parce que le refus est quelque chose d'actif. En l'occurrence, il s'agit du droit de conscience. Et ça, je ne crois pas du tout que cela augmente. En revanche, il y a beaucoup de gynécologues que ça intéresse peut et, pour ma part, j'ai fait, à un moment donné, une campagne en France pour informer les médecins sur comment on pouvait faire des IVG, et c'est vrai qu'on n'a pas eu beaucoup de succès. Manifestement, ça ne passionne pas les médecins. Plus qu'un refus, je dirais que c'est un manque d'intérêt. Il serait peut-être bon de faire que les médecins soient plus enclins à participer mais pour cela il faudrait les informer et les pouvoirs publics ne font rien. Et par ailleurs, il faudrait que ce soit plus rémunérateur. 
La rémunération de l'acte n'est pas à la hauteur. Et le médecin paye les prix des médicaments, qui ne cessent d'augmenter. Ce n'est, c'est le moins que l'on puisse dire, pas incitatif. Il y a aussi des problèmes de conviction, qui à mon avis ne concernent qu'une très faible part des praticiens. Il y a les problèmes d'intérêt personnel par rapport à cet acte : si c'est effectivement un acte comme un autre, il n'est pas valorisé dans la tête des médecins. 
Le problème, également, du fait de pratiquer l'IVG, est qu'il faut être très disponible. Par exemple, pour ma part, quel que soit l'endroit du monde où je me trouve, si quelqu'un a besoin de me joindre, il peut m'appeler. 
D'autre part, les gynécologues médicaux ont disparu ou sont en passe de disparaître et les jeunes gynécologues sont davantage des techniciens de l'accouchement, de l'échographie, de la procréation médicalement assistée, etc. Et l'IVG n'est pas un geste qu'ils valorisent particulièrement.

Quelles mesures pourrait prendre l'État pour garantir l'accès à l'IVG, si celui-ci était menacé ? 

D'abord, il faudrait que l'État fasse son boulot, c'est-à-dire qu'il organise dans les hôpitaux, un accueil qui permette de pratiquer l'IVG. C'est un problème administratif et la loi doit être respectée. Actuellement, il y a des tas d'hôpitaux où il y a très peu de gynécologues et où il n'y a pas de moyens. Il y a indiscutablement un problème d'organisation de l'État par rapport aux centres hospitaliers. C'est un problème de volonté politique et la pénurie peut être gérée.
Le fait que la majorité des IVG puisse se faire en ville permettrait de décharger les hôpitaux et surtout d'avoir de la proximité pour les patientes. Ce qui pêche beaucoup, c'est le manque de volontaires pour pratiquer des IVG médicamenteuses en ville. Cela est laissé au libre-arbitre de chacun mais cela ne passionne pas les médecins. Pour les y intéresser, il faut commencer par les former et donner accès à l'information. Et il faut également que l'acte soit rémunéré à son juste prix et qu'on cesse de rogner le prix de l'IVG en augmentant le prix des médicaments sans augmenter le prix du forfait. Parce que le médecin a le droit de demander jusqu'à 188 euros et paye lui-même le prix des médicaments. Si ce dernier représente trop, le médecin n'a pas envie de s'investir dans la pratique de l'IVG. Il faut faire un système d'incitation.

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