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Sommet européen sur les migrations : cet angle mort qui paralyse l’Union derrière son obsession pour le contrôle des frontières
©OLMO CALVO / AFP

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Une réunion se tiendra le 19 et 20 septembre à Bruxelles pour tenter de trouver une solution à la crise migratoire qui divise l'Union européenne.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Les Etats et les gouvernements européens se réunissent les 19 et 20 septembre sur la questions de l'immigration. Mais eu delà de la question des frontières, c'est bien la question du modèle d'intégration.  Qu'est ce qui empêche l'Europe d'être capable d'inventer un véritable modèle d'intégration ?

Edouard Husson : Fondamentalement, l’Europe ne croit plus en elle-même. Les pères fondateurs des années 1950 mais aussi ces visionnaires que furent, chacun dans son style, Charles de Gaulle, Willy Brandt, Margaret Thatcher, Jean-Paul II, Mikhaïl Gorbatchev, croyaient profondément que l’Europe était une réalité capable de survivre aux idéologies et aux conflits. On met souvent en avant la génération d’Adenauer et Schuman, à juste titre; mais l’on peut dire que les dirigeants qui leur ont succédé ont encore approfondi la compréhension que nous pouvons avoir de l’Europe. Au fond, il y avait une profonde parenté, au-delà des mots quelquefois différents, entre « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural», le rêve d’organisation pacifiée du continent de Brandt, la « Maison Commune» de Gorbatchev, l’idée pontificale des « deux poumons », occidental et oriental, de l’Europe et le discours de Bruges de la Dame de Fer: tous croyaient à la profondeur historique d’une culture européenne partagée. Une Europe qui se vit comme une culture, une histoire, une réalité organique trouve facilement en elle-même les ressorts du dialogue avec les autres cultures, de l’intégration des individus venus d’ailleurs; et, sûre de ses bases, elle sait aussi dire non: aucune société n’a le droit, si elle veut rester dans le domaine de l’éthique, d’accueillir à la légère des personnes dont elle ne peut pas s’occuper sérieusement. 

Les gouvernants d’aujourd’hui se comportent de manière immorale lorsqu’ils ouvrent les frontières à des flux massifs de personnes sans donner à ceux qui vont travailler sur le terrain à l’intégration les moyens de la réaliser. Oui il y a une dignité fondamentale du réfugié; un devoir d’hospitalité. Précisément: l’hospitalité, ce n’est pas « Allez-y, entrez et débrouillez-vous! ». La dignité de la personne devrait nous interdire d’accueillir des personnes pour les laisser ensuite végéter des mois et des mois dans des campements de fortune. Pour paraphraser la célèbre formule de Gide, avec des bons sentiments, on fait de la mauvaise politique. 

Il n’y a pas de nouveau modèle d’intégration à inventer: il faut retrouver les fondements d’une attitude proportionnée aux capacités d’accueil; et aux exigences morales qu’implique l’humanisme. Traiter le réfugié, l’immigré, comme mon frère humain implique de le respecter non seulement en l’accueillant mais aussi en le jugeant digne et capable de s’adapter aux lois du pays qui le reçoit. 

N'y a t il pas une tendance en Europe à donner une image négative des Nations quand celles ci permettent justement autant de façon de vivre le pacte européen ?

En effet, l’Europe, c’est le socle; c’est ce qu’il y a de plus ancien; c’est ce que partagent les nations d’Europe. Charlemagne est un père de l’Europe dont descendent, en particulier, une lignée française, une lignée lotharingienne et une lignée allemande. Au bout de plusieurs siècles, le fils français et le fils allemand - qui avait pris en otage le fils lotharingien - se sont battus à mort, ont failli s’entretuer puis se sont réconciliés. A vrai dire, c’est le Lotharingien - qui a décidé qu’il préférait vivre chez son frère occidental -  qui a convaincu le Français de se réconcilier avec l’Allemand! Il est très important de comprendre que les nations naissent de la matrice européenne. Chaque nation est une réalisation particulière de l’esprit européen. Et d’ailleurs, la diversification ne s’arrête pas à la nation: quand elle est une communauté vivante, elle laisse prospérer la variété des régions en son sein. L’Europe en elle-même ne suffit pas pour l’intégration: elle doit passer par le truchement des nations. 

Est-il besoin de rappeler qu’il n’existe pas de langue européenne; en revanche il y a des langues nationales et c’est bien l’italien, l’allemand, le français que des milliers d’hommes et de femmes enseignent aux réfugiés, pas « l’esperanto ni le volapük intégré »! 

Quel peut être le risque à donner une vision négative des Nations ? 

On se prive des moyens de l’intégration. On fait le lit des conflits. Comment croyez-vous que l’Allemagne sera capable d’absorber les tensions entre musulmans turcophones, arabophones et persophones présents sur son territoire? Sûrement pas pas la simple « Willkommenskultur » (culture de la bienvenue); on aura besoin d’un gouvernement ferme, d’une culture allemande normalement fière de ce qu’elle est et d’une disposition intransigeante à défendre l’état de droit. De même, la culture républicaine française consiste non pas à s’excuser en permanence de parler de la France mais à transmettre, dans la fierté, la culture, la science, la langue, le savoir-vivre français aux étrangers que nous accueillons sur notre territoire. Il faut être prêt à reconnaître que la radicalisation islamiste de nombreux jeunes vient du déficit de «France » dans leur éducation. Je me rappelle un de mes anciens professeurs devenu inspecteur général qui m’expliquait - à la fin des années 1980 - que les programmes d’histoire étaient trop « gallocentrés »; il était fier de contribuer à changer cela. C’était un homme désireux de bien faire mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. C’est le moment de se souvenir de la formule de Jaurès: « Un peu d’internationalisme éloigne de la nation; beaucoup y ramène ». 

L’attitude actuelle de beaucoup de dirigeants consistant à opposer l’Europe accueillante et la nation haineuse est un contresens lourd de drames à venir. L’Europe est une culture, un ensemble de valeurs, une civilisation multiséculaire. On ne peut pas la brader. Les racines grecques, romaines et judéochrétiennes de l’Europe sont non négociables! C’est à leur aune que nos différentes nations choisissent - ou non - d’accueillir l’étranger pour en faire un de leurs citoyens. 

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