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Attention danger, le gouvernement projette de s’attaquer aux mille et un pièges de la fiscalité des successions
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Route des inégalités et pavés de bonnes intentions

Le gouvernement souhaiterait revoir à la hausse les droits de succession afin de corriger du mieux possible les « inégalités de naissance ».

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Christophe Castaner, secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement, a évoqué, ce 14 septembre, la question d'une "réforme en profondeur de la fiscalité sur les successions", en indiquant qu'il s'agissait de "l'outil privilégié pour corriger les inégalités de naissance". Comment mesurer le bon "dosage" de la fiscalité sur les successions ? 

Jacques Bichot : Remarquons tout d’abord que les inégalités de naissance ne résultent pas exclusivement de l’héritage, loin s’en faut ! Il y a tout d’abord le patrimoine génétique : Nous naissons avec des prédispositions très différentes à développer telle forme de cancer ou de toute autre maladie, avec des capacités cérébrales variées, etc. Et, à franchement parler, mieux vaut naître avec d’excellents chromosomes de parents qui vous légueront peu de biens, que de parents richissimes avec une santé très fragile ou une débilité intellectuelle.

Cela signifie que la fiscalité successorale ne peut compenser que certaines inégalités de naissance, celles liées à la fortune. Et, même dans ce domaine, elle a des limites évidentes : elle peut diminuer ce que peuvent transmettre les riches, elle ne peut pas augmenter ce que lèguent les pauvres. Sauf à instaurer un impôt successoral négatif accordant un capital à ceux dont les parents meurent pauvres.

Il s’agirait alors non plus de remplir les caisses de l’Etat, mais de prélever sur les gros héritages pour augmenter les petits. L’idée est intéressante, mais il n’est pas certain qu’elle retienne l’attention des éminences qui gouvernent et légifèrent, tout simplement parce que les finances publiques françaises sont tragiquement déficitaires.

De ce fait, il est fort probable que l’accroissement des prélèvements sur les successions d’une certaine importance, s’il a lieu, servira au renflouement des caisses de l’Etat. Le discours sur la réduction des inégalités permettra simplement de déguiser en outil de lutte contre les inégalités une majoration fiscale classique, consistant à prendre l’argent dans les poches où il y en a. Les pêcheurs ne recherchent-ils pas les eaux les plus poissonneuses ?

Enfin, il faut prendre en considération le fait que l’héritage intervient à un âge de plus en plus avancé. La personne qui bénéficie d’un pactole à 60 ans n’a pas forcément attendu cet âge pour vivre avec plus de moyens que ses contemporains ! De plus, si l’héritage est principalement constitué d’une entreprise, il y a des chances pour que la transmission des pouvoirs se soit effectuée bien avant le décès des parents. Or l’inégalité de pouvoir est tout aussi importante que celle de l’avoir. Devenir PDG à 40 ans parce qu’on est la fille ou le fils d’un patron qui se retire à 70 ans est un avantage très inégalement réparti, et la fiscalité des successions n’y peut pas grand-chose.

Quels sont les effets pervers de cette fiscalité, notamment sur les questions de transmission des entreprises, des PME par exemple, ou dans les régions qui ont connu une forte hausse du foncier ? 

Ce qui est important pour la bonne marche de l’économie, c’est que le tissu de PME familiales ne soit pas lacéré par la fiscalité. Les inégalités patrimoniales correspondent, en la matière, à des inégalités de pouvoir et de responsabilités. Or la dilution du pouvoir et de la responsabilité n’est pas forcément bonne pour le fonctionnement de l’économie.

Si les taux de la fiscalité successorale sont confiscatoires, lors du décès du chef d’entreprise il va falloir trouver rapidement un ou des repreneurs pour une partie importante des actions de l’entreprise. Cela peut fournir à certains organismes l’occasion de faire de très bonnes affaires au détriment de la famille du propriétaire. Vouloir lutter contre les inégalités en multipliant les occasions d’enrichissement sans cause, favoriser les « vautours » au détriment des enfants des « aigles », cela n’améliorera ni l’activité économique ni l’emploi.

En ce qui concerne le foncier et l’immobilier, il faut distinguer entre les biens qui ont une valeur culturelle ou environnementale particulière, et ceux qui en sont dépourvus. Posséder une forêt, ou un château, c’est être gestionnaire d’un patrimoine qui appartient d’une certaine manière au pays, à l’ensemble des citoyens. Certes, Mr Dupont et Mme Durand n’ont aucun titre de propriété sur le monument historique possédé et entretenu par la famille Lagrange, mais ils en profitent, comme de tout ce qui fait la beauté de notre pays.

Mieux vaudrait pour la population française, pour ceux qui aiment les vieilles pierres et les beaux parcs, que ces bijoux nationaux restent des bijoux de famille, entretenus avec soin par des propriétaires qui les aiment et acceptent que des visiteurs viennent s’y réjouir d’habiter ou de visiter « la douce France ». Nous n’avons aucun intérêt, sous prétexte de réduction des inégalités, à n’avoir plus à présenter que Disneyland et le château de Versailles.

En partant de notre fiscalité actuelle sur les successions, quelles seraient les pistes à suivre pour parvenir à un résultat plus satisfaisant ? 

Il n’est possible ici que de signaler quelques pistes, parce que les situations sont très diverses.

La première est une simplification des dispositifs. Paternaliste, l’Etat français cherche à favoriser des façons de faire qui lui paraissent meilleures que d’autres, souvent pour des raisons idéologiques, ou parce que c’est « politiquement correct ». Ainsi la législation fiscale avantage-t-elle certaines formules de transmission par rapport à d’autres. Cela fait l’affaire des conseillers fiscaux et des revues ou sites qui traitent de ces questions embrouillées, mais il n’est pas évident que cette abondance de dispositions soit conforme au bien commun.

Par exemple, les avantages fiscaux en matière d’héritage dont a été dotée l’assurance vie conduit beaucoup de personnes à utiliser cette formule dont la pertinence économique n’est pas évidente. Bercy y tient parce que l’assurance vie en euros, dont les actifs sont principalement des emprunts d’Etat, assure un débouché à ses émissions de titres du Trésor public, mais l’intérêt général ne coïncide pas forcément avec cette facilité mise à la disposition de ceux qui ne savent pasou n’ont pas le courage de réduire les déficits publics.

Une seconde piste est la possibilité d’étaler dans le temps le paiement des droits de succession lorsque cela permet de ne pas procéder à des ventes d’actifs « le couteau sous la gorge ». Une entreprise familiale dont les héritiers veulent conserver le caractère familial devrait, par exemple, donner lieu à ce genre de facilités.

Le paiement des droits de succession devrait aussi pouvoir être réalisé, partiellement ou totalement, de manière anticipée. Une personne ou un couple désireux de préparer sa succession en évitant aux héritiers d’avoir à liquider des actifs pour payer le fisc utiliserait ainsi une partie de ses revenus pour leur laisser, après le passage de la grande faucheuse, une situation grandement simplifiée. Il est d’ailleurs étonnant qu’aucun directeur de la législation fiscale n’ait, à ma connaissance, fait de proposition dans ce sens – mais peut-être, en fait, des propositions de ce genre ont-elles été faites et refusées par le personnel politique ?

Troisième piste – la dernière, pour ne pas être trop long : assouplir les règles de la communauté universelle. Cette formule permet au survivant, lors du décès de son conjoint, de devenir propriétaire de tout le patrimoine commun, sans avoir à payer des droits de succession (mais, bien entendu, le fisc se rattrape lors du décès de ce dernier vivant). Cette formule, intéressante, pourrait être assouplie : au lieu d’avoir à choisir entre tout (le conjoint survivant devient propriétaire de tous les biens du couple) et rien (il garde la moitié, pas un sou de plus), le contrat pourrait prévoir la possibilité d’une communauté partielle laissant au survivant plus de la moitié, sans qu’il s’agisse de la totalité.

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