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Comment la presse de gauche
s’est vendue au pouvoir étatique
d’une part et à des financiers politisés d’autre part
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Sous influence

Benjamin Dormann a enquêté plus de deux ans dans l'envers du décor de la presse française. De ce voyage instructif, il rapporte " Ils ont acheté la presse", ouvrage qui dévoile les relations ambiguës qu'entretient la presse avec le pouvoir (Extrait 1/2).

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann a été journaliste dans la presse financière et trésorier d'un parti politique. Depuis 18 ans, il est associé d'un cabinet de consultants indépendants, spécialisé en gestion de risques et en crédit aux entreprises. Il est executive chairman d'une structure active dans 38 pays à travers le monde. Il est l'auteur d’une enquête très documentée : Ils ont acheté la presse, nouvelle édition enrichie sortie le 13 janvier 2015, éditions Jean Picollec.

Le débat continue sur Facebook : ils.ont.achete.la.presse et [email protected].

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Dans les autres pays du monde, la presse d’information générale vit essentiellement de deux ressources : ses lecteurs et la publicité. Mais en France, la presse de gauche a le plus souvent ignoré son lectorat, de la même façon qu’elle méprise depuis longtemps le peuple qui regarde TF1 ou se masse dans les stades comme des beaufs, pour y voir des hommes en short taper dans un ballon. Elle veut bien défendre le peuple dans ses articles, mais seulement s’il ne lui est pas demandé de le fréquenter. Quant à la publicité, elle symbolise l’aliénation au système de consommation qu’elle aimerait pouvoir dénoncer, si elle pouvait oublier qu’elle en vit en partie. Du coup, l’essentiel de la presse de gauche française a fait un choix sans équivalent dans les autres pays : vivre le plus possible de deux autres ressources qui lui conviennent mieux : les subventions de l’état et les apports répétés de ses actionnaires pour éponger ses pertes récurrentes. En d’autres termes, l’argent du pouvoir politique d’une part et celui du pouvoir économique d’autre part, à qui elle se vend de plus en plus, au gré des menaces de dépôt de bilan. Difficile dans ces conditions de prétendre rester un contre-pouvoir au capitalisme ou au gouvernement en place, on le comprend. […]

L’essentiel de la presse dite d’opposition est passée au fil des ans, sans l’assumer, du rôle de porte-parole des descendants historiques du « J’accuse ! » à chambre d’écho des acteurs financiers partisans du « J’achète ! » En deux mots, la presse de gauche s’est vendue. Au pouvoir étatique d’une part et à des financiers politisés d’autre part, c’est-à-dire finalement aux mêmes, dans la durée. Soit. Mais elle n’a pas seulement abdiqué son idéal à cette occasion. Elle a aussi refusé d’en parler, de l’admettre, d’en débattre. Pire, elle a voulu présenter ces évolutions comme un succès de sa profession, une garantie d’indépendance, oubliant un peu vite que c’était précisément les financiers qui venaient de mettre le monde au bord du gouffre, à force de transgresser sans scrupule une déontologie fièrement revendiquée par ailleurs. […]

Même naïf et sans diplôme, le citoyen lambda sent bien la vérité cachée en coulisse de la comédie qu’on lui joue. Résultat, il se méfie désormais également des médias et des politiques dont ils sont devenus si proches (72 % des Français n’ont plus confiance dans les médias et 76 % dans les partis politiques, loin derrière toutes les autres formes d’institution, y compris loin derrière les banques, malgré la crise financière mondiale[1]…). Dirigeants de médias et politiques cohabitent de plus en plus souvent dans cette démocratie parallèle où les décideurs conviennent entre eux de l’avenir de tous. Nous montrerons comment on les retrouve liés dans les réseaux d’influence majeurs, moins transparents les uns que les autres, dans ces lobbies et think tanks[2] en tout genre, qui produisent aujourd’hui l’essentiel des réflexions et décisions de la sphère publique. Il ne faut voir dans ce propos aucune thèse du complot ou de la conspiration. Simplement une description de l’exercice réel du pouvoir, dans toute son opacité et sa duplicité actuelles. Ce monde où l’on se coopte plutôt que d’avoir à se soumettre au suffrage universel, ce monde où tout se décide en toute discrétion, à l’abri des citoyens. Ce cinquième pouvoir, celui des réseaux, est aujourd’hui devenu le plus fort ; la presse, quatrième pouvoir pourtant indispensable à toute démocratie, s’éteignant chaque jour davantage sous nos yeux à son profit.

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Extrait de Ils ont acheté la presse - Picollec (17 février 2012)


[1]Baromètre de la confiance politique, TNS Sofres-IEP. Cevipof-Edeman, janvier 2010.

[2]Think tank  : littéralement « réservoir de pensée ». Organisation de droit privé réunissant des experts, vouée à la recherche d’idées nouvelles, et à peser sur les affairespubliques.

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