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Le douloureux constat du faible niveau de rémunération des enseignants français qui mine la profession
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Triste réalité

Jean-Michel Blanquer a évoqué la prime au mérite pour les enseignants lors de sa conférence de rentrée. Ils sont de plus en plus confrontés à des difficultés à la suite du gel des salaires et face à l'inflation.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

Voir la bio »

Atlantico : Ce mercredi, Jean-Michel Blanquer  pendant sa conférence de rentrée a parlé de la prime au mérite pour les enseignants et a déclaré que l' "on a perdu la belle tradition des profs qui s'investissent dans le périscolaire". Comment aborder cette déclaration à une époque où les professeurs sont de plus en plus obligés de se tourner vers le périscolaire ou d'autres activités pour arrondir les fins de mois dans un contexte de gel des salaires et de reprise de l'inflation ?

Jean-Paul Brighelli : Voilà des années que, sous prétexte que l'inflation était contenue, les salaires de la fonction publique stagnent. L'inflation repart à la hausse, mais les salaires, eux, ne bougent pas, au nom de la réduction des déficits. L'écart donc, se creuse. Quand on pense que les pensions alimentaires augmentent chaque année au rythme officiel de l'inflation, on mesure ce qu'un enseignant divorcé finit par payer — et ce qui lui reste, sur un salaire moyen, au bout de 15 ans de métier, des 30 000 € / an qu'il gagne. Soit moitié moins que son homologue luxembourgeois ou allemand, pour un temps de travail qui, contrairement à bien des légendes, est supérieur.
Encore faudrait-il distinguer enseignement primaire et secondaire. Le salaire de l'instituteur mexicain, par exemple, est inférieur d'environ 7000 € à celui de son homologue français. Mais celui du professeur du Secondaire mexicain est supérieur de près de 10 000 € à celui du Français. En jouant, non sans démagogie, sur une politique du "corps unique de la Maternelle à l'Université", les syndicats français sont parvenus à faire globalement baisser le salaire de tout le monde. Que l'on imagine, s'il vous plaît, comment se loge à Paris ou en proche banlieue un instituteur ou un professeur du Second degré débutant, avec 1500 euros par mois — mais les syndicats ont obtenu, en échange de l'abandon du logement sur place des instituteurs, qu'on les appelle "professeurs des écoles". Sûr que cela améliore l'ordinaire.
Du coup, effectivement, les enseignants tentent de joindre les deux bouts en travaillant pendant les vacances dans les centres aérés, en pratiquant l'aide aux devoirs, en succombant aux charmes péniblement tarifés (autour de 9 € de l'heure) de soupapes à gogos comme Acadomia — et autres boîtes à Bac de grande réputation et de faible niveau.
Et je ne parle pas de ceux qui rêvent (et parfois sautent le pas) de quitter l'enseignement, alors même que l'on manque de profs, et que l'on peine à en recruter. Même si le salaire ne fait pas toute l'attractivité d'un métier, il y contribue. Il contribue aussi à dissuader d'y entrer.
Enfin, nombre d'enseignants (des enseignantes surtout) ne travaillent pas à plein temps, afin de s'occuper de leurs enfants. Alors 80% de 1500 euros par mois…
Mieux vaut faire des ménages. Etre serveuse de bar. Ou…

Ce type de déclarations n'est-elle pas au final préjudiciable pour le corps enseignant ? Est-ce vraiment en favorisant le périscolaire et en faisant des primes au mérite que l'on pourra régler le problème de recrutement ?

Je ne suis pas hostile au principe de primes au mérite : encore faudrait-il savoir de quoi l'on parle. Ce ne peut être mesuré sur les résultats hors sol des élèves : telle classe recrutée dans un quartier de cadres supérieurs sera toujours plus performante qu'une classe de milieu défavorisé, ne serait-ce que parce que le rapport au langage, dès le départ, est complètement différent.
En fait, il faudrait que les Inspecteurs se décarcassent, passent évaluer l'enseignant et sa classe en début d'année, et reviennent en fin d'année pour constater les progrès. Sur cette base, oui, on pourrait parler de mérite.
Ajoutons que des primes non intégrées dans le salaire permettent de vivoter un peu mieux, mais que l'addition se paie au moment du départ à la retraite.
Mais il est vrai que ce gouvernement va s'occuper justement de nos retraites…

Enfin, et même si le budget de l'éducation nationale augmente chaque année, est-ce vraiment suffisant pour compenser les dizaines d'années de manque d'investissement qui ont précédé ?

Je m'en voudrais de penser que l'on est ce que l'on gagne… Augmenter les salaires (au moins les salaires de départ) de façon sensible (disons 50% pour commencer) serait salutaire. Mais redonner au métier le lustre qu'il a perdu… Travailler l'opinion pour qu'elle reconnaisse à nouveau le rôle essentiel de celles et ceux qui forment les futurs citoyens — vos enfants et les miens… Ne plus faire de démagogie en insinuant que peut-être il faudrait remettre sur le tapis la question des vacances (ce sont les élèves qui ont des vacances, faut-il le rappeler : ceux qui envient les profs tiennent-ils vraiment à ce que leurs enfants travaillent 46 semaines par an ?)… Ne plus tolérer les réflexions sur ce métier de paresseux — viens donc faire cours une semaine dans un collège lambda, et on en reparlera… Encourager les vraies initiatives, et pas le conformisme pédagogique qui a assassiné déjà deux générations d'élèves… Soustraire les enseignants à la férule de "pédagogues" qui n'ont plus vu d'élèves depuis des lustres… Remettre sur pied une formation (et une formation continue, afin de récupérer les enseignants formés / déformés par les IUFM et les ESPE) qui donne des armes aux futurs maîtres au lieu de les offrir en victimes expiatoires à des hordes de gamins déchaînés — et applaudis par des pédagogues qui pour rien au monde ne s'y frotteraient… Oui, tout cela permettrait de retrouver des vocations. 
En attendant, je conseillerais à des étudiants (et des étudiantes) désireux de gagner leur vie de penser à autre chose — serveur de bar, femme de ménage, ou…

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