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Objectif Europe : le match Paris-Berlin des nouvelles stratégies pour prendre la main sur l’Union
©John MACDOUGALL / AFP

France-Allemagne

Selon les informations du journal Allemand Handelsblatt, Angela Merkel serait arrivée à la conclusion que le soutien à une candidature allemande au poste de président de la Commission européenne, en remplacement de Jean-Claude Juncker, pourrait être plus intéressant que la nomination de l'actuel président de la Bundesbank, Jens Weidmann à la tête de la BCE, notamment pour éviter une crise politique sur un nom qui pourrait attiser le feu de la contestation en Europe.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Comment évaluer les intentions de la stratégie allemande ? Comment analyser celle-ci comparativement à la stratégie d'Emmanuel Macron sur la question européenne ?

Rémi Bourgeot : Plusieurs éléments de nature assez différente se sont effectivement alignés pour faire évoluer la stratégie institutionnelle de Berlin en ce sens. 
En premier lieu, l’image de Jens Weidmann s’est pour ainsi dire démonétisée sur la scène politique allemande depuis le plus fort de la contestation aux politiques d’achats de titres de Mario Draghi, vers 2015. Le Président de la Bundesbank  s’est épuisé à crier au loup de l’hyperinflation, sans offir une quelconque réflexion à même de s’ancer dans l’histoire intellectuelle de l’ordolibéralisme ni d’inspirer un début d’orientation tangible. 
Après la dissipation des craintes quant à un épisode d’hyperinflation, la ligne Weidmann a commencé à apparaître aux yeux de nombreux dirigeants allemands davantage comme un facteur d’explosion de la zone euro en temps de crise que comme un rempart contre l’hyperinflation et la dévalorisation de la monnaie unique. L’attachement à l’euro n’est certes que relatif sur le fond politique en Allemagne, et les taux d’intérêt nuls font grincer des dents autant les légions de retraités que les banques et les compagnies d’assurance. Néanmoins, la plupart des courants politiques, et notamment celui d’Angela Merkel, rejettent le spectre d’un éclatement de l’union monétaire, qu’ils ont tendance à juger contraire aux intérêts économiques de leur pays. 
Par ailleurs, Jens Weidmann agit à l’évidence comme un épouvantail pour l’ensemble des pays du sud de la zone euro. Sa nomination à la présidence de la BCE n’est envisageable du point des pays latins qu’en cas d’avancée, même très modeste, vers la notion d’union fiscale. Cette notion est synonyme de suicide politique sur la scène politique allemande, et c’est avec une aisance déconcertante qu’Angela Merkel a pu balayer le coeur des propositions d’Emmanuel Macron et élgoiner sans cesse l’horizon de ses concessions, minimes dans tous les cas de figure. Là où la plupart des observateurs mondiaux attendaient tout de même une négotiation serrée, l’approche de Paris resposait plutôt sur l’idée que le gouvernement allemand récompenserait généreusement les réformes structurelles françaises par l’acceptation d’un bond en avant fédéral dans la zone euro, allant ainsi dans le sens de l’Histoire universelle. La nomination de Jens Weidmann devait venir rassurer l’électorat allemand, en 2019, quant à la nature stricte de l’union monétaire, après des concessions qui risquaient de s’avérer tout de même non-négligeables vers le parachèvement de la zone euro.
Comme le caractère non-négligeable de la réforme de la zone euro apparait désormais en pointillés, il n’est plus d’un grand intérêt pour Berlin d’imposer Jens Weidmann, dont la nomination apparaît plutôt comme un luxe inutile, et potentiellement dangereux lors de la prochaine crise. D’autant plus que la même approche de resserrement monétaire peut être appliquée dans le fond par un président de la BCE qui serait éventuellement finlandais ou néerlandais, renforçant au passage l’idée que l’Allemagne n’est pas isolée dans sa vision de la gestion monétaire. De plus, en cas de nouvelle crise, un président de la BCE qui serait issu de l’un de ces deux pays pourrait tout de même s’orienter vers des mesures de relance monétaire, sous la pression de la France et du sud de la zone, alors que Monsieur Weidmann aurait à incarner une ligne intransigeante en toute circonstance.

Quels sont les éléments qui ont pu alimenter la réflexion d'Angela Merkel sur cette question ? Des prises de positions de Donald Trump à l'égard de l'Europe, de la situation énergétique qui semble préocupper Berlin, à la première année de mandat d'Emmanuel Macron, comment s'est forgée cette stratégie allemande ? 

Il y a moins de deux ans, Wolfgang Schäuble, alors ministre des Finances, n’hésitait pas à accuser très sérieusement Mario Draghi d’être l’un des principaux responsables de la montée de l’AfD en Allemagne. Bien que les populistes allemands se soient lancés en 2013 sur l’idée de l’opposition à l’euro, le débat allemand s’est à l’évidence déplacé vers la question migratoire depuis 2015, aussi bien en ce qui concerne la dynamique populiste que les divisions au sein du bloc conservateur CDU-CSU. 
Aux Etats-Unis, au tournant de la décennie, le populisme était incarné par la mouvance Tea Party qui avait tendance à se concentrer sur les questions monétaires et sur l’opposition à la politique de relance de Ben Bernanke à la Réserve fédérale. Puis le populisme à la Trump, radicalement différent, a balayé ce mouvement. La situation est évidemment différente en Allemagne, mais la question monétaire qui était au coeur de la montée du populisme ne l’est plus vraiment non plus. Des sujets plus tangibles que les menaces d’hyperinflation, comme la politique migratoire et la politique énergétique, sont au centre du débat politique allemand et nourissent des lignes de fracture qui ne cessent de menacer Angela Merkel. Un contrôle accru sur la Commission européenne pourrait lui permettre d’orienter l’agenda européenne dans un sens qui lui soit plus favorable dans les débats nationaux. L’ultimatum que lui avait lancé en juin dernier le ministre de l’Intérieur Host Seehofer, exigeant qu’elle obtienne un durcissement de la politique migratoire à l’échelle européenne, avait parfaitement illustré la problématique à laquelle est confrontée Angela Merkel dans son rapport au jeu européen.
La nomination d’un allemand à la tête de la commission n’est évidemment pas garantie et dépendra aussi de la réussite ou de l’échec de l’objectif de reconfiguration du parlement européen poursuivi par Emmanuel Macron, mais notons dans tous les cas que les différents noms qui circulent ne seraient pas équivalents. L’élection/nomination de Manfred Weber, qui est chef de fil du PPE au Parlement européen et qui appartient à la CSU bavaroise, mettrait au coeur de l’agenda européen les sujets qui sous-tendent les débats actuels au sein de la CDU-CSU. Celle de Peter Altmayer, l’actuel ministre de l’Economie, constituerait un relai plus direct de la politique d’Angela Merkel à l’échelle européenne. 
En 2014, le gouvernement allemand avait poussé la candidature de Jean-Claude Juncker, alors atteint par son scandale luxembourgeois, malgré l’opposition acharnée de David Cameron. La faiblesse politique du Président de la Commission avait atteint son paroxysme à la suite d’une campagne de dénigrement personnel dans la presse allemande peu de temps après. Le repositionnement allemand sur la Commission a commencé il y a de cela quelque mois avec la nomination très controversée de Martin Selmayr au poste de Secrétaire général de la Commission. Le repositionnement de la stratégie de l’Allemagne sur le jeu institutionnel européen suit précisément l’évolution rapide du débat politique sur la scène nationale.

Comment anticiper ce que pourrait devenir l'Europe et la zone euro dans le schéma qui semble avoir la préférence d'Angela Merkel ? Comment peuvent s'inscrire les ambitions d'Emmanuel Macron dans ce schéma alors que le président français déclarait, ce lundi 27 août lors de son discours à la conférence des ambassadeurs "Je vous le dis avec gravité et avec humilité : ce combat européen ne fait que commencer. Il sera long, il sera difficile. Il sera au centre de l’action de la France tout au long de mon mandat. dans ce schéma ? 

On voit deux approches clairement distinctes. Angela Merkel, sous le coup de la crise politique à laquelle elle est confrontée, tente de tirer parti, tant bien que mal, de la réorientation du débat européen. On l’avait vu sur la crise migratoire lors du sommet de juin dernier où elle s’était même précipitée à annoncer les détails d’accords avec des gouvernements qui ont rapidement démenti. A ce stade, la stratégie d’Angela Merkel passe par une influence très fortement accrue sur les institutions européennes qui peuvent faciliter sa tentative visant à se remettre sans cesse au coeur du jeu politique allemand, où elle apparaît fortement affaiblie. La BCE n’est pas, à ce stade de la crise politique allemande, l’enjeu le plus important pour la classe politique allemande, alors que la Commission peut être d’une plus grande utilité. La Chancelière n’a eu de cesse de réorienter le débat engagé par Emmanuel Macron sur les moyens financiers de la zone euro vers l’idée d’un renforcement des moyens et des prérogatives liées à la Commission. Le discours européen d’Emmanuel Macron reste centré sur l’idéal d’un grand bond en avant institutionnel au sein de la zone euro davantage que sur une stratégie économique de rééquilibrage entre pays. Alors que la politique européenne est en proie à une reconfiguration brutale, la focalisation sur un idéal institutionnel hors de portée risquerait de faire l’impasse sur les intérêts réels de l’économie française, dans un contexte de révolution technologique à l’échelle mondiale.

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