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Le mirage européen : Pourquoi Emmanuel Macron n’a pas appris de ses erreurs
©LUDOVIC MARIN / AFP

A moitié

Alors qu'Edouard Phillipe a procédé à sa rentrée politique en détaillant les mesures du prochain Budget 2019, Emmanuel Macron se concentrera cette semaine sur la question européenne, en se déplaçant en Finlande et au Danemark au lendemain de son discours à la conférence des ambassadeurs, et ce, une semaine avant un déplacement au Luxembourg et la réception d'Angela Merkel à Paris.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Au regard des avancées "contrastées" d'Emmanuel Macron sur le terrain européen, que peut-il espérer de mieux pour les mois à venir dans un climat pré-électoral européen ? 

Christophe Bouillaud : Il est tout de même très peu probable qu’à la veille des élections européennes, les dirigeants européens produisent autre chose que des mesures d’approfondissement techniques de l’Union européenne. En effet, comme les avis entre dirigeants européens sur l’avenir de l’intégration européenne sont divergents, ils auront bien du mal à se mettre d’accord à la veille d’élections où, justement, ces avis comptent auprès de leurs opinions publiques respectives. 
Comme l’a bien précisé le Premier Ministre danois dans son entretien avec le journal le Monde, paru lundi 27 août, l’heure n’est donc pas aux grandes réformes institutionnelles. De fait, il serait vraiment très étonnant que les dirigeants européens s’entendent in extremis pour mettre en place un quota de sièges au Parlement européen attribué à des listes transnationales. Cette réforme-là semble morte et enterrée. De même, s’il y a un budget de la zone Euro, cela sera une part du budget général de l’UE, son niveau sera limité, et il est hors de question d’avoir un « Parlement de la zone Euro » pour le contrôler. Il ne reste guère que le serpent de mer, en discussion depuis 2012, de l’Union bancaire qui devrait se faire, et encore cela dépend beaucoup des aléas sur les marchés bancaires et financiers. De toute façon, cette Union bancaire concernera les problèmes du futur, mais pas ceux qui apparaîtraient dans un avenir proche (problèmes liés à la situation turque ou italienne par exemple). Il y aura sans doute des avancées du côté de l’Europe de la défense. 
Probablement, E. Macron obtiendra tout de même un minimum lui permettant de se présenter devant les électeurs français avec un bilan européen qu’il pourra mettre en «éléments de langage ». 

Quelles ont été les erreurs commises au cours de cette année passée ? En quoi les rapports de force européens peuvent-ils avoir été mal interprétés à Paris ? 

Je ne suis pas sûr que tant d’erreurs que cela n’aient été commises par E. Macron  – en dehors sans doute de la polémique avec les dirigeants italiens actuels, qui radicalise leur opposition à ce qu’il représente par définition (un Français par nature « arrogant »). 
Par contre, il est possible qu’E. Macron soit arrivé trop tard au pouvoir, dans un contexte où il n’avait pas de grands alliés sur lesquels s’appuyer. Il n’avait sans doute pas envisagé, lorsqu’il a établi ses plans européens, qu’Angela Merkel soit reconduite à son poste dans de telles pitoyables conditions. Avec la poussée des droites et extrêmes droites allemandes (AFD et FDP) refusant toute solidarité européenne accrue, il n’y a plus grand-chose à espérer en termes de grande ambition franco-allemande sur ce point. La montée en puissance d’une « MittelEuropa » libérale et nationaliste, qui semble rassembler tous les héritiers de la Double Monarchie d’avant 1914 dans une même définition « fermée » de leur nation respective – de Cracovie à Trieste, et de Salzbourg à Budapest -, n’avait sans doute pas non plus été anticipée. 
Surtout, E. Macron a considéré que sa victoire était le signe d’un retour en force des « européistes » en Europe. Cela lui a peut-être fait oublier deux points : partout en Europe, les partis politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, font plutôt appel pour gagner des électeurs des classes moyennes et popualires aux thématiques nationalistes, souverainistes, xénophobes: l’internationalisme se porte plutôt mal électoralement, et le mondialisme aussi ; en France même, E. Macron n’a été projeté au pouvoir suprême que par la vertu – ou les défauts ? – de notre système institutionnel et électoral. Rappelons qu’il n’a recueilli que 21% des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, alors que la somme des votes des partis plus ou moins eurosceptiques dépassait à ce même tour de peu les 50%. Avec les résultats du premier tour de la Présidentielle, dans le cadre d’un système institutionnel à l’allemande, E. Macron, s’il avait eu le même score, serait comme Madame Merkel à la tête d’une grande coalition de partis centristes, menacé par des partis extrémistes bien représentés au Parlement. Avec un scrutin proportionnelle à l’allemande le FN n’aurait pas que 6 député, et FI en aurait bien plus qu’actuellement.  E. Macron, Premier Ministre, ne songerait alors sans doute lui aussi qu’à contenir l’énervement des électeurs français à l’égard de l’intégration européenne.  Sur un plan moins hypothétique, il faut bien constater qu’en dehors du parti espagnol, Ciudadanos, LREM ne s’est pas découvert beaucoup d’équivalents en Europe. Or, pour faire l’Europe, il faut des alliés… C’est sans doute cela le problème de fond d’E. Macron, vouloir pousser les feux de l’intégration européenne dans une Europe où ceux qui veulent plus d’intégration tel qu’il la souhaite sont en train de devenir électoralement minoritaire. Et ne parlons pas du caractère intenable de sa position affichée sur la crise migratoire. 
Il faut ajouter enfin que les autorités parisiennes n’avaient sans doute pas envisage le scénario italien actuel. Au début de l’année 2018, on parlait encore d’un rapprochement possible lors des européennes de 2019 entre LREM et le M5S. Les événements des derniers jours semblent indiquer que ce chemin se trouve pour le moins bouché. Il est vrai qu’une Italie qui romprait avec son habituelle caractère suiveur en Europe depuis les années 1950 était une hypothèse peu probable a priori. Le « moment Salvini » qui vit la politique italienne n’était pas prévisible, ou du moins, pas à ce point.

Quels sont les risques de voir le projet de "refondation européenne" tourner court au cours des prochains mois, sous les menaces d'une année 2019 qui sera l'occasion d'un grand jeu de chaises musicales pour les postes européens, d'un durcissement italien déjà perceptible aujourdhui, ou encore du Brexit ? 

Comme je l’ai dit, cela m’étonnerait qu’un tel  grand projet de « refondation européenne » puisse voir le jour vraiment avant les élections européennes de 2019, sauf bien sûr dans les « éléments de langage » d’E. Macron. Tout le monde sera d’abord préoccupé d’établir un rapport de force en sa faveur lors de ces élections, ce qui suppose tout de même de dire pendant la campagne électorale ce que les électeurs souhaitent entendre. Or il n’y a sans doute pas un grand désir de plus d’intégration solidaire chez la plupart des électorats européens. 
Par ailleurs, le PPE qui devrait continuer à être la plus importante force du Parlement européen et les dirigeants allemands et leurs alliés ne seront pas du tout désireux de changer de dimension. Pour eux, tout va bien ou presque en Europe – à l’exception de quelques pays rebelles à leur autorité à tous les sens de ce terme. La BCE devrait elle aussi redevenir selon eux une Bundesbank comme les autres. 
Le seul élément encourageant n’est autre que le Brexit. D’une part, pour l’instant, les Britanniques n’arrivent pas à rompre le front uni des autres européens sur ce point. D’autre part, une fois les Britanniques partis, il n’y aura plus de grand pays européen, dont l’économie est dominée par son secteur financier, et donc il pourra être question d’une stratégie économique européenne moins financiarisée ; d’autre part, les partisans de l’Europe-marché n’auront plus de grand pays leader de leur côté.
En plus, il n’est pas certain qu’E. Macron et LREM ne sortent pas très affaiblis des élections européennes. Dans cette hypothèse, ils seront sans doute plus préoccupés de sauver les meubles en France que de réorganiser l’Union européenne. 

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