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Pourquoi le Brexit est irréversible malgré les atermoiements de Theresa May
©Chris J Ratcliffe / POOL / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraëli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Padoue,
Le 22 août 2018

Mon cher ami, 

Quand la gauche allemande devient anti-immigrationniste

Me voici à la fin de mon séjour italien. Dois-je me réjouir d’avoir dérobé chaque jour de longues heures à la politique en m’imprégnant de grande peinture et d’architecture inspirée ? Ou dois-je me reprocher de n’avoir jamais pu m’abstraire complètement de la politique ni du sujet le plus pressant, celui du Brexit?  Dois-je en plus vous avouer que j’ai eu plusieurs échanges avec des amis italiens occupant des postes important dans les milieux bancaires et financiers pour comprendre ce qu’ils anticipent concernant l’euro? 
L’Europe me fait l’effet d’être comme Gulliver, emprisonnée de liens par des Liliputiens. Mais partout, ce grand corps commence à bouger et à se défaire de ce qui entrave sa liberté. Regardez comme l’Autriche vient de recevoir Vladimir Poutine, en se moquant des sanctions amércaines; et Angela Merkel ne peut pas faire autrement, ces derniers mois, que de renouer avec le président russe. Regardez comme le gouvernement italien est en train d’imposer dans la vieille communauté européenne une reprise en main de l’espace de Schengen. Mais le plus étonnant, c’est peut-être ce qui se passe au sein de Die Linke en Allemagne. Sahra Wagenknecht, qui préside le groupe parlementaire au Bundestag, et qui est aussi l’épouse d’Oskar Lafontaine, vient de lancer un mouvement destiné à rassembler la gauche allemande: déçus du SPD et des Verts sont invités à rejoindre la gauche pour se donner les moyens d’une victoire électorale. 
Or Sahra Wagenknecht, que l’on a longtemps surnommée, par dérision ou par admiration, « Rosa Luxemburg », brise un tabou: elle met en cause la politique d’immigration incontrôlée de Madame Merkel au nom de la défense des ouvriers et de tous les individus à bas salaire. Elle dénonce ce qu’elle juge être une politique inspirée discrètement par le patronat pour casser les salaires et la protection sociale. Ce n’est pas la première fois que Sahra Wagenknecht s’exprime de la sorte; mais le fait qu’elle veuille faire du contrôle de l’immigration un thème essentiel du rassemblement de la gauche est un pas franchi. Mettez cette mutation en regard du programme protectionniste de Jeremy Corbyn que nous évoquions il y a quelques jours, et vous vous rendez compte que la gauche européenne est en train de basculer vers une nouvelle social-démocratie, qui sera le pendant du conservatisme à droite. 
Quelle ironie, mon cher ami, qu’il ait fallu attendre, à gauche, qu’une Allemande de l’Est se lève (son mouvement s’appelle « Aufstehen », « Debout ») pour dénoncer la politique d’Angela Merkel. Je vous concède que Sahra Wagenknecht est souvent ennuyeuse à mourir, malgré sa passion oratoire, lorsqu’elle débite des tirades anticapitalistes. Mais elle a du sens politique et j’avoue préférer son authenticité d’ancienne du parti communiste est-allemand au parcours sinueux et obscur d’Angela Merkel, qui s’est drapée de la toge chrétienne-démocrate pour saper de l’intérieur tout conservatisme allemand et imposer un programme progressiste délétère. Nous en reparlerons dans quelques mois mais je suis prêt à parier qu’il s’agit du coup de grâce pour Angela Merkel qui sera désormais attaquée sur sa droite et sur sa gauche pour les décisions qu’elle a prises à l’automne 2015. 

Du sang-froid, Theresa! 

Si vous ajoutez les mauvais sondages qui accueillent Emmanuel Macron à son retour de vacances, vous vous dites que Theresa May n’a au fond aucune raison de trembler à la perspective du Brexit. Partout en Europe, le vieux monde se défait, à une vitesse impressionnante. Il suffit d’attendre, d’être patient, de garder son sang-froid. Regardez ce qui commence à être parfaitement perceptible: les installations de ressortissants de l’UE au Royaume-Uni ayant diminué, du fait du Brexit, les salaires ont commencé à augmenter dans notre pays où le chômage est au plus bas; l’idée selon laquelle une activité industrielle sur place viendra mécaniquement se substituer au déclin des importations venues de l’Union Européenne commence à se répandre; les incertitudes qui pèsent sur l’euro (et sur le dollar) sont telles que le rôle de Londres comme première  place de transaction sur les monnaies s’est renforcée depuis deux ans. Et vous aurez apprécié le communiqué de Goldman Sachs faisant savoir qu’ils pouvaient envisager de ne pas partir de Londres dans les années qui viennent. 
La nouvelle politique de la semaine, qui est tout sauf une surprise, c’est le retour de Nigel Farage à la politique active. Puisque Theresa May est si peu sensible aux faits, puisqu’elle ne croit pas qu’il soit possible d’instaurer un rapport de force avec Bruxelles alors qu’elle dirige le gouvernement d’un pays qui pèse à lui tout seul 13% de la population de l’Union Européenne et 18% de son PIB, Nigel Farage a choisi de reprendre son combat en faveur de la démocratie britannique. Ce qui est intéressant, c’est de remarquer que, non seulement, il ne se précipite pas pour reprendre la direction de UKIP en personne mais il établit des ponts avec les eurosceptiques du parti conservateur. Farage est en train d’ajouter une formule à « Leaves means leave »: il faut s’assurer que « Tory means Tory ». Le chef populiste britannique pense que le combat essentiel va se jouer pour le leadership du parti conservateur. Et, tout en préservant sa liberté, il pense devoir ajouter sa pierre à la construction d’un conservatisme rénové. 
Mon cher ami, il y a tant d’autres sujets dont il faudrait parler pour compléter un tableau évident: quand bien même elle nierait à tout prix la réalité, Theresa May ne peut rien contre les forces profondes qui sont à l’oeuvre: son parti est au plus bas depuis qu’elle a annoncé le plan de Chequers; Jacob Rees-Mogg vient d’envoyer une lettre décastatrice pour le Premier ministre à l’ensemble du parti;  la conférence du Parti à l’automne sera l’occasion d’un grand discours de Boris Johnson; Nigel Farage est de retour avc son immense énergie politique. Et puis, au-delà de la mer, tandis que l’Amérique de Trump affiche une croissance insolente, l’Union Européenne est traversée de contradictions qui apparaissent toujours plus insurmontable. Il est probable que les prochaines élections européennes verront la victoire des partis « illibéraux » de droite et de gauche. 
Je peux me tromper mais j’ai trouvé Michel Barnier nerveux, pour la première fois, lors de sa conférence de presse avec Dominic Raab. Il a par exemple lâché qu’il avait bien conscience que si aucun accord ne se faisait, dans les délais, la Commission Européenne serait blâmée. Il a aussi ajouté qu’il n’était pas sûr de tenir le délai d’octobre, qu’il s’était fixé, sur les termes d’un accord mais qu’il fera tout pour ne pas trop déborder. Et, suprême aveu: désormais, la négociation va être « ininterrompue ». La pression changerait-elle de camp? Madame May sera-t-elle la dernière à s’en rendre compte? 
Bien fidèlement à vous
Benjamin Disraëli

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