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Quand la baisse du nombre d’immigrés européens au Royaume Uni est à l’origine d’une poussée à la hausse des salaires : les brexiteurs seraient-ils en train d’obtenir exactement ce qu’ils voulaient ?
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Effet collatéral

Les entreprises britanniques seraient actuellement confrontées à des problèmes de recrutement, notamment en raison de la baisse de l’immigration en provenance de l’UE, et seraient donc contraintes de recourir à des hausses de salaires pour attirer les candidats.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Selon un article publié par le Guardian, les entreprises britanniques seraient actuellement confrontées à des problèmes de recrutement, notamment en raison de la baisse de l’immigration en provenance de l’UE, à son plus bas niveau depuis 2013, mais également en conséquence d’un niveau de chômage au plus bas depuis l’année 1975. Résultat, les entreprises seraient aujourd’hui contraintes de recourir à des hausses de salaires pour attirer les candidats. Finalement, ne peut-on pas considérer cette situation comme la réalisation d’un objectif recherché par les Brexiters ?

Michel Ruimy : En fait, on peut considérer que les premières conséquences du Brexit commencent à être visibles en Grande-Bretagne, notamment sur le marché du travail. Mais pas uniquement.

En effet, les entreprises britanniques sont actuellement confrontées à un manque de candidatures pour les postes à pourvoir. Une des raisons à cette situation est la diminution de la main d’œuvre disponible du fait de la baisse, notamment depuis le référendum du 23 juin 2016 qui a débouché sur la décision d’un Brexit, des flux de travailleurs en provenance de l’Union européenne à la recherche d’un emploi. La demande est passée de 24 postulants à 20 pour les emplois peu qualifiés, de 19 à 10 pour ceux moyennement qualifiés et de 8 à 6 pour les emplois qualifiés.

Les secteurs les plus touchés sont ceux qui emploient traditionnellement une main d’œuvre étrangère : la santé, l’hôtellerie, la restauration, le bâtiment et la finance. Toutefois, ce panorama risque, à l’avenir, de s’élargir puisque selon une étude du cabinet Deloitte de 2017, un peu moins de la moitié des employés qualifiés non britanniques envisagent de quitter le Royaume-Uni dans les 5 prochaines années.

Dans ce paysage où le volume de candidats s’amoindrit, les entreprises se doivent d’attirer et de conserver les bons éléments notamment en augmentant leurs salaires ou en améliorant leurs avantages sociaux.

Le secteur public n’est pas en reste puisque le Brexit participe à une inflation salariale. A cet égard, la Banque d’Angleterre s’attend à ce que les salaires enregistrent, cette année, leur plus forte hausse depuis 10 ans, qui serait la conséquence du relèvement des prix mais aussi du fait d’un chômage au plus bas depuis 1975. Dès lors, afin de compenser la perte de pouvoir d’achat, plus d’un million de fonctionnaires britanniques verront leurs traitements s’élever de 2 à 3,5 % sur l’année fiscale 2018 - 2019, mettant fin à des années d’austérité budgétaire. En fait, cette initiative, qui coûtera 4 milliards d’euros au budget de l’Etat, vise à encourager les vocations dans des professions sinistrées comme l’enseignement ou la médecine.

Au final, cette situation n’est pas voulue. Mais les Britanniques sont pragmatiques d’autant qu’encore aujourd’hui, bien que le vote ait provoqué un choc indéniable, les Européens continuent à venir au Royaume- Uni. Certes, les arrivées ont fortement ralenti mais elles ne se sont pas pour autant arrêtées. Les Européens qui viennent s’installer outre-Manche restent nettement plus nombreux que ceux qui partent. D’octobre 2016 à septembre 2017, 220 000 citoyens de l’Union européenne sont arrivés et 130 000 sont partis. Le solde migratoire net (90 000) est néanmoins en baisse de 25 % par rapport aux douze mois précédents mais il reste clairement positif. Pour la seule Europe de l’Ouest - les quinze pays membres de l’Union européenne avant l’élargissement de 2004 -, le solde a baissé de moitié mais demeure de 41 000.

Faut-il s’attendre à un retour de bâton d’une telle situation sur l'économie britannique ? Quels pourraient en être les effets de moyen long terme ?

Bien que le gouvernement britannique ait indiqué, à plusieurs reprises, que les européens, qui étaient présents sur le territoire avant le vote du Brexit, pourraient rester après la sortie du pays de l’Union européenne, les saillies contradictoires et constantes des ministres sur le sujet de l’immigration ainsi que le blocage des négociations sur l’accord de sortie, prévue pour la fin mars 2019, n’augurent rien de bon. En effet, les travailleurs européens quittent le pays à cause du climat d’incertitudes auquel ils doivent faire face.

Prenons un exemple, The Independent a révélé, il y a quelques temps, que les exploitations agricoles des Cornouailles avaient du mal à recruter. L’éventuel durcissement de la politique d’immigration décourageait, en effet, de plus en plus de saisonniers, dont beaucoup viennent d’Europe de l’Est, qui, du coup, sont allés offrir leur force de travail dans d’autres pays de l’Union européenne. Si la région accueille actuellement 17 000 ressortissants européens, les fermes n’ont pu embaucher que 65 % des travailleurs dont elles ont besoin depuis le vote du pays en faveur du Brexit. La solution palliative du recours aux travailleurs britanniques est malaisée à envisager car les emplois proposés sont très fatigants et souvent mal rémunérés, donc rebutants. Il manquerait aujourd’hui un peu moins de 10 000 travailleurs agricoles et des champs entiers seraient en train de pourrir. Ainsi, le changement des lois d’immigration concernant les citoyens européens pourrait se traduire, pour ce secteur, par la perte de millions de livres, lié à l’impossibilité pour l’industrie maraîchère de trouver, en compensation, des ouvriers qualifiés britanniques.

Ainsi, sans éclaircissement sur le futur système d’immigration la situation économique d’ensemble se détériorera dans les prochaines années et les employeurs devront faire face à un manque de main d’œuvre, encore plus grand, dans de nombreux secteurs. Il est difficile aujourd’hui d’attirer de nouvelles recrues dans un pays qui ne renvoie plus l’image d’un « eldorado »...

Alors que l’incertitude entourant la finalisation du Brexit demeure, peut-on s’attendre à une prolongation d’une situation ou l’économie britannique affiche encore des résultats plus que satisfaisants, notamment sur le front de l’emploi ? Le catastrophisme n’a-t-il pas été exagéré ?

Aujourd’hui, à la surprise générale, les effets du Brexit sont réduits malgré les incertitudes pesant sur le monde des affaires durant la phase des négociations. Pour autant, il faut être prudent quant à l’analyse et ne pas tirer de conclusions trop hâtives.

Rappelons la chronologie des prochains mois qui est cruciale. Dans environ 7 mois, le Royaume-Uni quittera officiellement l’Union européenne. Un saut dans l’inconnu mais qui est amorti, à ce jour, par l’accord de transition, définissant notamment le statut des citoyens européens au Royaume-Uni : une période de 21 mois pendant desquels le statuquo sera de vigueur. Plusieurs questions doivent être encore tranchées avant le 31 octobre prochain, date à laquelle le Traité de retrait doit être signé par les deux parties. Le 29 mars 2019, le « Brexit Day », marquera le divorce officiel et le début de la période de transition. C’est donc seulement le 31 décembre 2020 que le Royaume-Uni et l’Union européenne ouvriront une nouvelle page de leurs relations économiques et politiques.

Cependant, les conséquences économiques d’une absence d’accord sur le Brexit (« no deal »), qui est encore évitable du fait des pressions politiques britannique et européenne, sont difficiles à évaluer. Qui sera touché ? Sur quelle période ? En première approche, le secteur alimentaire et les approvisionnements en produits pharmaceutiques pourraient être affectés. En tout cas, l’absence d’accord serait unesecousse car elle annulerait la période de transition et sous-entendrait que le pays se soumettra aux tarifs de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), moins avantageux que ceux négociés avec l’union européenne. De plus, l’OMC ne couvre pas en détail l’ensemble des activités de commerce et les services qui représentent un secteur très important au Royaume - Uni.

Une des solutions pour éviter un scénario catastrophe serait de rester dans l’union douanière ou le marché unique. Le problème est que ce sont des sujets qui rencontrent de nombreux blocages auprès des tenants de la thèse d’un Brexit « dur ».

C’est pourquoi, l’avenir économique du Royaume - Uni repose sur la période de négociations qui débutera au mois de septembre. On le voit bien ! Le temps presse car le pays devra trouver une solution viable avant de présenter son accord de retrait lors du sommet européen des 18 et 19octobre.

La question reste maintenant de savoir si Theresa May, qui répète souvent que c’est à elle que le job de sortir le pays de l’Union européenne a été confié, arrivera à sauver le bateau du pire (Brexit sans accord) ou si le naufrage (contexte de politique interne où elle subit la pression de ses collègues conservateurs qui la menacent, à chaque tension, de provoquer un vote de défiance) est inévitable.

Cette incertitude n’est jamais bonne pour les marchés financiers d’autant que, jusqu’à présent, aucun pays ne s’est encore retrouvé dans ce genre de situation.

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