Pourquoi le risque bancaire qui menace l’Europe concerne bien plus l’Italie que la Turquie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Pourquoi le risque bancaire qui menace l’Europe concerne bien plus l’Italie que la Turquie
©YVES HERMAN / POOL / AFP

Politique européenne

Selon Tom Kinmonth ce qui devrait se passer en Italie dans les prochains mois devrait fixer la politique bancaire européenne pour les trois ou cinq ans à venir.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : Alors que la crise monétaire turque a entraîné un vent d'inquiétude sur les positions bancaires européennes dans le pays, le stratégie de la banque ABN Amro,  l'analyste Tom Kinmonth, a indiqué que le risque bancaire européen devait plutôt être observé du côté de l'Italie pour les prochains mois. Quels sont ces risques pointés du doigt ? A quel point le risque italien peut-il peser sur les partenaires européens ? 

Michel Ruimy : Le fond du problème n’est pas le système bancaire italien car si les établissements étaient dans un si piteux état, comment expliquer que les relativement bonnes performances des banques italiennes comparées à celles de leurs consœurs européennes. 

Le secteur bancaire italien, atomisé entre quelque 700 établissements différents, souffrait d’une capitalisation insuffisante car, au contraire des autres pays européens, l’Italie a manqué l’opportunité de sécuriser son système bancaire quand il y avait, à la fois, le besoin et la volonté politique dans l’Union européenne, pour autoriser un soutien public. De plus, les institutions possédaient un niveau élevé de prêts non performants, qui demeurent un frein pour le système bancaire italien et l’économie dans son ensemble car ils exigent davantage de provisionnement et limitent la rentabilité des banques et, par conséquent, leur solvabilité.
Aujourd’hui, les bilans ont été renforcés et les créances douteuses, qui étaient estimées à près de 260 milliards d’euros à fin 2017, commencent à baisser mais tout n’est pas revenu à la normale. Cette diminution suggère qu’après une période prolongée de stress économique considérable, le secteur bancaire italien est à un moment charnière puisque que le taux de formation de nouvelles créances douteuses a désormais atteint son niveau d’avant la crise de 2007.
Ce constat est toutefois à modérer. En effet, le problème des créances douteuses est plus prégnant pour les banques de second rang que pour les grands groupes bancaires italiens qui semblent avoir surmonté cet obstacle. Cette situation s’explique par la rentabilité supérieure et plus diversifiée, ainsi qu’au meilleur accès aux marchés des actions, des grands établissements du pays, qui leur permettraient de plus facilement absorber l’impact de la dépréciation des expositions problématiques. Dès lors, par contraste, elles présentent une rentabilité et des niveaux de provisionnement plus modérés. 
A cela s’ajoutent une marge de manœuvre plus limitée du gouvernement pour soutenir son système bancaire ainsi que des finances publiques mises à rude épreuve, empêchant, par là même, le gouvernement italien d’apporter un vaste soutien comparable à ce qu’ont mis en place l’Espagne ou l’Irlande. 
Considérés conjointement, ces facteurs expliquent pourquoi les banques italiennes de second rang subissent encore une pression considérable qui fait contrepoids à l’amélioration macroéconomique. Plus récemment, le Mécanisme européen de surveillance unique, le superviseur des principaux établissements de crédit en zone euro, a accru la pression en demandant aux banques d’accroître leur couverture des créances douteuses afin de renforcer la résilience du système bancaire européen face aux futures crises financières. Conscient du problème, le gouvernement italien a pris des mesures pour faciliter et accélérer la cession de ces créances douteuses. Les mesures mises en œuvre par le gouvernement italien pour consolider les banques en difficulté ont aidé à stabiliser le secteur et à donner plus de visibilité sur la gestion du risque bancaire. 
C’est pourquoi, on peut considérer, à présent, que le risque systémique lié au secteur bancaire italien a sensiblement diminué. Il n’a pas pour autant disparu notamment pour les autres établissements européens car il faut bien comprendre, par exemple, qu’une banque en France ne consent pas de crédits uniquement à des entreprises ou à des ménages français, n’investit pas uniquement dans la dette souveraine française. Elle peut avoir des activités ou des filiales à l’étranger. L’exposition au reste du monde représente donc l’ensemble des créances des banques d’un pays envers des entités étrangères. Plus les institutions financières d’un pays ont de créances envers des pays étrangers en difficulté, plus elles sont fragilisées en cas de crise graves dans ces pays (phénomène de contagion).
De manière plus précise, face au « risque Italie », les banques allemandes et françaises sont les entités les plus exposées en Europe, les établissements français davantage que les établissements allemands, notamment via leurs filiales (la BNP Paribas contrôle la Banca Nazionale del Lavoro et le Crédit agricole s’est renforcé dans la péninsule en 2016, via le rachat de Pioneer par sa filiale de gestion d’actifs Amundi), qui sont essentiellement financées localement, via les dépôts des particuliers transalpins. L’exposition directe des banques françaises est donc limitée. Néanmoins, compte tenu du poids du pays, une grave crise italienne ne manquerait pas de les affecter indirectement.

En quoi la situation italienne est-elle si importante ? Comment éviter le retour d’une crise bancaire en Europe ?

Tandis que les finances publiques italiennes se sont améliorées en ligne avec la bonne trajectoire des dernières années, le nouveau gouvernement italien durant sa campagne électorale a souhaité simplifier la fiscalité et le système des retraites et introduire un revenu universel. Des dépenses pharaoniques de nature à alourdir nettement les déficits publics alors que le pays est déjà lesté par une importante dette publique (130% du Produit intérieur brut). En cas de mise en œuvre de ces initiatives, les investisseurs réclameraient une prime de risque, alourdissant encore plus la charge de la dette. 
Même si l’impact de la remontée des taux d’intérêt ne se diffuse que peu à peu sur le stock de dettes d’un Etat, avec un effet étalé sur plusieurs années, cette hausse serait un poison lent pour le pays. Dans ces conditions, la situation financière du système bancaire est au cœur d’un pari sur l’économie italienne. En effet, les banques sont très sensibles à une augmentation des taux d’intérêt et notamment d’une hausse du « spread » (écart de taux entre l’Italie et l’Allemagne), qui s’approche désormais de la barre symbolique des 300 points, car elles abritent d’importants volumes d’obligations d’Etat dans leurs portefeuilles de titres. 
Déjà, la publication du contrat de gouvernement entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord et quelques déclarations de certains de ses membres ont fait dévisser les cours boursiers des banques. Dans le contexte général actuel d’aversion au risque, la sensibilité de l’euro au spread s’est accrue par rapport à la période de tensions du mois de mai et des attaques spéculatives contre l’Italie ont poussé la parité eurodollar à son niveau de juillet 2017. En effet, les opérateurs sont aujourd’hui plus inquiets sur le sort du pays compte tenu de ses difficultés à boucler son budget 2019 et le risque de la tenue de nouvelles élections. 
Voilà pourquoi l’Italie est en danger. Et, avec elle, l’ensemble de la zone euro. Car ne nous leurrons pas : une nouvelle crise italienne sera bien plus dévastatrice pour la zone euro que les multiples crises grecques de 2010 à 2015. Non seulement car le PIB italien représente un peu plus de 15% de celui de la zone euro contre 1,5% pour celui de la Grèce mais aussi parce que la dette publique italienne atteint 2 300 milliards d’euros contre 320 milliards d’euros pour celle de la Grèce. 
Les problèmes des banques viennent donc de l’incertitude politique et de la trajectoire budgétaire. Bien qu’elles aient affiché un niveau de bénéfices satisfaisant au premier trimestre grâce notamment grâce à leurs efforts de restructuration, elles redoutent les menaces de bras de fer avec l’Europe. Car la dette publique, détenue aux deux tiers par les Italiens, constitue, par son ampleur, un danger pour le pays, au vu d’une croissance structurelle famélique, insuffisante pour compenser la charge annuelle d’intérêts de la dette qui représente, chaque année, environ 4% du PIB italien et qui pose la question de la capacité de remboursement italienne ! 
Face à la spéculation, la Banque centrale européenne, qui continue d’acheter, chaque mois, 30 milliards d’emprunts des Etats de la zone euro, mettrait vraisemblablement tout en œuvre pour éviter un « scénario catastrophe », notamment via des achats massifs d’obligations, destinés à contenir les taux d’intérêt à long terme. Mais en cas de tensions entre l’Italie et l’Union européenne sur les questions budgétaires, certains spéculateurs pourraient être tentés de tester la détermination de l’Italie mais également celle de la BCE.
Une autre solution consisterait en une augmentation significative des subventions publiques au système bancaire, financée par endettement, en infraction avec les règles budgétaires européennes. Dès lors, ni la BCE, ni la Commission européenne, ni l’Allemagne ne pourraient fermer les yeux. Mais, que pourraient-ils vraiment faire ? Punir l’Italie ? Le risque politique serait tel qu’une coalition italienne pourrait bien faire le pari, à tort ou à raison, qu’au-delà des gesticulations, on se hâterait de ne rien faire à Bruxelles ou à Berlin.
La sortie définitive de la crise de la dette publique n’est pas pour demain.

D'un point de vue politique, quels sont les accords qui peuvent faire sens pour permettre à la fois de concilier les positions de Rome, mais également celles de ses partenaires ? Une telle conciliation est-elle seulement envisageable ? 

La vraie question, à long terme, pour l’économie italienne est de savoir si elle parviendra à élever son potentiel de croissance. Alors que le chômage reste massif et que le pays a un réel problème de compétitivité-coûts et une faible croissance de la productivité, le nouveau gouvernement doit impérativement mettre en œuvre des réformes pour insuffler une nouvelle dynamique. 
De plus, il faut bien comprendre que la nouvelle situation politique italienne n’est pas un accident de parcours qui restera circonscrit à la péninsule. Elle porte, en elle, les carences structurelles de la zone euro. Alors que cette dernière est censée constituer un havre de stabilité, elle s’est finalement engoncée dans une croissance molle et dans une fragilité économique, politique et sociale. Pour faire une analogie avec les bulles financières, je dirais que la zone euro est, elle aussi, devenue une « bulle » c’est-à-dire un fossé entre ses promesses et ses réalisations, constituant par là même une « machine à crises ». Cette carence d’efficacité de la zone euro rappelle un problème fondamental. Les fondations de l’Union économique et monétaire (UEM) sont bancales et celle-ci ne sera crédible que lorsqu’elle sera devenue une zone monétaire optimale c’est-à-dire parfaitement unifiée à tous points de vue. C’est d’ailleurs ce qui était prévu dans le traité de Maastricht, mais qui a été oublié.
La difficulté est que, depuis quelques années, les populations de la zone euro et leurs dirigeants sont devenus de plus en plus réticents à l’idée d’une union fédérale. Encore plus préoccupant, un sentiment europhobe se répand comme un virus et gagne de plus en plus de pays et de citoyens. La construction européenne est devenue le bouc émissaire idéal et stigmatise toutes les rancœurs. Autrement dit, non seulement l’Europe n’est pas devenue la terre de croissance et d’emplois attendue mais, en plus, dans l’inconscient collectif, elle est désormais perçue comme la mère de toutes les rigidités et de toutes les inefficacités budgétaires et économiques, avec en toile de fond un chômage de masse endémique. 
Ceci étant dit, du fait de son poids au sein de la zone, l’Italie risque de créer des tensions car elle entend revenir à l’époque précédant le traité de Maastricht en renégociant les normes européennes qui ne lui conviennent pas. Cette volonté pourrait avoir de graves conséquences économiques. Toutefois, la coalition a déjà modifié, à plusieurs reprises, son programme, notamment sa demande à la Banque centrale européenne de supprimer 250 milliards d’euros de dette italienne. L’hypothèse d’engager un bras de fer avec la BCE n’a pas été envisagée. C’est sans doute ce qui explique qu’après un mouvement de panique, les marchés aient retrouvé un peu de sang-froid. 
Il faut donc être clair. L’UEM telle que nous la connaissons aujourd’hui risque de disparaître si une prise de conscience notamment en Italie, en France et en Allemagne ne se concrétise pas afin d’engager la zone euro vers une harmonisation des conditions fiscales et réglementaires, avec un budget fédéral efficace mais également avec moins de rigidités structurelles. Cela conduira alors à l'avènement d’une zone monétaire plus restreinte, avec une vraie intégration, une véritable union fédérale, des règles strictes et une entraide à toute épreuve. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !