Chute des cours de l’Or : comment le métal jaune est en train de perdre son rôle de valeur refuge <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Chute des cours de l’Or : comment le métal jaune est en train de perdre son rôle de valeur refuge
©Reuters

En baisse

Le prix de l'once d'Or est tombée sous le seuil de 1200 $, atteignant ainsi son niveau le plus bas depuis deux ans.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : En tombant sous le seuil des 1200 $, le prix de l’once d’Or atteint son niveau le plus bas depuis deux ans sur la bourse de New York. Alors que les tensions géopolitiques, la guerre commerciale ou la hausse de l'inflation constatées depuis ces dernières semaines pourraient être considérées comme des moteurs de la hausse de l’Or, comment peut-on expliquer un tel mouvement ?

Michel Ruimy : Le prix de l’once d’Or n’a cessé de baisser depuis le début de l’année. En chutant d’environ 10%, il a touché son plus bas niveau depuis près de 8 mois voire plus, depuis pratiquement 2 ans.

Devant les incertitudes géopolitiques et économiques actuelles, son évolution au cours des derniers mois est une des grandes surprises des marchés financiers. En effet, jusqu’à présent, l’Or nous avait habitués à jouer son rôle de « valeur refuge ». Or, contrairement à toutes les règles de marché, alors que nous sommes en pleine « guerre » commerciale, en situation de vives tensions avec des pays émergents, comme la Turquie, l’Argentine, le Brésil et l’Ukraine, et en pleine crise politique en Europe, je pense à la crainte d’un Brexit dur et à la situation italienne, l’Or n’en profite pas car, depuis quelques mois, le métal précieux est notamment sous pression de ventes spéculatives.

Les grands fonds spéculatifs sont, en effet, totalement sortis du marché de l’Or car celui-ci est moins rentable du fait de l’atonie des cours. Les dernières statistiques de la Commodity Futures Trading Commission aux Etats-Unis montrent que les investisseurs sont peu nombreux à envisager une remontée du cours de l’Or. Ils délaissent même les fonds indiciels cotés, adossés à l’Or.

Comme d’habitude, on trouvera des explications a posteriori. Mais comme d’habitude aussi, elles ne sont guère convaincantes. La hausse du dollar américain pèse mécaniquement sur l’Or puisque ce métal est libellé dans cette devise. De même, l’élévation des taux d’intérêt américains, dans un environnement macroéconomique où le taux d’inflation rebondit mais reste encore sous contrôle et, même parfois, trop bas dans certaines zones géographiques comme le Japon ou l’Europe, rend l’Or moins attractif. Tout ceci se traduit par un niveau de demande d’Or qui est au plus bas depuis la crise financière de 2008. Seules, les banques centrales restent acheteuses, démontrant la pertinence de l’Or en tant qu’actif stratégique pour les investisseurs institutionnels.

Dans un passé récent et un présent imparfait, nous pourrions avancer une autre raison : le rôle particulier que ce métal joue dans l’économie bancaire turque. La banque centrale turque, un des plus gros acheteurs d’Or dans le monde en 2017, autorise, en effet, les banques commerciales à remplir leurs exigences en matière de seuils de réserves obligatoires à l’aide de métal jaune. Le système bancaire turc dispose ainsi d’importantes quantités d’Or qu’il peut vendre pour soutenir la livre turque, qui a perdu près de 45% depuis le début de l’année. La pression baissière sur l’Or pourrait également s’expliquer par des cessions qu’auraient pu effectuer la banque centrale.

En fait, ce qui se passe aujourd’hui me rappelle que l’ancien président de la Federal Reserve, Ben Bernanke, avait déclaré, un jour, au Congrès américain que personne ne comprenait vraiment l’Or. Déjà, plus d’un siècle auparavant, Nathan Meyer Rothschild, le banquier de l’ère victorienne et magnat des métaux précieux, avait affirmé la même chose mais de manière bien plus spirituelle : « Je pense qu’il y a deux hommes qui comprennent vraiment la valeur de l’or : un employé inconnu dans le sous-sol de la Banque de France et l’un des directeurs de la Banque d’Angleterre. Malheureusement, ils ne sont pas d’accord ».

Faut-il plus en conclure que les marchés financiers ne témoignent pas de risques importants pour le futur proche ou que l’Or comme placement pourrait avoir perdu son statut de valeur refuge ?

L’existence des risques peut s’appréhender notamment par la volatilité des cours des marchés financiers, qui peut être mesurée par un indicateur, le VIX - CBOE Volatility Index - dont les fluctuations traduisent concrètement la nervosité des acteurs de marchés.

Mais, dans un été plutôt calme sur les marchés boursiers, la déconfiture de la livre turque illustre les incertitudes avec lesquelles les opérateurs doivent composer. En soi, la situation en Turquie ne représente pas un grand risque pour la stabilité financière européenne voire mondiale car son économie pèse bien peu au niveau international. C’est l’accumulation des incertitudes qui inquiète les investisseurs, qui ont, malgré tout, relativement bien digéré la passe d’armes commerciale entre les États-Unis et ses partenaires commerciaux, les négociations sur l’Alena, la chute du yuan et les sanctions américaines vis-à-vis de l’Iran, la Russie et la Turquie.

Toutes ces tensions, qui représentent un risque pour la croissance mondiale et l’inflation, incitent à la prudence et à la vigilance. Il semble qu’aujourd’hui, la sphère politique domine le monde économique. En effet, au plan microéconomique, la publication, dernièrement, des résultats des sociétés ont montré globalement une situation satisfaisante des entreprises. En d’autres termes, si le niveau macroéconomique se porte mal, le niveau microéconomique, lui, se porte plutôt bien. C’est pourquoi, depuis environ 4 mois, le niveau du VIX se situe entre 10 et 18, ce qui signifie, pour l’instant, que le marché évolue dans un climat de relative confiance avec une faible volatilité.

Or, les risques politiques, qui sont difficiles à quantifier, peuvent créer rapidement de la volatilité à court terme mais aussi avoir des conséquences à plus long terme, en particulier sur la confiance des opérateurs, sur les plans d’investissement des entreprises, sur le processus de normalisation monétaire des banques centrales… Une des mesures de cette aversion au risque peut s’appréhender au travers des sorties de capitaux. Depuis le début d’année, les fonds d’investissement en actions européennes ont enregistré de fortes sorties nettes.

Par ailleurs, une valeur refuge est un actif dont le prix est négativement corrélé voire pas corrélé du tout à celui d’un autre actif (ou portefeuille d’actifs) pendant certaines périodes bien spécifiques, et non en moyenne, notamment en période de tensions sur les marchés financiers.

Concernant l’or, une analyse économétrique de ses cours montre que le comportement de cet actif diffère selon le régime de stress financier. En période de stress modéré, le métal précieux est bien une valeur refuge dont le rendement est négativement corrélé aux rendements boursiers. En revanche, en période de stress extrême, les rendements boursiers et le rendement de l’Or sont généralement positivement corrélés, probablement parce que les investisseurs sont alors contraints de liquider une partie de leurs positions sur l’Or, actif liquide, pour couvrir leurs pertes sur d’autres classes d’actifs.

L’évolution récente du cours de l’Or semble aujourd’hui peu compatible avec l’affirmation que ce métal est aujourd’hui une « valeur-refuge ». Malgré la présence de facteurs de risque, les investisseurs préfèrent d’ailleurs se replier vers les bons du Trésor américain, le dollar, le franc suisse ou le yen.

Qu’est-ce que la baisse des cours de l’Or pourrait avoir comme caractère prédictif sur les autres classes d'actifs ?

Ou, autrement dit, si l’Or ne joue plus son rôle de « valeur refuge », quels sont les autres supports qui pourraient marchés qui jouent ce rôle ?

Sur les derniers mois, à chaque évènement majeur, et notamment à chaque surenchère concernant la « guerre » commerciale entre les Etats-Unis et ses partenaires commerciaux ou à chaque tension géopolitique entre la Corée du Nord et les Etats-Unis, au Moyen-Orient…, ce sont toujours les mêmes actifs qui voient leurs cours monter : le yen, la devise japonaise, les bons du Trésor américains, les Treasury bills, les emprunts d’état allemands, le Bund, et dans une certaine mesure, récemment le marché « actions » des valeurs technologiques, le Nasdaq.

D’un point de vue historique, l’Or a prouvé qu’il était un support fiable, en tant que réserve de valeur, en période de montée de l’inflation, d’élévations graduelles des taux d’intérêt, de la faiblesse du dollar voire une pénurie de matières premières… Or, depuis quelques semaines, les corrélations traditionnellement admises entre les différents actifs ne sont plus aussi robustes que par le passé. Cette situation souvent le signe annonciateur d’une hausse générale de la volatilité des actifs.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !