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Journée mondiale des gauchers : faits scientifiques et idées reçues, voilà les vraies différences entre droitiers et gauchers
©DIARMID COURREGES / AFP

Bonne fête !

Lundi 13 août 2018, c'est la journée internationale des gauchers et une personne sur dix dans le monde est concernée (bonne fête à vous). L'occasion de revenir sur certaines théories et faits scientifiques sur la différence entre gauchers et droitiers.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : L'une des différences les plus importantes entre gauchers et droitiers se situe dans le cerveau. Un droitier utiliserait majoritairement l'hémisphère gauche et inversement pour un gaucher. Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ? Quelle en est la conséquence ? 

André Nieoullon : L’organisation anatomique et fonctionnelle du cerveau humain est d’une complexité infinie et en dépit de progrès tout à fait considérables nous sommes encore loin de comprendre comment la pensée émerge des réseaux de neurones ou encore comment est-on à même de restituer avec une précision parfois hallucinante des souvenirs remontant à la plus petite enfance. Mais s’il est un fait avéré, c’est bien celui de la préférence manuelle, qui permet globalement de situer un individu donné dans le « clan » très majoritaire des « droitiers » ou de celui des « gauchers » et autres ambidextres représentant selon les études entre 10 et 13% des personnes, quelle que soit la population examinée. En gommant ainsi les différences interculturelles, il s’avère de fait que c’est bien la commande cérébrale qui est en question et les connaissances que nous avons aujourd’hui de l’organisation anatomique du cerveau utilisant les outils d’investigation les plus modernes de l’imagerie cérébrale fonctionnelle, par exemple, vérifient que cette préférence manuelle est en rapport avec la « dominance » de l’un des deux hémisphères  cérébraux par rapport à l’autre. Ainsi, chez les droitiers c’est bien l’hémisphère gauche qui va préférentiellement diriger la main et le pied droits et permettre des habiletés fines de ces membres, et inversement chez les gauchers. Mais ce que nous savons de longue date, notamment en rapport avec l’observation de patients cérébro-lésés, c’est que les deux hémisphères cérébraux ne sont pas équivalents et qu’ils prennent en charge plus ou moins sélectivement des fonctions particulières et qu’en tout état de cause ils collaborent avant tout de façon très efficace. En d’autres termes, avec les deux hémisphères cérébraux c’est beaucoup mieux qu’avec un seul !

Ainsi les performances motrices et donc la préférence manuelle dans le domaine de la vie quotidienne mais aussi culturel, artistique ou encore sportif d’un individu, à titre d’illustrations, ne sont-elles que l’expression de facultés impliquant les deux lobes de notre cerveau, le « cerveau gauche » étant considéré comme plutôt en charge de la rationalité et le « cerveau droit » de la dimension émotionnelle qui colore nos comportements. Mais il existe bien d’autres facteurs de ces actions impliquant notamment la perception de l’environnement, en particulier par la détection des informations visuelles dans l’espace, ce que nous nommons les fonctions visuo-spatiales, qui permettent une grande réactivité et une adaptabilité instantanée de nos comportements. Considérant alors que la détection des informations visuelles et leur localisation dans l’espace est plutôt l’apanage de l’hémisphère droit, alors il est possible de comprendre pourquoi ce que l’on désigne par le « temps de réaction » lors de la détection d’un stimulus visuel à l’origine de notre réactivité, de l’ordre d’un tiers de seconde, se trouve statistiquement légèrement plus court chez les gauchers que chez les droitiers. Ceci est considéré comme leur confèrant un avantage dans les situations où la réactivité constitue un élément déterminant de la réussite, par exemple (mais pas seulement) dans de nombreuses épreuves sportives. Mc Enroe, Nadal et autres Griezmann, Maradona ou Messi, en sont des illustrations parmi les performeurs les plus connus, mais c’est surtout dans les sports les plus rapides comme l’escrime ou le ping-pong, par exemple, que les différences sont les plus significatives, même si les champions sont moins connus.

Une autre caractéristique de l’hémisphère droit est liée au traitement des aspects préférentiels des émotions, conférant une sensibilité considérée comme plus forte aux personnes utilisant préférentiellement la main gauche, particularité susceptible de rendre compte du fait qu’il est possible –c’est une idée très répandue- que la proportion de gauchers soit plus forte parmi les artistes. Léonard de Vinci, Michel-Ange, pour ne citer que les plus célèbres des gauchers en sont une illustration, mais c’est peut-être aussi du fait des fonctions visuo-spatiales évoquées ci-dessus.

Enfin, ce que nous montrent les données les plus récentes des neurosciences, confirmant par-là pas mal d’études plus anciennes, c’est que le gaucher paraît utiliser mieux ses deux hémisphères cérébraux que le droitier, et surtout la coopération entre ces deux hémisphères pour une meilleure efficacité. Ceci est renforcé par des études anatomiques qui montrent que les connexions neuronales entre les deux hémisphères utilisant ce que l’on nomme le « corps calleux » reliant les deux lobes du cerveau, sont statistiquement plus volumineuses (de l’ordre de 11%) chez les gauchers par rapport aux droitiers… Par conséquent, le cerveau des gauchers n’est pas « inversé » par rapport à celui des droitiers, contrairement à une idée simpliste encore trop souvent répandue ; et les données sur le langage le vérifient largement.

  1. Cette organisation cérébrale différente semble avoir un impact sur le langage. En effet, le traitement cérébral du langage serait inversé chez eux. Qu'est-ce que ça veut dire ? 

Voilà un point extrêmement important, largement remis en question par les données récentes des neurosciences. De fait, la latéralisation du langage est l’un des concepts les plus solides sur l’organisation du cerveau, depuis Broca, à la fin du XIXième siècle, et les données de l’imagerie cérébrale l’ont vérifiée en grande partie. C’est donc bien l’hémisphère gauche qui permet le langage, en particulier l’articulation des mots, et donc la communication verbale entre les personnes. Pendant un temps il a alors été imaginé que chez les gauchers cette localisation du langage était inversée, et donc que la préférence manuelle gauche était assortie d’une implication de l’hémisphère droit dans la parole. Et il était même avancé que lors d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) impliquant l’hémisphère gauche, les gauchers bénéficiaient d’une certaine préservation du langage… Aujourd’hui nous savons que ceci n’est globalement pas le cas. Ainsi, si chez 96% des droitiers le traitement du langage implique préférentiellement l’hémisphère gauche, il en est de même chez 90% des gauchers, qui traitent le langage comme les droitiers, révélant par-là que préférence manuelle et dominance hémisphérique pour le langage ne sont pas liées. C’est donc seulement une très faible population d’individus gauchers qui aurait une localisation du langage impliquant préférentiellement l’hémisphère droit, 15% des gauchers présentant une forme de gestion « bilatérale » du langage dès lors susceptible d’expliquer les récupérations plus rapides lors d’AVC. Du coup, la moindre latéralisation des fonctions langagières apparaît comme un avantage vis-à-vis de telles pathologies. Cela étant, le langage ne se réduit pas à l’articulation des mots et, chez les gauchers comme chez les droitiers l’hémisphère droit participe aussi à la communication verbale, en particulier parce qu’il module les aspects « musicaux » de la parole, ce que l’on nomme la « prosodie ». Mais c’est peut-être aussi parce que le gaucher apparaît comme un « handicapé » chronique dans un mode de droitiers qu’il a développé depuis son plus jeune âge une capacité d’adaptation plus forte que le droitier, et ainsi qu’il peut mettre à profit cette adaptabilité accrue au service d’une meilleure récupération neurologique… A voir !

  1. Même si des efforts sont faits dans ce domaine, le monde semble pensé pour les droitiers avant tout (ciseaux, ouvres boites, leviers de vitesses…). Quel impact cela a-t-il sur un gaucher ? L'étant vous-même, vous sentez-vous contrarié ? 

Gaucher je suis, gaucher je reste, et je le revendique ! Mais je confirme bien volontiers que la dictature de la droiterie marginalise la gaucherie, qui est réduite à s’adapter au monde des droitiers. Sans tomber dans des considérations judéo-chrétiennes selon lesquelles « la gauche, c’est le malin » -ce qui se retrouve dans de très nombreuses représentations du bien et du mal en particulier dans les peintures de la Renaissance, ou encore rejoindre le bon sens populaire qui pointe vers ceux « qui se lèvent du pied gauche » ou « qui passent l’arme à gauche », il est de fait que longtemps et encore aujourd’hui dans certains pays, les gauchers restent des « contrariés » de nos sociétés. Nous sommes dans un monde de droitiers et, de façon anecdotique, il est facile de repérer un vrai gaucher, ne serait-ce qu’au restaurant où il va discrètement inverser ses couverts ou l’emplacement de sa tasse du petit déjeuner logiquement placée par les droitiers à la droite du service. J’en parle naturellement d’expérience… Les gauchers se reconnaissent entre eux et d’ailleurs organisent parfois des assemblées qui leur sont propres, comme par exemple des compétitions de golf qui leur sont réservées.

Plus sérieusement, les temps ne sont pas si lointains où l’instituteur ou l’institutrice avait à cœur de « rééduquer » la gaucherie en n’autorisant pas l’élève à écrire de la main gauche ! Et les parents obligeant de manger de la main droite. Par chance, je n’ai pas subi cette contrainte mais chacun d’un ancien monde qui a un jour utilisé la plume Sergent major et la bouteille d’encre se souviendra avec une certaine émotion des pâtés que peut entraîner une main encore malhabile sur un cahier… De fait, ce sont les gauchers qui ont « inventé » l’écriture inversée, et cette main placée au-dessus de la ligne permet ainsi à la fois d’éviter les désastres de l’encre qui coule et surtout de pouvoir voir ce que l’on vient de produire. D’ailleurs, nombre de gauchers des jeunes générations qui n’utilisent évidemment plus la plume Sergent major continuent à utiliser la stratégie de l’écriture inversée…

Et, au-delà de l’écriture, comme vous le mentionnez, chacun qui verra un gaucher utiliser des ciseaux, un couvert à poisson ou un tire-bouchon, pourra vérifier son inadaptation au monde qui l’entoure, mais aussi son immense faculté d’adaptation. Et du coup cela est devenu une force, comme je l’ai évoqué ci-dessus. Dès lors, dans une perspective darwinienne, si les gauchers persistent dans notre société en dépit des pressions sociales, c’est vraisemblablement grâce à cette formidable capacité d’adaptation. Non, définitivement les gauchers n’ont pas le cerveau à l’envers et plutôt que de se placer en victimes ils ont tiré avantage de ce petit trait qui les caractérise. J’oubliai… Au risque de ne pas être une fois de plus politiquement correct, et sans vouloir stigmatiser quelconque, je rappelle que, globalement, chez les droitiers les femmes réagissent légèrement plus lentement que les hommes aux stimuli visuels, à quelques milliseconde près. Il est alors de la fierté des gauchers de pouvoir dire qu’en termes d’égalité entre les genres les gauchers sont exemplaires car cette différence de réactivité n’existe pas entre eux ! De l’avantage d’être gaucher qui, en plus, réagissent quasiment à la même vitesse des deux mains, ce qui n’est pas le cas de la plupart des droitiers plus rapides de leur main droite seulement. Et que vive la Journée internationale des gauchers !

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