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#Whitegaucho : le symptôme d’une gauche aux abois
©MIGUEL MEDINA / AFP

Réseaux sociaux

L'intitulé "Whitegaucho" est récemment apparu sur les réseaux sociaux. Une "gauche blanche", qui ne prendrait pas suffisamment en considération l’oppression subie par les minorités en France, est pointée du doigt. Que révèle cette fracture ?

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Depuis plusieurs jours, les réseaux sociaux sont utilisés, au travers de l'intitulé "Whitegaucho", pour pointer du doigt une "gauche blanche" qui ne prendrait pas suffisamment en considération "l’oppression" subie par les minorités en France, tout en l'accusant de racisme et de duplicité, le plus souvent en référence à la "gauche républicaine". Si l'utilisation de cette expression reste minoritaire au sein des échanges, et qu'elle a pu être reprise et utilisée par des opposants de l'ensemble du spectre politique, que peut révéler cette fracture de plus en plus visible qui frappe la gauche en France ? Comment évaluer l'importance des mouvements défendant une telle vision ? 

Vincent Tournier : Le lancement de ce hashtag #Whitegaucho, ainsi que les réactions qu’il suscite, sont symptomatiques des recompositions idéologiques au sein de la gauche. Utiliser cette étiquette pour dénigrer son adversaire confirme qu’une nouvelle ligne de fracture se dessine autour de question de la race, même si, à ce stade, il est difficile de savoir quelle sera la postérité de ce label : va-t-il entrer dans les mœurs ou disparaître dans les prochaines 24 heures ? 
Pris à la lettre, ce hashtag signifie qu’être de gauche n’est pas en soi un critère suffisant pour appartenir au camp du Bien : celui qui est « de gauche » tout en étant blanc est condamné à rester dans l’erreur, à ne pas comprendre les vrais enjeux, à ne pas être à l’écoute de ceux qui souffrent. Cela signifie donc que la race est le critère le plus important pour situer les individus, bien plus important encore que l’appartenance sociale ou les choix politiques. En somme, la race surdétermine tout le reste, comme on disait autrefois que la classe sociale surdétermine la politique. Cette grille de lecture racialiste n’est pas surprenante car on voit bien que les revendications fondées sur la race ont progressé depuis quelques années. Les militants qui la défendent sont assez actifs, et ils bénéficient de nombreux relais dans le monde intellectuel et universitaire. Mais rien ne dit toutefois qu’ils vont réussir dans leur entreprise. La gauche est pour l’heure encore relativement immunisée contre les thématiques raciales. Le hashtag Whitegaucho peut même être analysé comme un échec de la part de ceux qui rêvent de lancer un mouvement social autour des « racisés ». Au fond, ils voient bien qu’ils ont peu d’écho, qu’ils n’arrivent pas à mettre la race au centre des débats. Les réactions sur les réseaux sociaux sont d’ailleurs souvent ironiques ou méprisantes. 

Comment cette fracture s'est-elle créée au travers des années pour en arriver à une nouvelle forme de la gauche irréconciliable ? Que révèle-t-elle de l'état de la société ?

Plusieurs facteurs se combinent. La société post-industrielle a vu s’estomper le clivage de classe, ce qui a mis en retrait le débat traditionnel sur le capitalisme au profit des questions de société, lesquelles ont pris une place écrasante. Par ailleurs, l’ouverture des frontières et la diversification ethno-raciale des pays européens ont incité les militants contestataires à remplacer les ouvriers par d’autres groupes (comme les femmes, les immigrés ou les musulmans) dans le Panthéon des damnés de la terre. Il faut aussi tenir compte d’un complexe idéologique au sein de la gauche, hérité du christianisme, où se mêlent culpabilité et amour du prochain (surtout si ce prochain est éloigné). On pourrait aussi ajouter un vieux fond d’antiaméricanisme et d’antisionisme qui produisent une sympathie spontanée pour les Noirs et les Palestiniens perçus comme des victimes de l’impérialisme judéo-capitaliste. Tous ces éléments se combinent pour inciter une partie de la gauche à rechercher des groupes opprimés (pour les aimer), donc des groupes oppresseurs (pour les haïr). La figure du « mâle blanc », selon les termes d’Emmanuel Macron, est aujourd’hui toute désignée. C’est la logique classique du bouc-émissaire, à cette différence près que le bouc correspond à la population majoritaire. Cette mise en accusation a d’autant plus de facilité pour se diffuser qu’elle a été préparée par le discours féministe (lequel accuse les hommes d’être responsables de l’oppression des femmes) et par le discours post-colonial (lequel accuse l’Occident de tous les défauts et de tous les maux). 
Il faut toutefois souligner que, à gauche, ce type de raisonnement ne convainc pas tout le monde, loin s’en faut. Considérer que l’Occident et les Blancs sont les seuls méchants dans l’histoire est un peu rapide. De plus, certains refusent d’entrer dans la tendance actuelle à idéaliser les minorités ou à abdiquer les grands principes républicains tels que la laïcité. Et puis beaucoup ne veulent tout simplement pas entrer dans une logique de type racialiste, non seulement parce que cette logique n’appartient pas à la tradition de la gauche française, mais aussi parce qu’elle risque de se retourner contre ses partisans. Si on commence en effet à considérer que la race détermine la manière de voir et d’analyser la société, il risque d’y avoir pas mal de dégâts collatéraux. Un sociologue « blanc » pourra-t-il par exemple justifier qu’il a toute la légitimité pour analyser la situation des Noirs ou des Arabes ? Quand on sait que beaucoup de sociologues sont aussi des militants de gauche, on comprend qu’ils hésitent un peu avant de se lancer dans une analyse qui pourrait les mettre définitivement sur la touche.  
Quoiqu’il en soit, il ne fait guère de doute que ces débats sur la race vont nous occuper un bon moment, surtout si les institutions comme les médias, les arts ou l’école continuent d’alimenter un discours à la fois victimisant (pour les minorités) et culpabilisateur (pour la population de souche). 

Comment anticiper la suite, la réconciliation est-elle envisageable, ou faut-il s'attendre à un écartèlement toujours plus important ? 

Le hashtag #Whitegaucho peut disparaître, mais les causes qui l’ont produit sont profondes. Elles se nourrissent des difficultés actuelles de la gauche, laquelle a perdu du terrain électoral, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis. Deux événements, en particulier, lui ont porté de rudes coups : la crise financière de 2008 et la crise migratoire de 2015. Ces deux événements ont montré que les partis de gauche ont des logiciels inadaptés pour affronter les défis contemporains : que faire face à la mondialisation et à la financiarisation de l’économie ? quelles réponses apporter aux flux migratoires et à l’explosion démographique qui s’annonce en Afrique ? faut-il continuer à accroître la diversité des sociétés occidentales ? La gauche ne propose pas de réponses claires, voire proposent des réponses contradictoires (en disant par exemple qu’il est possible de réguler la finance, mais qu’il n’est pas possible de réguler l’immigration, quitte d’ailleurs à s’insurger contre les gouvernements qui ferment leurs frontières). C’est évidemment sur cette crise de la gauche gouvernementale que prospère la gauche radicale. 
En même temps, les électorats ont tendance à se braquer, et pas seulement en Europe de l’est. Les électeurs demandent de revenir vers les fondamentaux : l’autorité, la sécurité, l’identité nationale. Pour une partie de la gauche, ces demandes sonnent comme un désaveu, mais elles provoquent surtout un rejet encore plus fort de la démocratie : à quoi bon faire voter les gens si c’est pour avoir Trump ou les partis populistes ? Cette situation peut donc avoir pour effet de radicaliser encore plus les militants. Pour se faire entendre, ceux-ci vont être amenés à dramatiser toujours plus la situation actuelle, à expliquer par exemple que l’oppression des femmes n’a jamais été aussi forte, que les musulmans sont victimes d’une terrible islamophobie, que la police est raciste et tue les Noirs, etc. Evidemment, il faut être d’une parfaite mauvaise foi pour adhérer à de telles affirmations (comment parler par exemple d’islamophobie au moment où la France se couvre de mosquées ?) mais ces discours peuvent séduire, surtout s’ils ne rencontrent pas un contre-discours consistant. C’est là que le débat intellectuel peut jouer un rôle : il manque aujourd’hui clairement un discours lucide et objectif sur l’état du pays, sur les causes des problèmes, sur la situation de l’Europe. Peut-on espérer construire un tel discours aujourd’hui ? L’état actuel de l’université française, du moins pour ce qui concerne les sciences sociales, n’invite malheureusement pas à être très optimiste. 

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