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Quand les trolls harcèlent les journalistes jusqu’à devenir une nouvelle menace pour la démocratie
©BERTRAND GUAY / AFP

Liberté de la presse

Reporters sans frontières a publié un rapport sur le harcèlement en ligne des journalistes, la nouvelle menace contre la liberté de la presse. Quelles leçons peut-on tirer de ce rapport et qui s'adonne à ces pratiques sur les réseaux sociaux ?

Elodie  Vialle

Elodie Vialle

Elodie Vialle est responsable du Bureau Journalisme & Technologie chez Reporters sans frontières (RSF). 

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Atlantico : Reporters sans frontières a publié un rapport sur le harcèlement en ligne des journalistes que vous qualifiez comme nouvelle menace contre la liberté de la presse. Concrètement que retenir de ce rapport ?

Elodie Vialle : RSF a sorti ce rapport pour dénoncer l'ampleur d'une nouvelle menace qui pèse sur le journalisme et la liberté de l'information à savoir le harcèlement en ligne massif contre les journalistes. L'objectif de ce rapport est vraiment d'identifier cette nouvelle menace et d'affirmer qu'elle pèse à l'échelle internationale.

Nous avons identifié deux types de cyberharcèlement sur les journalistes. D'un côté des communautés d'individus qui se fédèrent lorsqu'il article leur déplait pour aller exprimeur leur mécontentement sur les réseaux sociaux et s'en prendre au journaliste qui aura écrit le papier en question. C'est ce que l'on a vu récemment avec le procès de trois cyberharceleurs de la journaliste Nadia Daam. 

Dans d'autres pays, généralement là où s'exerce un régime aux dérives autoritaires, nous avons constaté une industrialisation de la pratique avec la mise en place d'armées de trolls, chargées d'aller laisser des commentaires favorables aux régimes sur les réseaux sociaux ou de diffuser des fausses informations. Ces armées utilisent aussi des bots pour diffuser automatiquement des messages et visent des journalistes en les attaquant personnellement. L'objectif est bien de les discréditer, de les intimider pour les faire taire. C'est le cas des Philippines par exemple. Nous avons un schéma traditionnel avec un dirigeant qui critique ouvertement les journalistes et des armées de trolls qui se déchaînent sur les réseaux sociaux, notamment contre le site internet Rappler dont la fondatrice Maria Ressa a dû et doit toujours essuyer à de nombreuses reprises des menaces de mort, de viol. On parle ici de plusieurs centaines de messages par jour.

On connaissait le cas des régimes autoritaires habitués à mettre en place des procédures bâillon contre les journalistes, qui usent de violence envers ces derniers ou les mettent en prison, maintenant ils ont trouvé un nouveau moyen de s'en prendre à la presse et c'est sur les réseaux sociaux. 

Les conséquences de ce genre de méthodes sont directes sur l'exercice du journalisme, c'est bien pour cela que c'est un sujet dont se saisit RSF. On a des problématiques d'autocensure des journalistes à la suite de ces cabales en ligne. Nous avons documenté le cas d'Abdou Semmar qui dit qu'il a dû délaisser certaines thématiques jugées tabou en Algérie à cause de menaces de mort ou de viol sur sa famille.

Nous avons reçu des témoignages de journalistes qui disent déconnecter de manière temporaire, certains sont parfois même contraints à l'exil temporaire. Quand vous recevez des centaines de messages d'appel au meurtre cela peut avoir des échos dans la vraie vie.

En France, le harcèlement et les insultes contre les journalistes semblent être devenu monnaie courante. Concrètement, qui s'adonne à ces pratiques sur les réseaux sociaux ?

Déjà en France, nous n'avons pas la problématique des armées de trolls téléguidés par le pouvoir en place. Mais ce n'est pas pour autant que les journalistes français sont exemptés de cyberharcèlement. Il faut citer évidemment le cas récent des cyberharceleurs de Nadia Daam, la journaliste d'Arte et Europe 1 qui avait été la cible d'une cabale à la suite d'une chronique. Elle a reçu des menaces de mort, de viol qui ont été d'une violence absolue. On pourrait aussi citer le cas de Samuel Laurent du journal Le Monde qui explique qu'à chaque fois qu'il fait paraître un article il y a systématiquement des trolls pour venir commenter la chose. Généralement ce sont des gens issus de groupes très affirmés sur l'échiquier politique, mais pas uniquement. On souhaite interpeller les plateformes mais aussi les responsables politiques sur ces problèmes qui, du fait de certaines de leurs déclarations envers les journalistes, finissent par légitimer les attaques envers ces derniers sur les réseaux sociaux.

Encore une fois, il faut comprendre que nous ne sommes pas là face à des cas isolés. Il y a vraiment une tendance de fond qui est préoccupante. Il est important qu'il y ait une prise de conscience sur ce phénomène. Aujourd'hui, peu de personnes déposent plainte. Le cas de Nadia Daam est exceptionnel car ses cyberharceleurs ont été condamnés.

Mais au final que peuvent faire les journalistes, les médias ou les États pour lutter contre ce phénomène ?

RSF demande plusieurs choses aux États. D'abord un renforcement du cadre légal permettant de protéger les journalistes du harcèlement en ligne. Notamment en mettant en place des mécanismes d'alerte, d'intervention rapide et de réparation pour les victimes. Évidemment on leur demande également de s'interdire d'avoir recours à des agences qui font de la déstabilisation en ligne. Il faut aussi renforcer la recherche et l'éducation au numérique.

Nous souhaitons aussi que les organisations internationales plaident auprès des États pour mettre fin à ce phénomène et qu'elles prennent en compte le harcèlement ne ligne comme une nouvelle menace à la liberté de la presse.

Il est important aussi d'interpeler les plateformes. Ces dernières doivent mettre en place les moyens nécessaires pour que leur usage initial ne soit pas détourné. C'est exactement ce à quoi nous faisons face aujourd'hui. Le manque de transparence dont elles font preuve est inadmissible. 

Les médias et les journalistes eux doivent plus prendre en considération cette menace. Ils doivent mettre en place des formations sur l'usage des réseaux sociaux et des dispositifs en interne pour lutter contre ce phénomène.

Enfin, les journalistes eeux ne doivent pas minimiser le problème. En cas de harcèlement ils doivent le signaler auprès de leurs collègues et de leur hiérarchie, faire des captures d'écran, faire des signalements aux plateformes comme Pharos. Dans des cas graves, il ne faut pas hésiter à porter plainte.

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