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Comment une jeune Américaine est devenue la proie des yakuzas
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Trafic des geïshas

"Trafic de femmes" est un tour du monde de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle. Lydia Cacho y décrit comment les armées de tous pays se procurent des prostituées auprès des mafias, comment les Européens s'offrent des femmes ou des fillettes avec l'accord des autorités des pays les plus pauvres, comment les trafiquants recrutent leurs victimes et les maintiennent sous domination (Extrait 2/2).

Lydia Cacho

Lydia Cacho

Journaliste et écrivain, Lydia Cacho est l'auteur de plusieurs ouvrages retentissants. Elle est reconnue pour ses activités militantes en faveur des droits des femmes.

Couronnée par Amnesty International (prix Ginetta Sagan, 2007), elle dirige également à Cancun un centre de soutien aux femmes victimes de violence et collabore avec le Fonds de développement des Nations unies pour la femme (Unifem).

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Cette nuit-là, je suis morte. C’était le 21 avril 1989. Nous sommes en 2007. Qui suis-je depuis ce jour ? Je n’en sais rien. La seule chose que je sais, c’est que je suis une créature de Dieu.

Pendant vingt-quatre heures, quarante hommes m’ont violée de toutes les façons possibles. L’un d’eux, qui faisait une fixation sur les petites filles, m’a caressée comme si j’étais un bébé, m’a mise dans le jacuzzi et m’a lavée délicatement, en chantant doucement comme un psychopathe. Il était chauve, musclé et avait le tatouage caractéristique des yakuzas qui lui recouvrait le corps. C’était traumatisant.

Moi, qui avais grandi dans un foyer religieux et protecteur, je me retrouvais là, aux mains de ces hommes ! À celui-là, il manquait deux doigts. Il n’avait pas imaginé que cela lui en coûterait un autre.

Je n’étais pas disposée à les laisser s’en tirer. Les choses que j’ai subies dans cette suite les trois jours qui ont suivi sont innommables, inconcevables pour la plupart des êtres humains. Ils avaient tous leur propre perversion. Certains m’ont introduit des objets, provoquant de graves hémorragies. Aujourd’hui encore, les cicatrices qu’ils ont laissées sur mes organes génitaux m’empêchent de devenir mère.

Trois jours plus tard, alors que les yakuzas dormaient dans la suite, la jeune femme s’est levée et s’est précipitée dans la rue, nue. Elle a commencé à frapper aux portes des maisons voisines, sans savoir comment demander de l’aide. Elle est uniquement parvenue à crier : « Yakuzas, yakuzas ! » Finalement, une petite fille lui a ouvert et Rhoda s’est jetée à l’intérieur. L’enfant a immédiatement appelé la police et donné à la jeune femme une robe de chambre de type kimono pour lui permettre de couvrir son corps endolori.

Ce que cette jeune femme raconte sur le comportement des policiers est très semblable à ce que j’ai déjà entendu au Mexique, en Colombie, au Guatemala, en Thaïlande et en Russie : ils sont froids, n’ont aucune empathie envers les victimes et leur font comprendre qu’elles ne sont que des prostituées qui n’ont aucun droit. Au Japon, la police a coutume d’humilier publiquement les adolescentes victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle. Ce qui est particulièrement choquant dans l’histoire de Rhoda, c’est qu’après l’avoir fait sortir de l’hôpital, les policiers ont conduit la jeune fille là où elle avait été vendue, pour qu’elle puisse reconstituer sa « version des faits ». Brutalisée, décharnée et terrorisée, vêtue uniquement de chaussons et de la même robe de chambre que lui avait donnée la petite qui l’avait secourue, Rhoda a dû témoigner.

Je me revois en train de monter les escaliers par lesquels je m’étais enfuie. Cette fois-ci, j’étais accompagnée de policiers. Arrivée à l’étage où se trouvait la suite, j’ai été assaillie par une nuée de journalistes, avec leurs caméras et leurs micros. Ils m’assaillaient avec leur matériel et, dans un anglais rudimentaire, me posaient tout un tas de questions. De mon côté, je ne pouvais que les voir.

J’étais incapable de penser et encore moins de parler. Lorsque je suis rentrée, j’étais en état de choc ; cela a duré un an.

Cette nuit-là, à moitié nue, vêtue simplement du kimono, j’ai réussi à articuler quelques réponses, dont je ne me souviens plus. Je ne comprenais pas comment les journalistes avaient atterri ici. La police a ouvert la porte de la suite et emporté des preuves, comme les draps tachés de sang, des détritus…

Les trois semaines qui ont suivi ont été un véritable cauchemar. Les autorités ont emmené Rhoda dans une résidence sécurisée située à deux heures de la ville. Là, elle a passé des journées entières à faire des dépositions au commissariat. Les policiers l’ont forcée à se coucher sur une table et à expliquer en détail, devant les agents, tout ce qu’elle avait subi. Elle a passé en revue des centaines de photographies de criminels et a ainsi pu identifier plusieurs yakuzas. Lorsqu’elle a réussi à surmonter le choc nerveux, elle a appelé ses parents : « Il m’a fallu plus de deux semaines pour que j’ose appeler ma mère et mon père et que je leur raconte tout, en partie à cause de mon état de choc, mais aussi parce que j’avais honte de ce qui m’était arrivé. Pendant tout ce temps, personne n’a songé à me dire qu’il y avait une ambassade américaine avec des gens qui parlaient ma langue », explique Rhoda, désabusée. Pourtant, son courage n’a pas été vain : grâce à elle, de nombreuses organisations internationales, y compris des japonaises, se sont penchées sur les modes opératoires des yakuzas. Comme j’ai moi-même pu le constater, ils sont parfaitement organisés et disposent de plus de force et de pouvoir que jamais. Leur principale activité est l’exploitation sexuelle.

J’écris à Rhoda pour lui dire au revoir et lui annoncer que je suis prête à partir au Japon. La femme, émue, me donne gentiment quelques astuces pour savoir où chercher les trafiquants. En guise d’adieu, elle m’envoie une chanson bouleversante qu’elle a enregistrée pour chasser les démons yakuzas de son esprit. Cette chanson s’appelle « Dragons » et peut être écoutée sur sa page.

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Extraits de Trafics de femmes : Enquête sur l'esclavage sexuel dans le monde, Nouveau Monde Editions (5 janvier 2011)

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